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Origines de l'ordre de l'Hôpital<
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Les Origines de l'Ordre

Les origines de toutes les institutions dont les modestes débuts ont pâli devant l'éclat de leur développement ultérieur, sont enveloppées de ténèbres épaisses, et le plus souvent volontaires. On s'est plu, en effet, parce que ces origines étaient humbles, parce que leur médiocrité s'accordait mal avec la grandeur postérieurement acquise, à dénaturer ces souvenirs, à les modifier, à les amplifier et à les entourer d'une auréole de légendes et de traditions plus en harmonie avec les glorieuses destinées d'un institut dont la naissance était petite, et en quelque sorte compromettante.

L'Hôpital n'a pas échappé à cette loi commune ; ses historiens, sans mauvaise foi d'ailleurs, mais influencés par des récits oraux que l'imagination avait grossis de proche en proche, soucieux de perpétuer la mémoire de tout ce qui pouvait relever le prestige de leur ordre, ont voulu que, dès le berceau, son histoire fût digne de la brillante carrière qu'il était appelé à parcourir. A cette exagération enthousiaste, contre laquelle l'observateur attentif devra se tenir en garde, s'ajoutent, pour augmenter l'obscurité des origines de l'Hôpital, les circonstances spéciales dans lesquelles il a vu le jour. On sait, en effet, fort peu de choses de l'histoire de la Terre Sainte avant les croisades, et on connaît fort mal dans quelle mesure la tolérance des Musulmans pouvait y permettre, ou même y admettre, la présence accidentelle ou le séjour régulier des Chrétiens. Il importe avant tout de déterminer, autant que faire se pourra, l'état des rapports entre Chrétiens et Musulmans en Terre Sainte pendant le haut moyen âge, et d'examiner comment était préparé le terrain sur lequel devait prendre naissance et se développer l'ordre de l'Hôpital.

Depuis la prise de Jérusalem par les Perses (614) jusqu'à la reprise de cette ville par les Seldjoukides (1070), l'histoire enregistre à peine deux ou trois faits saillants de guerre ou de sanglante destruction. On en a, un peu témérairement, inféré que, durant ces cinq siècles, les Chrétiens qui allaient en pèlerinage au tombeau du Christ étaient horriblement maltraités, torturés et rançonnés. Il est certain que, dans cet espace de temps, à diverses reprises, le fanatisme musulman sévit avec une extrême violence; mais il est non moins avéré qu'à ces périodes critiques succédèrent d'autres périodes d'apaisement et de liberté. On sait que les rapports entretenus par l'Occident avec la Terre Sainte par l'intermédiaire des pèlerins furent très fréquents, que Rome fut en communion avec les patriarches de Jérusalem, et que le S. Siège leur témoigna autant de bienveillance spirituelle qu'il leur fit de libéralités temporelles. Il est également hors de doute que la charité des Chrétiens songea à soulager les souffrances endurées par les pieux voyageurs en établissant des hospices, à leur assurer, en bâtissant des églises, le moyen d'exercer leur foi et leur piété, et que cette sollicitude se traduisit par un protectorat effectif sur les Lieux Saints, exercé par Charlemagne et ses successeurs. Un examen plus approfondi des relations de l'Occident avec la Terre Sainte, et spécialement de l'existence et du développement d'établissements latins hospitaliers en Palestine, ne sera pas sans utilité pour préciser l'état des relations entre Chrétiens et Infidèles en Syrie.

Dès les premiers siècles de notre ère, les pèlerinages aux Lieux Saints apparaissent. Nous savons qu'en 199 l'érection par l'empereur Adrien à Jérusalem de statues à Jupiter et à Vénus ne diminua pas l'affluence des pèlerins dans cette ville, et que la reconstruction par Constantin de l'église du S. Sépulcre, sur l'emplacement du temple élevé à Vénus par les païens, donna au mouvement qui entraînait les fidèles vers la Cité Sainte un essor nouveau et enthousiaste.

Du IVe au VIe siècle, les pèlerinages sont nombreux ; sept descriptions des Lieux Saints et de voyages à Jérusalem nous sont parvenues pour la même époque. C'est dire assez, — si l'on remarque que seuls le souvenir et le récit des personnages que leur naissance, leur rang social ou leurs vertus distinguaient de la foule des pèlerins, sont venus jusqu'à nous, — la vogue dont jouissait le voyage de Terre Sainte, et le nombre de ceux qui l'entreprenaient dans toutes les classes de la société.

Cette affluence devait naturellement faire naître la pensée de fonder, à Jérusalem même, un refuge pour les pèlerins, et de leur y procurer au point de vue spirituel les consolations religieuses, au point de vue pratique des conseils sur la route à suivre et les démarches à faire, au point de vue matériel le gîte, la table, et, en cas de maladie, les secours médicaux. C'est pour répondre à ces besoins que, dès les dernières années du VIe siècle, saint Grégoire le Grand envoyait à Jérusalem un abbé, nommé Probus, chargé de construire un hospice et d'y distribuer des aumônes, et qu'à la même époque il faisait également établir un second hospice au Mont Sinaï.

La prise de Jérusalem par les Perses, quelques années plus tard (614), dut porter à la fondation de saint Grégoire un coup mortel ; les historiens nous ont conservé le souvenir des cruautés dont les Chrétiens furent alors les victimes, et celui des profanations dont les reliques et les églises furent l'objet. Mais le triomphe de Chosroès dura peu ; dix ans plus tard, ses armées étaient battues par l'empereur Héraclius, qui rentrait en triomphateur dans la Ville Sainte et y rétablissait le culte chrétien. On pouvait espérer que cette victoire assurerait à la Palestine une ère de tranquillité et de paix; il n'en fut rien. En 636, Jérusalem retomba sous la domination musulmane, et le sort des Chrétiens fut remis en question. S'ils subirent alors la violence des persécutions, ce qui est hors de doute, celles-ci furent néanmoins intermittentes ; l'empressement sans cesse croissant des pèlerins, dont l'histoire atteste la présence chaque jour plus nombreuse en Terre Sainte, montre que la situation qui leur était faite, pour être tendue, n'était pas intolérable.

Sous le gouvernement des califes Omeyades et Abbassides, ils jouirent d'un traitement précaire, mais en somme acceptable ; le règne sage et paisible d'Haroun al Rachid fit cesser la persécution et renaître l'espoir. A cet apaisement correspond l'ouverture de relations diplomatiques entre l'Occident et les califes. Pépin le Bref les inaugura en envoyant en Orient une ambassade, qui revint en France accompagnée d'envoyés Sarrasins, auxquels le roi fit un solennel et magnifique accueil.

Charlemagne suivit la voie ouverte par son père ; les deux ambassades, qui, sur son ordre, visitèrent la Terre Sainte en 797 et en 799, furent accueillies avec faveur par le calife. La seconde, celle de 799, dont Charlemagne, en présence du succès de la première, avait, à la requête du patriarche de Jérusalem, décidé l'envoi, eut un résultat inespéré, la reconnaissance du protectorat de l'empereur sur les Lieux Saints. Elle revint accompagnée d'un moine du Mont des Oliviers et d'un moine du Mont Saba, rapportant les clefs du S. Sépulcre, du Calvaire et de Jérusalem, et le vexillum, symbole de l'investiture accordée.

Ce protectorat semble avoir été assez analogue à celui que la France exerçait dans ces régions au XVIIIe siècle. Laissant intacte l'autorité politique aux mains du calife ou du sultan, il donnait à Charlemagne l'autorité administrative sur les établissements chrétiens de Terre Sainte et sur les sujets chrétiens du calife; peut-être aussi l'autorité judiciaire relevait-elle de lui. Mais, à la différence de ce qui se passait au XVIIIe siècle, la France, au IX siècle, protégeait indistinctement tous les Chrétiens, qu'ils fussent de rite latin, grec, syrien ou géorgien, puisqu'à cette époque le patriarche grec était encore en communion avec Rome.

