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Origines de l'Ordre

Grands-Maitres de Malte - 16 à 25

16 — Frère Annet de Clermont Gessan, (1660)

Frère Annet de Clermont Gessan, bailli de Lyon (Langue d'Auvergne), était un homme d'une grand valeur et d'une vertu éprouvée : tous les Chevaliers l'aimaient et l'estimaient. Mais il était arrivé déjà à l'âge de 70 ans, lors de son élection. Il tomba malade, trois mois après son entrée au magistère, et, les blessures qu'il avait reçues au siège de Mahomette s'étant rouvertes, il mourut le 2 juin de la même année. L'épitaphe de son mausolée rappelle ses vertus et les principales actions de sa vie : B. O. M. Hic jacet Emin. frater Annetus de Chattes-Gessan, qui a comitibus clarimontis ortum accepit, a Pontificibus sacras claves, et Tiaram utramque, per majores in Calisto II. sedis Apostolicae acerrimos deffensores, Hoc uno vere majorum omnium maximus, quod Tiarae supremam coronam adjunxit, creatus, nemine discrepante, ex Bajulivo Lugduni niag. magister, et Melitae princeps. Eum apicem merita jam pridem exegerant. Vota numquam praesumpserant; sed virtutes tulerunt suffragium : pietas in divinis, prudentia in humanis, suavitas in congressu, majestas in incessu, marescalli integritas, terrae marisque imperium, de suo nihil ipse contulit, nisi quod amicis obedivit. Begnavit ad perennem memoriam vix quatuor mensibus; brevis vitae nulla pars periit : primam Religioni, secundam populo, tertiam sihi, omnem Beo consecravit. Obiit inter lacrymas et vota omnium, die secunda Junii MDCLX, aetatis suae LXXIII.

On connaît de lui une monnaie d'argent, avec le millésime de 1660, la valeur indiquée T 4, l'écusson écartelé et la tête de Saint Jean, ainsi qu'une médaille de bronze, 36 m. m., avec le buste tourné à droite et la légende : F. ANNETVS CLERMONT GESSAN, à l'avers, puis, au revers, l'écusson écartelé, très-orné, avec pavillon et couronne, et avec la légende : MAGN. MAGIS. HOS ET S SEP. HI. 1660.

17 — Frère Raphaël Cotoner, (1660-1665)

Frère Raphaël Cotoner, de la Langue d'Auvergne, bailli de Majorque, succéda à Fr. Annet de Clermont. Il était libéral, courageux, plein de zèle pour la religion et pour, son Ordre. Il avait commandé, en 1644, une des galères qui remportèrent sur les Turcs cette victoire qui suscita les colères du Sultan. Il envoya aux Candiotes de nouveaux renforts pour les soutenir dans leur résistance, et c'est à la suite de cette assistance efficace, que la République de Venise rendit un décret, permettant aux Chevaliers de paraître armés sur son territoire, privilège qu elle n'accordait même pas à ses nationaux. Les galères de Malte continuèrent à faire la police de la mer : elles firent de riches captures et elles s'emparèrent en particulier, en 1661, de dix forts bâtiments, dont la cargaison couvrit en grande partie les frais de la guerre. Cotoner ne négligea pas l'administration intérieure : on parle des agrandissements et améliorations qu'il entreprit à l'hôpital de l'Ordre, ainsi que des tableaux de prix dont il orna l'Eglise conventuelle de Saint-Jean. Il succomba à une fièvre maligne, à l'âge de 63 ans, après cinq années de magistère. Les Chevaliers de sa Langue lui élevèrent un magnifique tombeau dans la chapelle d'Aragon et l'on y mit cette épitaphe :

Araconum quicumque teris Melitense sacellum
Sacraeque signa vides, siste, Viator, iter.
Hic ille est primus Cotonera e stirpe magister;
Hic ille est Raphaël, conditus ante diem
Talis erat cervix melitensi digna corona :
Tale fuit bello, consiliisque caput.
Cura, fides, pietas, genium, prudentia, robur,
Tot dederant vitae pignora cara suae,
Ut dum coelestis citius raperetur ad arces,
Ordinis haec fuerit mors properata dolor.
Qui ne mutatas regni sentiret habenas,
Germano rerum fraena regenda dedit.
Caetera ne quaeras. Primus de stirpe, secundum
Promeruit : satis hoc. perge, viator, iter.