Le patronage de Charlemagne porta ses fruits sous le règne de ce prince, et développa les rapports de l'Occident avec la Terre Sainte. Aux aumônes impériales, envoyées annuellement en Palestine et dont la pratique fut sanctionnée par un capitulaire spécial, se joignit un échange incessant d'ambassades entre l'empereur et le calife, attestant et le zèle du premier à jouer son rôle de protecteur, et les bonnes dispositions du second à l'égard des Chrétiens de ses états. Charlemagne ne s'en tint pas à ces démonstrations officielles; il obtint d'Haroun al Rachid l'autorisation de fonder à Jérusalem divers établissements, dont l'ensemble fut désigné au moyen âge sous le nom de «  Latinie  », par opposition aux fondations grecques de Terre Sainte.

En quoi consistaient ces établissements ? Il est assez difficile de le dire avec précision. Il est cependant certain que parmi eux figurait un hospice, continuation de la fondation de saint Grégoire en 603, et qu'auprès de cet hospice, ouvert à tous les pèlerins latins, s'élevait une église sous le vocable de Sainte Marie, qui possédait une riche bibliothèque et des possessions dans la vallée de Josaphat.

Les moines, chargés du service de l'église et de l'hospice, appartenaient à la communauté de saint Benoît; ce point, dont nous constaterons plus loin l'intérêt, est hors de doute, puisque nous le connaissons par une controverse dogmatique dont la solution, demandée par les Bénédictins au pape Léon III, fut donnée par le concile d'Aix la Chapelle en 809.

Ils séjournaient alors au Mont des Oliviers, près de leurs possessions de la vallée de Josaphat. Le choix de cet emplacement, en dehors de l'enceinte de Jérusalem, s'explique par le désir d'éviter entre Chrétiens et Musulmans des froissements, qui n'auraient pas manqué de se produire si les moines et leurs hôtes avaient résidé dans l'intérieur de la ville. Soixante ans plus tard, quand Bernard le Moine visita Jérusalem (vers 870), il signala l'existence de l'hospice et de l'église près du S. Sépulcre, à l'endroit même qu'occupa plus tard l'Hôpital. S'agit-il d'un transfert ou d'une succursale de la première maison ? La question importe peu; ce qui est à retenir, c'est que les Bénédictins, en 809 comme en 870, dirigeaient l'hospice latin de Jérusalem.

Les successeurs de Charlemagne exercèrent, comme lui, le protectorat obtenu d'Haroun al Rachid ; un impôt d'un denier par manse relevant de la couronne avait été affecté aux frais qu'il nécessitait, et l'argent ainsi recueilli était porté en Terre Sainte par les pèlerins. Sous Louis le Débonnaire, les rapports diplomatiques continuèrent, et la situation des Chrétiens resta bonne en Palestine. C'est ce qui résulte d'une lettre lue au XIIIe concile oecuménique de Constantinople en 869, et émanant du patriarche Théodose, et c'est ce que confirme par son silence Bernard le Moine, qui n'aurait certainement pas manqué, dans le récit de son voyage aux Lieux Saints, de faire allusion aux craintes qu'il éprouva et aux dangers qu'il courut pendant son pèlerinage, si ces craintes et ces dangers avaient existé.

Peu à peu cependant, à partir du milieu du IXe siècle, la faiblesse des successeurs de Charlemagne laissa passer aux empereurs de Constantinople le soin de protéger les chrétiens d'Orient. Officiellement transporté aux empereurs d'Orient en 1021, le protectorat fut exercé par eux jusqu'à la prise de Jérusalem par les Turcs (1070-1078). La situation des Chrétiens et de leurs fondations ne semble pourtant pas menacée pendant cette période ; les pèlerinages se succèdent, de plus en plus nombreux; les dons affluent, surtout ceux d'Angleterre; la correspondance entre l'église de Jérusalem et l'église d'Occident est toujours très active. Si, par suite des campagnes de Zimiscès et de Phocas (968, 974-975), qui soumirent la Syrie à l'empire grec, et de la réoccupation de Jérusalem par les Egyptiens, la Palestine eut à subir quelques moments critiques, le trouble dura peu, et n'atteignit les établissements latins ni dans leur existence ni dans leur développement; nous en avons comme preuve absolue l'importante donation, faite en 993 par le marquis de Toscane au S. Sépulcre et au monastère de S. Marie Latine, de possessions considérables en Italie.

Le fanatisme d'un fou, quelques années plus tard, mit brusquement fin à l'ère de tranquillité et de tolérance dont jouissaient les Chrétiens. Par Tordre du calife Hakem Biamrillah, en 1010, le S. Sépulcre et tous les édifices chrétiens furent détruits ; la basilique de Bethléem fut seule épargnée ; mais, cette fois encore, la persécution ne fut pas de longue durée. En présence des clameurs indignées du monde chrétien tout entier, après la mort d'Hakem (1021), une convention intervint entre Dhaher, fils et successeur d'Hakem, et l'empereur d'Orient, autorisant, aux frais de Constantin IX Mono-maque, la reconstruction du S. Sépulcre, qui fut achevée en 1048 sous le patriarcat de Nicéphore.

Il est probable qu'après cette terrible secousse les moines grecs, moins éloignés que le clergé latin, et plus rapidement renseignés que lui sur les dispositions pacifiques des Musulmans, revinrent les premiers en Terre Sainte. S. Marie Latine, assurément détruite par Hakem, ne dut pas tarder à se relever de ses ruines. Fut-elle alors desservie par des religieux grecs ? La chose n'est pas invraisemblable. En tous cas, la restauration du culte suivit de près son abolition; sans accepter absolument le témoignage d'Eccard, qui semble affirmer que jamais l'Hôpital ne cessa d'exister à Jérusalem, on peut admettre que la destruction de l'Hôpital fut assez courte pour n'avoir pas laissé dans la mémoire des contemporains un souvenir précis, et qu'Eccard, en se faisant en 1101 l'écho de leurs récits, put de bonne foi à leur suite affirmer l'existence ininterrompue de l'Hôpital.

Le coup d'œil, que nous venons de jeter sur l'état de la Terre Sainte antérieurement au XIe siècle, nous permet de considérer le sort des Chrétiens pendant cette période sous un jour un peu différent de celui sous lequel on était habitué à l'envisager. Il est hors de doute que, pendant tout le moyen âge, le mouvement des pèlerinages et l'existence des fondations latines en Terre Sainte ont été, sauf des interruptions momentanées et relativement courtes, pour ainsi dire continus. Cette constatation était nécessaire avant d'aborder l'étude de l'établissement proprement dit des Hospitaliers en Terre Sainte ; il importait de connaître le terrain sur lequel ils doivent prendre naissance et se développer. Il est rare, en effet, qu'une institution nouvelle se crée de toutes pièces, et prenne racine sans avoir des antécédents, plus ou moins directs, plus ou moins modestes, avec des fondations antérieures, auxquelles elle se substitue ou auxquelles elle succède en en modifiant le caractère. C'est le cas, semble-t-il, pour l'Hôpital, malgré les affirmations des historiens de l'Ordre, qui n'ont pas voulu admettre que l'Hôpital, devenu si illustre par la suite, ait dû ses origines à des établissements préexistants.

Nous savons, par des témoignages distincts et concordants, que des marchands d'Amalfi, frappés de la situation précaire des chrétiens de Terre Sainte, obtinrent des califes Fatimides d'Egypte, maîtres de la Syrie, avec lesquels ils étaient en rapports commerciaux fréquents, la permission pour les Latins d'établir une église et un hospice à Jérusalem. L'époque à laquelle cette concession fut accordée est assez difficile à préciser; on la place généralement au milieu du XIe siècle, date assez vraisemblable par suite d'un ensemble de faits qui, sans concerner spécialement la fondation amalfitaine, s'appliquent au développement général et aux progrès des établissements chrétiens à Jérusalem. Ce qui est certain, c'est qu'elle est limitée entre la fin des persécutions d'Hakem en 1014 et la chute de la domination égyptienne en Syrie en 1070. La date de 1086, donnée par Sicard de Crémone, doit être signalée ici, mais ne semble pas devoir être admise, car elle correspond à une période troublée, pendant laquelle l'installation des Amalfitains à Jérusalem paraît, sinon impossible, du moins improbable.

Dans quelle mesure l'établissement amalfitain se rattache-t-il aux fondations antérieures ? Continua-t-il l'hôpital de saint Grégoire, restauré par Charlemagne et rétabli après la mort d'Hakem vers 1050, ou sommes-nous en présence d'une création nouvelle, indépendante de l'ancien hôpital qui avait passé au clergé grec? La première hypothèse est, à tout prendre, la plus vraisemblable. «  Dans l'immuable Orient, dit M. de Vogué, où rien ne change, les mêmes emplacements conservent les mêmes destinations.  » Cette remarque, dont les voyageurs ne cessent de constater la justesse, mérite d'être rappelée ici. Elle corrobore notre opinion, et permet de voir dans la fondation amalfitaine un renouvellement des hospices antérieurs.

Par qui fut desservie la nouvelle fondation? Guillaume de Tyr se borne à parler de l'abbé et des moines qui en assuraient le fonctionnement, sans autre désignation. L'Exordium (voir paragraphe III) est plus explicite : les fondateurs, dit-il, firent venir d'Italie des «  moines noirs.  » Ce renseignement, qui appartient en propre à l'auteur, mérite d'être retenu ; il est au moins fort vraisemblable. Il paraît naturel que les fondateurs, pour assurer le service religieux et hospitalier dans leur nouvel établissement, se soient adressés à l'ordre de saint Benoît plutôt qu'à tout autre. Nous savons, en effet, qu'aux Xe et XIe siècles les environs d'Amalfi comptaient un grand nombre d'abbayes bénédictines, et que, sans parler des plus célèbres, le Mont-Cassin et la Cava, les Bénédictins étaient installés à Scala, à Tavernata, à Monte Cerbelliano, à Pogerola, à Minori et à Ravello. On a même signalé, pour fortifier cette hypothèse, la présence à Scala, au début du XVIIIe siècle, d'un très ancien portrait de Gérard, fondateur de l'Ordre, revêtu de l'habit bénédictin. Si cette représentation figurée, dont nous ignorons l'âge, était authentique, si elle n'avait pas été peinte pour appuyer les prétentions nobiliaires de la famille Sasso, elle fortifierait singulièrement le témoignage de l'Exordium ; mais, dans l'ignorance où nous sommes des circonstances dans lesquelles elle a vu le jour, elle paraît suspecte, et il ne convient pas d'en faire état.

Ajoutons que la présence des Bénédictins en Terre Sainte à cette époque n'était pas une nouveauté ; nous savons d'une façon certaine, malgré les efforts tentés par le père P. A. Paoli pour établir qu'ils ne vinrent jamais à Jérusalem avant la croisade (1), qu'ils résidaient à N.-D. de Josaphat au ixe siècle. Il est donc vraisemblable qu'ils y soient revenus à l'appel des Amalfitains.

Des témoignages qui nous ont conservé le souvenir de la fondation amalfitaine, les uns (Aimé du Mont Gassin, Sicard de Crémone et l'Anonyme d'Ughelli) visent uniquement cette fondation; les autres (Guillaume de Tyr et ses imitateurs, et Guillaume de S. Estène) rattachent à celle-ci l'origine de l'Hôpital. S'il est, pour ainsi dire, superflu de discuter la valeur des premiers, le fait qu'ils relatent nous paraissant hors de doute, il n'est cependant pas indifférent de dire quelques mots de ces chroniqueurs, dont le nom, à cette occasion, apparaît ici pour la première fois.

1. L'existence des Bénédictins à Jérusalem avant la croisade a été contestée avec acharnement par le père P. A. Paoli à la fin du XVIIIe siècle (Dell' origine ed istituto del.... ordine di S. Giovambattista Gerosolimitano, 65 et suivantes) par une série d'objections, que nous résumons ici en les réfutant au fur et à mesure :
I — D'après l'opinion des Bénédictins eux-mêmes, Rocco Pirri, Mabillon, Ruinart et d'Achery, l'ordre ne s'établit à N.-D. de Josaphat et à S. Marie Latine qu'après la croisade. — Quelque grande que soit l'autorité de ces auteurs, elle ne saurait prévaloir contre un texte précis la lettre des moines bénédictins au pape Léon III en 809, qui affirme l'existence des Bénédictins en Terre Sainte dès le début du ixe siècle.
II — Si depuis Charlemagne on trouve des témoignages formels de la présence des Bénédictins à Jérusalem et de nombreux sanctuaires latins avant les croisades, la question reste entière pour la fin du XIe siècle à cause des persécutions subies à cette époque par les Chrétiens en Terre Sainte. D'où Paoli conclut à la disparition des fondations latines pendant cette période. — C'est là un argument négatif; on ne peut rien préjuger du silence des historiens dans aucun sens.
III — Les croisés furent guidés, à leur entrée dans la Ville Sainte, par des Arméniens et des Syriens, qui leur indiquèrent les insignes reliques qu'elle renfermait. Pierre l'Ermite, venant à Jérusalem en 1095, et le comte Robert de Flandre quelques années auparavant, furent logés chez un chrétien. Si les Bénédictins avaient résidé à Jérusalem, ils auraient été les guides et les hôtes des croisés et des pèlerins. — C'est là un nouvel argument négatif ; en outre, en ce qui concerne Pierre l'Ermite, il tombe ; nous savons, en effet, maintenant d'une façon certaine que Pierre l'Ermite ne vint pas à Jérusalem (Riant, Inventaire, des lettres historique des croisades, 94). Mais admettons que le raisonnement de Paoli tienne en ce qui concerne le comte de Flandre, et que celui-ci n'eût pas manqué d'être l'hôte des Bénédictins s'il en eût existé alors à Jérusalem, il ne s'en suivrait toujours pas que des moines de l'ordre de saint Benoît n'eussent pas desservi antérieurement à la croisade l'hospice des Amalfitains.

La chronique d'Aimé du Mont Cassin, écrite entre 1078 et 1080, émane d'un auteur contemporain des événements qui nous occupent. Très prisée par les uns, violemment attaquée par les autres, elle n'a droit ni à la valeur absolue que ceux-ci lui attribuent, ni aux reproches systématiques dont ceux-là l'accablent. Il convient cependant de remarquer qu'elle nous est parvenue dans une traduction française, probablement défectueuse, de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe siècle, et qu'on pourra toujours l'accuser d'interpolations. Mais, en faisant la part du pour et du contre, elle doit être considérée comme le récit d'un témoin original et bien informé, quoique partial sur certains points. Originaire de la principauté de Salerne, Aimé était, plus que qui que ce soit, à même d'être exactement renseigné sur les choses survenues de son vivant à Amalfi, ville voisine de sa patrie et entretenant avec le Mont Cassin des rapports fréquents et amicaux (1). Ce qui concerne la fondation amalfitaine appartient-il à la chronique primitive ou au remaniement du traducteur? Nous l'ignorons. Il semble bien que ce renseignement, par sa nature même, soit original, et que pour le fond, — si la forme peut paraître suspecte, — le récit d'Aimé doive être accueilli comme exact.
1. Nous savons que l'artiste, qui avait fait les portes de bronze d'Amalfi, fut, à la demande de l'abbé du Mont Cassin, envoyé par les Amalfitains au Mont Cassin pour y exécuter les portes de bronze de ce monastère.

Avec Sicard, évêque de Crémone, qui accompagna en 1203 en Arménie le légat du S. Siège en Orient et mourut en 1205, nous sommes en présence d'un récit qui, pour la période qui nous occupe, n'est pas contemporain. Si la chronique de Sicard contient des renseignements fabuleux, si elle est souvent mal coordonnée, rien n'empêche qu'elle ait, surtout pour l'histoire de la Terre Sainte, que l'auteur visita à la suite du légat, une valeur personnelle. En tous cas, elle apporte un témoignage tout à fait distinct des autres sources ; elle nous apprend qu'en 1086 des marchands d'Amalfi obtinrent du sultan la concession d'un terrain devant la porte du S. Sépulcre, qu'ils y élevèrent à leurs frais pour les Chrétiens un hospice qui, au temps de Sicard, portait le nom de S. Marie Latine, et dont ils avaient assuré le personnel hospitalier. Si la date de 1086 peut être sujette à caution, il ne s'en suit pas que l'ensemble du témoignage de cet auteur, eu égard au caractère personnel qu'il revêt, doive être rejeté de ce fait.

Enfin un fragment de chronique anonyme (Vetus Chronicon Amalphitanum), qui émane d'Amalfi, au dire d'Ughelli (G. De Tyr), mais dont nous ignorons la valeur et l'âge, corrobore la chronique de Sicard sur la fondation des Amalfitains.

La seconde série de témoignages relatifs à l'établissement amalfitain de Jérusalem se compose de Guillaume de Tyr (avec ses imitateurs) et de Guillaume de S. Estène. Nous n'avons pas refusé d'admettre leur récit en ce qui touche cette fondation, parce qu'il est confirmé par les chroniqueurs dont nous venons de parler. Devons-nous voir dans les Amalfitains avec Guillaume de Tyr, ou dans des Italiens, avec S. Estène, les précurseurs des Hospitaliers ? Pour résoudre la question, il importe avant tout d'examiner la valeur des affirmations de Guillaume de Tyr et de Guillaume de S. Estène; cet examen trouvera sa place ici, dans l'étude des sources proprement dites des origines de l'Hôpital.

Ces sources sont au nombre de trois :
1º Légendes fabuleuses (Miracula).
2º Guillaume de Tyr.
3º Guillaume de S. Estène (Exordium Hospitalis).

Nous dirons quelques mots de chacune d'elles.
I. — Les Miracula, ou récit des origines fabuleuses de l'Hôpital, figurent en tête d'un grand nombre de recueils de Statuts de l'Ordre (1), sous trois rédactions voisines mais distinctes, dont la plus ancienne remonte aux dernières années du XIIIe ou aux premières années du XIVe siècle (2), et la plus récente au milieu du XIVe siècle. Mais ces légendes sont assurément plus anciennes. Les éléments historiques qu'elles contiennent, — siège de Jérusalem par les Croisés (1099), mentions des deux premiers grands-maîtres Gérard et Raymond du Puy, confirmation des Statuts par le pape Innocent II (1130-1143), — dont aucun n'est postérieur au milieu du XIIe siècle, permettent de placer la formation des Miracula entre 1140 et 1150 (3). Nous ne reviendrons pas sur le mobile auquel obéirent les Hospitaliers en entourant leur berceau de récits miraculeux, et en répudiant toute attache avec des fondations antérieures. A cette préoccupation s'ajouta une considération plus pratique; ne fallait-il pas, en présence de la fondation des ordres rivaux des Templiers et des Teutoniques, maintenir, par un ensemble de légendes, le prestige de l'antiquité de l'Hôpital, sous peine de voir passer à ceux-ci l'influence et la vogue que la concurrence des nouveaux venus menaçait de lui enlever ? Ne fallait-il pas aussi par des récits légendaires entretenir l'enthousiasme des foules, et surtout, — c'est un membre de l'Ordre qui en fait lui-même l'aveu (4), — frapper leurs imaginations pour assurer la générosité de leurs aumônes ? Du concours de ces diverses considérations naquirent les Miracula, et le monde chrétien en adopta si complètement la valeur historique qu'une bulle de Gélestin III (16 juillet 1191) leur donna une consécration officielle (5).
1. Nous les trouvons dans 13 manuscrits des Statuts.
2. De prima origine, 48-9.
3. De prima origine, 45-6.
4. «  Mais je esme que questeors por mieaus gaignier troverent celes choses  », dit Guillaume de S. Estène, l'auteur de l'Exordium, aux dernières années du XIIIe siècle.
5. Cartulaire, I, nº 911. Cette bulle fut renouvelée par Innocent IV le 9 avril 1254 (Cartulaire, II, nº 2674).


La composition même de ces Miracula se réduit à trois groupes de faits :
1. Apparitions antérieures à la venue du Christ;
2. récits divers empruntés au Nouveau Testament et dont le silence des Ecritures a permis de placer le théâtre dans l'enceinte de l'Hôpital; 3º miracle de Gérard au moment de la croisade (1).
1. Nous avons publié le texte des deux rédactions principales de ces miracles dans De prima origine, 97-118.

Le premier groupe se compose de trois apparitions : la première est celle du Seigneur au roi Antiochus. Celui-ci voulait punir le grand-prêtre Melchior d'avoir violé le tombeau de David ; l'intervention divine l'oblige à pardonner et à fonder, à l'endroit même où il vit le Sauveur, au Calvaire, un hospice auquel il consacra une somme de douze mille drachmes. L'idée première de cette légende est empruntée au second livre des Macchabées ; d'abord à l'épisode d'Héliodore, qui, s'étant, sur l'ordre du roi Séleucus, emparé des trésors du Temple, tomba foudroyé au moment d'accomplir cette profanation, ensuite au récit du don d'une somme d'argent fait par Judas Macchabée pour assurer des prières aux morts ; enfin le nom d'Antiochus, adopté par le rédacteur du miracle, figure à maintes reprises dans ce livre sacré. En se servant de ces éléments, en changeant le nom d'Héliodore en celui de Melchior, un des rois mages, et celui de Séleucus en celui d'Antiochus, en attribuant aux pauvres l'aumône destinée par Judas Macchabée aux défunts, et en introduisant dans le récit l'élément merveilleux, c'est-à-dire l'apparition divine, le miracle se trouva créé de toutes pièces.

La seconde apparition nous montre le Seigneur ordonnant à Zacharie, pendant que celui-ci faisait un sacrifice, d'aller, avec sa femme et son fils Jean, à Jérusalem, pour y servir les pauvres, et d'y attendre la venue de Julien le Romain. Le choix de Zacharie, père de saint Jean, s'explique facilement, puisque le patron de l'Hôpital fut précisément ce même saint Jean ; le reste n'est que l'introduction de l'élément merveilleux, élément essentiel de toute légende.

Nous arrivons ainsi à la troisième apparition : Julien le Romain, envoyé par l'empereur Octavien en Terre Sainte pour y lever l'impôt, fait naufrage près de Rhodes; miraculeusement sauvé par le Christ, il se convertit à la foi chrétienne. Son sauveur lui révèle alors qu'il l'a destiné à succéder à Zacharie dans la direction de l'Hôpital, et que, pendant qu'il le dirigera, lui-même viendra corporellement dans la maison de l'Hôpital. Ainsi se rattachent, sans briser la succession chronologique, les légendes de l'Ancien Testament à celles du Nouveau.

Avec le Nouveau Testament apparaît le second groupe de faits, assez concis dans la première rédaction, mais beaucoup plus développé dans la seconde. Pour établir ce deuxième groupe, on a eu recours à un procédé extrêmement commode, celui de fixer dans la maison de l'Hôpital la scène des divers événements de la vie du Christ dont remplacement n'était pas déterminé dans les Evangiles, et d'y faire prononcer par le Sauveur divers aphorismes moraux que les Evangélistes avaient relatés sans préciser en quels endroits ils les entendirent émettre. C'est ainsi que dans cette légende l'Hôpital abrita la Vierge et les Apôtres pendant la passion, fut après la résurrection le théâtre de l'apparition de Notre Seigneur aux disciples et à saint Thomas, et celui de l'élection des sept premiers diacres ; c'est également à l'Hôpital que l'on rattacha la fausse conversion d'Ananias et de Saphira, racontée dans les Actes des Apôtres, en déclarant que l'argent donné par eux était destiné aux pauvres de l'Hôpital. L'imagination, on le voit, n'eut qu'un rôle secondaire dans l'agencement de ces faits; en se bornant à localiser des événements connus de tous, on n'éveilla aucune méfiance, et on fit accepter comme absolument véridique la forme nouvelle et détournée sous laquelle on les présenta.

Le troisième groupe de faits nous reporte à l'époque de la première croisade. Gérard, administrateur de l'Hôpital pendant le siège de Jérusalem par les croisés, au lieu de jeter du haut des murailles de la ville des pierres contre les assaillants, leur aurait jeté du pain, dont ils avaient grand besoin. Dénoncé et pris sur le fait, il aurait été conduit devant le sultan pour répondre de sa trahison; mais, en présence de celui-ci, le pain se serait changé en pierres, à la confusion des dénonciateurs, dont le sultan aurait puni la calomnieuse délation. C'est assurément la partie la plus intéressante de la légende. Le fait surnaturel, qui forme le fond du récit, est daté (1099), et nous est rapporté cinquante ans après l'époque à laquelle il se serait produit. Il offre donc, à défaut d'un caractère historique absolu dans les personnages et les événements qui y concourent, un ensemble d'éléments historiques incontestables. Sans admettre que le pain ait été changé en pierres, ni même qu'il ait été jeté aux croisés en guise de projectiles, nous croyons qu'on doit retenir du récit de ce miracle : que Gérard, placé par les historiens en tête des grands-maîtres de l'Ordre, était à Jérusalem et dans l'Hôpital avant la croisade, que les croisés souffrirent de la faim pendant qu'ils assiégeaient la Ville Sainte (1), et que Gérard, qui leur avait ménagé des intelligences dans la place, sut se disculper devant le sultan et confondre ses accusateurs (2). Il n'est pas étonnant que l'imagination des croisés, devenus maîtres de Jérusalem à la suite d'extraordinaires péripéties, d'un voyage et d'une expédition pendant lesquels les choses qu'ils avaient vues et les événements qu'ils avaient traversés confinaient au rêve et au miracle, ait spontanément entouré la décisive intervention de Gérard des couleurs les plus poétiques et de l'auréole du merveilleux, créant ainsi d'enthousiasme la légende du miracle. Les rédacteurs des Miracula l'ont recueillie ensuite telle qu'elle était née, et l'ont fait précéder des légendes dont nous venons de parler, échafaudées dans le but intéressé que l'on sait.
1. Guillaume de Tyr (Histoire occidentale des croisades, I, 333), en relatant les souffrances auxquelles les croisés furent en butte, nous apprend qu'ils souffrirent surtout de la soif devant Jérusalem et de la faim devant Antioche.
2. Guillaume de Tyr (Histoire occidentale des croisades, I, 315) dit que Gérard, soupçonné par les Musulmans, fut incarcéré et torturé par eux. A-t-il confondu le grand-maître de l'Hôpital avec Gérard d'Avesnes, qui subit à Arsur un traitement analogue en 1099 (Histoire occidentale des croisades, IV, 507 et suivantes) ? Nous ne saurions le dire; mais ce récit, s'il s'applique à notre Gérard, semble vraisemblable et conforme au rôle joué par lui vis à vis des croisés.


II. — Guillaume, surnommé de Tyr, parce qu'il fut archidiacre (1167), puis archevêque (1174) de cette ville, dont le lieu de naissance nous est inconnu, mais dont l'existence s'écoula en Syrie, fut directement mêlé aux événements dont la Terre Sainte fut le théâtre pendant la deuxième moitié du XIIe siècle. Il put, grâce aux hautes fonctions qu'il exerçait, voir de près ces événements et les juger avec une compétence particulière. Il semblerait, dans ces conditions, que l'exactitude des faits qu'il nous a transmis dut être mise hors de tout soupçon ; en réalité, les choses de Terre Sainte ne pouvaient trouver d'historien mieux informé et d'une clairvoyance plus avisée ; d'une façon générale Guillaume de Tyr est unanimement considéré comme le témoin le plus sûr et le plus autorisé pour cette période (1). En ce qui concerne l'origine de l'Ordre, voici comment il s'exprime. Texte en latin chez Archive.org
Archive.org

La critique cependant, sur tout ce que Guillaume de Tyr a dit, ici et ailleurs, sur l'Hôpital, formule des réserves, et déclare l'auteur reprochable. Elle a remarqué, en effet, que celui-ci avait contre les Hospitaliers un parti-pris de dénigrement, qui se fait jour dès qu'il énonce leurs origines par ces mots : «  Comment li Hospitaliers orent petit commencement  », et qui trouve sa première expression dans le récit de leurs démêlés en 1155 avec le patriarche de Jérusalem, son prédécesseur à l'archevêché de Tyr, à propos de dîmes dont celui-ci leur contestait la perception (1) ; elle conclut en l'accusant à leur endroit de malignité et même d'erreurs et de mauvaise foi. Mise en éveil sur ce point particulier, elle a étendu sa suspicion à tout ce que Guillaume avait écrit sur l'Ordre, et rejeté absolument son récit des origines de l'Hôpital. Cette conclusion est assurément excessive, et témoigne d'une animosité en sens contraire égale à celle que l'on reproche à Guillaume. Les historiens intéressés à combattre la véracité de cet auteur n'ont pas voulu voir que celui-ci avait, avant d'exposer les débuts de l'Ordre, mis le lecteur en quelque sorte en garde contre le reproche de partialité qu'on serait tenté de lui adresser (2) ; ils ne se sont également pas aperçus que deux autres témoignages, dont l'indépendance s'affirmait par leurs divergences avec celui de l'archevêque de Tyr dans la question des dîmes pour l'un (3), et dans celle du patron primitif de l'institut nouveau pour l'autre (4), étaient identiques sur la question des origines. Il semble donc que le récit de Guillaume de Tyr, s'il n'offre pas à première vue un caractère d'authenticité absolue, ne doive pas être écarté de prime abord.
1. Voir plus bas, texte sur Raymond Dupuy, le récit de cette contestation.
2. Après avoir raconté la querelle relative aux dîmes (Histoire occidentale des croisades, 1, 822), Guillaume de Tyr s'exprime ainsi : «  Nec tamen omnes uno judicio et sublata discretionis differentia, in hanc Deo odibilem, et vitiorum matrem omnium, involvimus superbiam, credentes vix posse contingere ut in tanto corpore eodem gradiantur itinere, et sit nulla differentia meritorum. Ut autem, ex quam modico jactu seminis tantum locus memoratus ceperit incrementum, quamque indebite contra Dei ecclesias recalcitraverit, et usque hodie recalcitrare non desinat, duximus mandandum historiae, veritatis regulam omnino, auctore Domino, non praetermittentes.  »
3. Jacques de Vitry dit, en parlant des Hospitaliers : «  domino etiam patriarchœ Hierosolymitano devote obedientes, de bonis suis décimas secundum sacros canones et utriusque testamenti praecepta absque contradictione reddebant  » ; ce qui est en opposition avec le témoignage de Guillaume de Tyr. Par contre, il corrobore le récit de celui-ci sur la fondation de l'Ordre (Historia Hierosolymitana abbreviata, dans Bongars, Gesta Dei per Francos, I, 1083).
4. L'auteur de lExordium, dont nous parlerons plus bas, rectifie l'opinion généralement admise que le patron de l'Hôpital fût à l'origine saint Jean l'Aumônier, et prouve que c'est à saint Jean Baptiste qu'il faut attribuer ce patronage (De prima origine, 127-8) ; sur la question des origines il est d'accord avec Guillaume de Tyr (ibid., 120-122).


A Guillaume de Tyr se rattachent la plupart des chroniqueurs postérieurs, — d'abord la traduction française (l'Estoire d'Eracles) (1), la version espagnole (La grau conquista de Ultramar (2) pour la majeure partie, les Passaiges d'Oultremer de Sébastien Mamerot (3), — puis la chronique de Roger de Wendover (4), et surtout l'ouvrage de Jacques de Vitry (5), qui emprunte à l'archevêque de Tyr, en y ajoutant quelques exagérations, la trame de son récit. De cette même source, mais avec une imitation plus directe de Jacques de Vitry que de Guillaume de Tyr, dérivent également les chroniques de Marino Sanudo Torsello (6) et de Jean d'Ypres (7). Tous ces témoignages, —et ils forment la plus grande partie de ceux qui nous sont connus pour l'histoire de la Terre Sainte, — ont pour fond unique le récit de Guillaume de Tyr et se ramènent à lui seul.
1. Histoire occidentale des croisades, t. I ; Chronique d'Ernoul et de Bernard le Trésorier.
2. La gran conquista de Ultramar, dans la Biblioteca de autores Espagnoles.
3. Les Passaiges d'Oultremer faiz par les Francoys.
4. Chronica sive Flores historiarum.
5. Historia Hierosolymitana abbreviata, dans Bongars, Gesta Bei per Francos.
6. Secreta fidelium crucis, dans Bongars, Gesta Dei per Francos.
7. Chronica monasterii S. Bertini, dans Monum. Germ. hist., Script. XXV).


III. — l'Exordium Hospitalis figure dans un petit nombre de recueils de Statuts. C'est, à proprement parler, une dissertation critique sur les débuts de l'Hôpital, apportant un témoignage nouveau et capital à la question si controversée des origines de celui-ci. Elle apparaît pour la première fois dans un manuscrit des Statuts de 1302 ; comme elle ne figure pas dans un autre manuscrit des mêmes Statuts, rédigé entre 1287 et 1290 par le même rédacteur que celui du manuscrit de 1302, elle fut assurément composée entre ces deux dates. Elle a pour auteur, à n'en pas douter, quoique la preuve absolue fasse défaut, le compilateur des deux manuscrits précités, Guillaume de S. Estène, frère de l'Hôpital, résidant au prieuré de Lombardie à l'époque de la rédaction du plus ancien de ces manuscrits et devenu commandeur de Chypre en 1302 (1). Elle n'eut pas, et pour cause, comme les Miracula, les honneurs d'une insertion pour ainsi dire officielle dans les recueils de Statuts ; cinq manuscrits seulement nous font conservée, parmi lesquels deux émanent de la famille même de l'auteur. Son contenu, en effet, allait à l'encontre des origines que l'Ordre prétendait accréditer, et seuls les esprits indépendants lui donnèrent asile dans leurs compilations statutaires. 1. Pour tout ce qui concerne l'Exordium et son auteur, voir : De prima origine, 55-66, et notre étude sur les Statuts de tordre de l'Hôpital, dans Bibliothèque de l'Ecole des Chartes XLVIII (1887), passim. Nous croyons que Guillaume de S. Estène était italien et s'appelait en réalité S. Stefano.

Nous avons eu occasion ailleurs d'indiquer le rôle prépondérant que Guillaume de S. Estène joua dans la rédaction des Statuts, le souci qu'il prit de donner à son travail une authenticité indiscutable en citant avec la plus scrupuleuse exactitude les sources auxquelles il avait puisé; les mêmes qualités de précision et d'intelligence critique se retrouvent dans la seconde compilation due à Guillaume de S. Estène, celle qui contient l'Exordium. Si la première offre tous les caractères d'une rédaction officielle, la seconde semble en revanche une œuvre toute personnelle. Elle dénote un esprit perspicace, prudent et avisé, et offre une abondance d'informations qu'explique la position occupée à Chypre par l'auteur au centre des événements qui se déroulaient dans le Levant. La dissertation (Exordiura) qu'elle contient se présente donc à notre examen sous les auspices d'une érudition étendue et d'un sens critique très sûr. L'auteur, en la composant, s'est proposé de réduire la légende miraculeuse à des proportions plus justes et plus voisines de la vérité, et de nous faire connaître l'origine historique de l'Hôpital, qu'il n'hésite pas à rattacher à une fondation antérieure aux croisades. Il commence par faire le récit des souffrances subies par les Chrétiens venant visiter les Lieux Saints, des démarches faites auprès du calife par des marchands italiens, émus de cette situation, pour obtenir la concession d'un oratoire et d'une maison à Jérusalem, démarches que le calife agrée dans la crainte de perdre les relations commerciales que les Occidentaux entretenaient avec lui. Les marchands bâtissent alors une église sous le vocable de Notre Dame, au sud du S. Sépulcre, séparée de celui-ci par le chemin royal, et une maison hospitalière. Ils appellent d'Italie, pour desservir cette fondation, des moines noirs (Bénédictins). Sur la durée pendant laquelle ces moines la gouvernèrent, l'auteur refuse de se prononcer, «  car, dit-il, je ne le say ni ne l'ay onques oy par voys «  digne de foi ni par escripture  » ; mais il affirme que c'est bien à l'établissement des Italiens que l'Ordre est redevable de son origine. Il repousse ensuite la légende qui faisait remonter l'Hôpital à Melchior, c'est-à-dire au temps des Macchabées, et nous montre, par l'insertion in-extenso dans son récit d'une charte de Godefroy de Bouillon, qu'au moment de l'entrée des croisés à Jérusalem l'Ordre était constitué puisqu'il recevait des donations, et accessoirement qu'il avait pour patron saint Jean Baptiste puisque ce patronage est mentionné dans cette charte. Il termine sa dissertation en réfutant l'opinion par laquelle l'Hôpital se réclamait de saint Jean l'Aumônier, et démontre qu'elle est le résultat d'une confusion de nom, et que seul saint Jean Baptiste a été le protecteur des Hospitaliers.

Pour juger la valeur de la dissertation de S. Estène, il faudrait d'abord connaître les sources auxquelles elle est empruntée ; malheureusement l'auteur n'en cite aucune. Doit-on penser à Guillaume de Tyr et aux écrivains directement inspirés par celui-ci, ce qui enlèverait toute originalité au récit de S. Estène ? Nous ne le croyons pas, puisque, en ce qui concerne le patron de l'Ordre, l'auteur est en contradiction formelle avec l'opinion de Guillaume de Tyr. Si S. Estène a rejeté sur certains points le témoignage de ce chroniqueur pour l'adopter sur certains autres, son choix a été déterminé soit par la seule pénétration de sa critique, soit par des éléments d'information que nous ignorons, mais qui étaient à coup sûr indépendants de ceux qu'il a pu trouver chez Guillaume de Tyr. Dans les deux cas, le récit de S. Estène revêt un caractère personnel, et à ce titre un mérite particulier. — Ce qu'il dit du patron de l'Ordre est rigoureusement exact ; d'autres, après lui et en dehors de lui, sont arrivés à la même conclusion que la sienne. Si S. Estène n'a pas su faire justice de toutes les erreurs et invraisemblances contenues dans les Mira-cula, on lui saura gré des efforts qu'il a tentés et de la critique dont il a fait preuve. Faut-il lui reprocher d'avoir de bonne foi étayé son argumentation relative au patronage de saint Jean Baptiste sur une prétendue donation de Godefroy de Bouillon, qui, en réalité, appartient à Godefroy, duc de Brabant, et à l'année 1183? L'erreur est d'autant plus excusable qu'elle a été partagée par d'autres après lui, et n'a été reconnue que récemment.

Faut-il suspecter son témoignage en insinuant que, d'origine italienne, il avait intérêt à relever le rôle des Italiens, que la prédominance de l'élément français dans l'Ordre à la fin du XIIIe siècle menaçait d'annihiler, en leur attribuant la fondation de l'Hôpital ? Faut-il trouver une confirmation de cette insinuation dans le fait qu'au terme d'Amalfitain, employé par Guillaume de Tyr, S. Estène a substitué le terme d'Italien, qui nous paraît plus général, mais qui, à tout prendre, n'avait alors qu'un sens presque aussi particulier que celui d'Amalfitain. L'idée de patriotisme n'existait pas à cette époque, au moins au sens que nous lui donnons aujourd'hui. L'Italie n'était alors ni une conception ethnographique, ni un pays correspondant à l'ensemble de la péninsule italique. Il n'y avait aucun lien de patrie commune entre l'auteur, enfant de la Lombardie, et les Italiens ou Amalfitains qui s'établirent à Jérusalem. La confraternité des membres d'un même ordre créait entre ceux qui en faisaient partie des relations autrement étroites que celles d'une même nationalité, et avant d'être un Italien, ou même un Lombard, S. Estène était surtout un hospitalier.

Il n'en subsiste pas moins que l'ensemble de la dissertation est raisonnable et raisonné, et que le fait de protester contre la légende miraculeuse, d'affirmer l'origine italienne de l'Ordre et la présence des Bénédictins dans la maison qui abrita plus tard les Hospitaliers, dénote une indépendance absolue. Sous la plume d'un hospitalier, ces courageuses révélations sont significatives, puisqu'elles témoignent d'un esprit assez ferme pour ne pas sacrifier la vérité aux préjugés et à l'intérêt de l'ordre auquel il appartenait.

De ces trois sources, que nous venons de passer en revue, la première (Miracula) doit être rejetée comme fabuleuse, sauf quelques éléments historiques qu'il convient de retenir. Restent les récits de Guillaume de Tyr et de Guillaume de S. Estène. Si le lecteur admet avec nous qu'en ce qui concerne l'origine de l'Hôpital ils sont distincts l'un de l'autre, s'il est convaincu que S. Estène est un esprit critique et indépendant, s'il reconnaît que, malgré le parti-pris qu'on peut reprocher à Guillaume de Tyr contre les Hospitaliers, ce chroniqueur a dit la vérité à l'occasion de la fondation amalfitaine, pourquoi ne pas accueillir le double témoignage qui fait des Hospitaliers les successeurs des Amalfitains ? L'acharnement même mis par les historiographes de l'Ordre à infirmer cette conclusion, n'est-il pas significatif, et ne se retourne-t-il pas contre eux en sa faveur ?

Une présomption sérieuse peut être tirée, pour fortifier l'opinion que nous préconisons, du fait que les chroniqueurs désignent unanimement le même emplacement aux constructions amalfitaines et aux constructions occupées plus tard par les Hospitaliers. On sait que les Chrétiens n'avaient accès que dans un quart de la ville de Jérusalem, et que leur quartier, entouré de murailles, était celui du S. Sépulcre. C'est devant la porte du S. Sépulcre, sur la face méridionale de l'édifice, à moins d'un trait de pierre de celle-ci, qu'au dire de Guillaume de Tyr et de Sicard de Crémone les Amalfitains élevèrent l'église de S. Marie Latine et les bâtiments nécessaires au logement des moines et des pèlerins. Guillaume de Tyr ajoute que pour les femmes, que leur sexe empêchait d'hospitaliser dans la même enceinte que les hommes, on édifia le monastère de S. Marie Madeleine. Or Soewulf, qui visita Jérusalem en 1102, alors que les croisés n'avaient pu encore modifier l'état antérieur à la croisade, indique pour ces deux bâtiments la, même situation : S. Marie Latine était au sud de la porte du S. Sépulcre, et S. Marie Madeleine était voisine de l'Hôpital, desservi, dit-il, par un célèbre monastère dédié à saint Jean Baptiste (1). L'auteur de l'Exordium, à son tour, nous apprend que la concession italienne s'étendait devant et au sud du S. Sépulcre, et que le grand chemin royal (appelé plus tard rue des Paumiers) séparait pour ainsi dire le Sépulcre de l'église de S. Marie Latine et de l'hospice situé «  droit devant l'entrée du Sépulcre.  »
1. Relation des voyages de Guillaume de Rubrock, Jean du Plan Carpin, Bernard le Sage et Soewulf, dans Mémoire de la Société de géographie, IV, 842.

Il est difficile de contester la concordance de ces descriptions, et de ne pas admettre l'identité d'emplacement des bâtiments amalfitains et des bâtiments des Hospitaliers. Malheureusement le plan dressé en 1860 par M. de Vogué dans ses Eglises de Terre Sainte apporte quelque confusion à ces témoignages si nets. Il place l'église S. Marie Latine non au sud, mais au sud-est du S. Sépulcre, du côté de la rue des Paumiers opposé à celui le long duquel s'élevaient les constructions qui nous occupent. Mais cette église n'étant, de l'aveu même de M. de Vogué fondé sur l'examen des substructions, qu'une reconstruction exécutée au cours du XIIe siècle, on doit considérer cet édifice, situé en dehors de l'enceinte primitive de l'Hôpital, non comme l'ancienne S. Marie Latine antérieure aux croisades, mais comme l'église édifiée par les Bénédictins pour leur usage exclusif, lorsqu'ils furent dépossédés par les Hospitaliers de l'église amalfitaine.

L'enceinte primitive de l'Hôpital, connue aujourd'hui sous le nom de Muristan, est un carré limité au nord par la rue des Paumiers, qui le sépare du S. Sépulcre, à l'ouest par la rue du Patriarche, au sud par le passage appelé Souk el Bizar, et à l'est par la rue S. Etienne (Es Zuk). On a récemment reconnu dans ce carré les substructions de trois églises, situées, l'une à l'angle nord-est, l'autre vers le centre et la troisième au sud-ouest de la seconde. Il ne semble pas douteux que la première (S. Maria Latina Minor, d'après Schick, récemment restaurée par les soins de l'empereur d'Allemagne) doive être identifiée avec S. Marie la Grande (Bénédictines), et la troisième (Mar-Hanna ou S. Jean) avec celle de l'Hôpital S. Jean. La seconde répondrait à la S. Marie Latine des Amalfitains, située, d'après les descriptions anciennes, au sud du S. Sépulcre. La concession amalfitaine devait embrasser tout le carré du Muristan, avec son église placée à peu près au centre; la partie orientale du carré fut ultérieurement attribuée aux Bénédictines, qui y élevèrent vers 1150 l'église S. Marie la Grande (1); la partie occidentale fut progressivement envahie par les constructions des Hospitaliers ; l'ancienne église amalfitaine disparut, et fut remplacée, sur un plan plus grand, entre 1130 et 1140 (2), au sud-ouest de l'église disparue, par l'église de l'Hôpital S. Jean.
1. Cette date, donnée par M. de Vogué d'après les textes, est indirectement confirmée par les fouilles de Schick, qui constate que l'église trouvée à l'est du Muristan est plus récente que l'église du centre.
2. Eglises de la Terre Sainte, 252.

Si l'identification de ces trois églises n'est pas absolument certaine, les fouilles n'ayant pas déterminé l'âge exact des substructions découvertes, il reste acquis que le carré du Muristan renfermait trois églises, dont l'une était l'ancienne église amalfitaine. Ainsi se trouve confirmé le témoignage de Jean de Wurzbourg et de l'Anonyme de la Via Hierosolymitana qui, au milieu du XIIe siècle, signalent deux groupes distincts : d'un côté le monastère de la Latine (c'est l'abbaye bénédictine signalée par M. de Vogué en dehors du Muristan), et de l'autre l'ensemble des bâtiments de l'Hôpital (hospice, couvent de femmes appelé S. Marie Madeleine, église de l'Hôpital). Ces voyageurs n'avaient pu, pour cause, voir l'ancienne S. Marie Latine des Amalfitains, puisqu'elle avait disparu et été remplacée par la nouvelle église de l'Hôpital.

S. Marie Madeleine, indiquée par Guillaume de Tyr et Sœwuelf, semble être identique à S. Marie Majeure, dont l'emplacement, situé le long de la rue des Paumiers, à l'est du carré du Muristan, a été retrouvé dans les fouilles récentes opérées sur ce point, et à laquelle on a donné le nom erroné de S. Maria Latina Minor. La ruelle seule qui, partant de la rue des Paumiers et orientée du nord au sud, séparait l'Hôpital de S. Marie Madeleine, a disparu (1); mais nous savons par des textes positifs l'histoire de sa suppression en 1174 (2). S. Marie Majeure paraît avoir toujours été aux mains de l'ordre de saint Benoît. Jacques de Vitry affirme formellement qu'elle était desservie par des Bénédictines, et son témoignage est confirmé par la mention certaine, en 1157 et 1174, de deux abbesses de ce monastère (3). Si l'Hôpital ne parvint pas, pour ses religieuses, à s'affranchir de la tutelle bénédictine, cet échec n'indique-t-il pas qu'au moment de la croisade cette tutelle existait ? Si elle existait pour les femmes, pourquoi n'aurait-elle pas existé pour les hommes et été secouée par l'Ordre après la croisade ? Cette remarque est une nouvelle présomption en faveur de la thèse que nous soutenons.
1. Le plan du Muristan semble cependant l'indiquer sous la désignation : «  former lane.  »
2. Vogué, Eglises delà Terre Sainte, 252. Cf. un acte de juin 1174 (Cartulaire, I, nº 464).
3. Cartulaire, I, nº 250 et 464.


Aux arguments que nous avons invoqués pour établir que l'Hôpital dérive de la fondation amalfitaine, et qu'il est par conséquent antérieur à la première croisade, on a pu longtemps en ajouter d'autres, tirés des donations que l'Hôpital aurait reçues avant cette môme croisade. Mais il est reconnu maintenant que les quatre documents, sur lesquels on s'était jadis appuyé pour prouver l'existence de ces donations, ne sont pas de la date qui leur avait été primitivement assignée (1).
1. M. Cabié (sur trois chartes albigeoises concernant les origines de l'ordre de S. Jean de Jérusalem, dans Annales du Midi, III (1891) 145-58) a émis sur l'authenticité de la date des actes albigeois de 1083, 1084 et 1085 des doutes très sérieux ; nous avons nous-mêmes reconnu que l'acte de Guillaume, duc de Normandie, qu'une cote d'inventaire datait de 1068, était en réalité un acte de Geoffroy, duc de Normandie et comte d'Anjou, dont la date se place entre 1144 et 1151 (Cartulaire, I, nº 156).

Dans ces conditions, nous n'hésiterons pas à reconnaître que l'absence de documents antérieurs à la croisade peut être invoquée pour prouver que l'Hôpital n'existait pas encore, et qu'elle peut être invoquée avec d'autant plus de force que tous les grands établissements latins de Terre Sainte avaient reçu avant l'arrivée des croisés des donations en Orient (1). Cependant cette preuve par prétérition ne saurait, selon nous, prévaloir contre les arguments formels que nous croyons avoir fournis en faveur de notre thèse. De même, nous ne pensons pas qu'il convienne de s'arrêter à une objection que les adversaires de notre opinion tirent de la règle suivie par l'Hôpital. Les Hospitaliers, disent-ils, s'ils avaient été les continuateurs d'un ordre soumis à la règle bénédictine, auraient naturellement obéi à cette règle, et non à celle de saint Augustin, qui était la leur (2). Cette remarque n'aurait toute sa valeur que si nous avions la preuve que la règle augustinienne était en usage au moment de la croisade ou à une époque voisine de celle-ci. Si la règle de l'Ordre, promulguée par Raymond du Puy entre 1121 et 1153 (3), est certainement inspirée de la règle de saint Augustin (4), si l'on admet que les Teutoniques, subordonnés en 1143 à l'Hôpital, obéissaient à la même discipline que lui et suivaient déjà, comme ils le firent plus tard, l'observance augustinienne (5), — il n'en resterait pas moins la possibilité, et presque la certitude, qu'après la croisade, à une époque qui peut avoir été antérieure, mais qui n'est pas postérieure à 1143, les Hospitaliers, brisant les liens qui les rattachaient aux Bénédictins, aient voulu répudier l'ancienne règle, souvenir du passé, pour en adopter une nouvelle, plus conforme à la transformation qu'ils avaient fait subir à leur institut.
1. L'abbaye du Mont Sinaï possédait des biens en Normandie au milieu du IXe siècle; le S. Sépulcre était également richement possessionné en Italie dès 993, par suite de la donation de Hugues, marquis de Toscane ; il avait en France le S. Sépulcre de Neuvy en Corrèze (1042), le prieuré de Mauriac dans le Cantal (1053) et des biens indivis avec l'abbaye de Conques en Rouergue (Riant, Inventaire, des lettres historiques des croisades, 28, notes 12-14; — De prima origine, 142).
2. Paoli, Dell' origine, 50 et suivantes.
3. Les Statuts de l'Hôpital, 3.
4. Cartulaire, I, nº 70. Voir les articles 4, 8, 13 et 17 de cette règle, qui sont empruntés à la règle de saint Augustin.
5. Cartulaire, I, nº 154.


Par tout ce qui précède nous croyons avoir établi que le récit de Guillaume de Tyr, appuyé par celui d'Aimé du Mont Cassin, et le témoignage de S. Estène distinct des deux précédents, méritent d'être accueillis ; que les Amalfitains ont dû s'établir à l'endroit où était jadis l'hospice latin de Charlemagne, devenu plus tard l'Hôpital S. Jean; qu'ils ont élevé, avant la première croisade, un hospice et une église latines, desservis par des Bénédictins venus d'Italie, et que cette fondation fut l'origine de l'ordre de l'Hôpital.

Malgré la suspicion légitime que Guillaume de Tyr, à cause de son hostilité contre les Hospitaliers, peut inspirer; malgré les réserves que l'état dans lequel la chronique d'Aimé nous est parvenue autorise à formuler; malgré les doutes qu'on peut concevoir sur la valeur distincte du témoignage de S. Estène relatif aux origines de l'Ordre ; malgré les incertitudes que des descriptions Vagues et des fouilles incomplètes laissent subsister sur l'emplacement des divers édifices qui nous intéressent; malgré le parti qu'on peut tirer contre notre opinion de l'absence de donations faites à l'Hôpital avant les croisades, nous croyons pouvoir persister à penser que les Amalfitains furent les précurseurs des Hospitaliers.

Gérard, qui était à Jérusalem lors de l'arrivée des croisés, qui joua auprès d'eux un rôle considérable, et devint après la conquête chrétienne le premier grand-maître des Hospitaliers, est le trait d'union entre le passé, représenté par l'établissement bénédictin, et le régime nouveau, institué par les conquérants. Ce régime eut pour premier effet de réorganiser, sous un nom différent, celui de l'Hôpital, avec une constitution modifiée et un but plus étendu, les éléments hospitaliers qui existaient à Jérusalem avant la croisade. L'œuvre de Gérard fut donc, non de créer de toutes pièces l'hospitalité, comme on a voulu l'insinuer, mais de l'établir sur des bases nouvelles, et de consacrer, pendant vingt ans, avec un infatigable dévouement, ses efforts à l'accomplissement de cette tâche. Il fut, à proprement parler, le régénérateur, on pourrait presque dire le fondateur, de l'ordre de l'Hôpital. La suite de ce récit montrera avec quel bonheur lui et ses successeurs en assurèrent le développement et la prospérité.
Sources: Joseph Delaville Le Roulx. Les Hospitaliers en Terre Sainte et à Chypre (1100-1310). Paris, E. Leroux, 1904. In-8º, XIII-440 pages.
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