Et, en prose : Obiit ann. dom. MDCLXV, die XX octob. aetat. suae LXIII, magisterii III, et VII menses .D .O .M. aeternae memoriae fr. Raphaelis Cotoner, relig. hier, magni magist. majorcicae patricii, ac primum bajulivi. Il faut relever ces mots : « Grand-maître de la Religion de Jérusalem. »

Les monnaies appartiennent aux types antérieurs; il existe une médaille de ce grand-maître, petit module, ayant à l'avers, le buste avec chapeau et manteau, et avec la croix sur la poitrine, tourné à droite, ainsi que la légende : F. D. RAPHAEL. COTONER, et, au revers, l'écusson orné, écartelé surmonté d'une couronne, avec la légende : M. M. HOSP. HIERVSAL.

18 — Frère Nicolas Cotoner, (1665-1680)

Frère Nicolas Cotoner, bailli de Négrepont, succéda à son frère, avec le consentement unanime des Chevaliers et du peuple, ainsi que parlent les chroniques. Ce fut sans contredit un des plus beaux caractères que l'histoire nous ait retracés. Sévère pour lui-même, indulgent pour les autres, il était la précision même dans la conception de ses plans, la promptitude et l'énergie dans leur exécution. Il évita avec un soin jaloux tout ce qui aurait pu exciter l'envie ou le mécontentement chez les autres. Sous son règne, la flotte de Malte, bien exercée, continua la chasse aux Infidèles. Des Chevaliers se firent un nom dans les fastes maritimes de l'Ordre, par leurs exploits.
Mamoille et Téméricourt prirent aux corsaires un vaisseau de 40 canons; puis ils attaquèrent, avec le secours d'une seule frégate, un convoi de 22 bâtiments marchands : ils en capturèrent six et coulèrent ou dispersèrent le reste.
Téméricourt est encore plus célèbre par sa mort que par ses victoires. Attaqué sur les côtes d'Italie par cinq vaisseaux de haut bord, appartenant aux corsaires de Tripoli, il se défendit avec intrépidité, en démâta deux et mit les autres en fuite. Mais son vaisseau fut jeté par la tempête sur les côtes de Barbarie, et ce jeune marin de 23 ans fut mené devant Mahomet III (1672). Le Sultan mit tout en oeuvre pour qu'il reniât sa foi : il lui offrit en vain le grade d'amiral et la main d'une princesse de sa famille. N'ayant pas pu le gagner, il lui fit subir les plus cruelles mutilations et lui fit ensuite trancher la tête.
Hocquincourt, autre héros, fut assailli dans le port de l'Ile-du-Dauphin par 33 galères turques et canonné par l'artillerie du môle. Quoique son vaisseau fût fort endommagé, il s'ouvrit un passage au travers des galères ennemies, après en avoir coulé plusieurs et avoir tué plus de six cents soldats.

L'île de Candie tomba, en 1670, au pouvoir des Turcs. Le siège de la capitale de l'île durait depuis 22 mois, lorsque le grand-vizir Achmet amena en personne aux assiégeants des renforts considérables. Les assiégés avaient été secourus par plusieurs princes chrétiens, et l'Ordre, dont nous avons avant tout à retracer les Annales, avait à lui seul donné 400 hommes. Les Turcs furent battus dans un combat naval, tous les efforts possibles furent faits pour sauver la place; mais les canons ennemis avaient fini par abattre toutes les fortifications et la ville ne put résister à un assaut (1). Le Grand-Maître, présumant que les Turcs, irrités des secours que l'Ordre avait fournis aux Vénitiens, allaient se jeter sur Malte, fit d'énergiques préparatifs de défense. Il appela auprès de lui un ingénieur très-habile, nommé Valperga, et le chargea d'élever de nouvelles fortifications : on poursuivit la construction de la ligne de la Cotonera; on bâtit le fort Ricasoli, destiné à la défense du Grand-Port. Ce fort s'appela ainsi, du nom d'un commandeur qui avait donné 30.000 écus maltais pour sa construction. L'Ordre sa préparait en même temps à venir combattre avec le duc de Lorraine, Charles V, et le roi de Pologne, Jean Sobieski, contre les Turcs, lorsque la peste vint éclater à Malte et y fit de tels ravages dans les rangs de l'Ordre, qu'il n'y avait même plus assez de Chevaliers pour monter les galères (3 676). Frère Nicolas Cotoner mourut, à la suite d'une longue et douloureuse maladie, le 20 avril 1680. 1. — Le généralissime vénitien qui défendit Candie avec autant d'habileté que de valeur et obtint une si honorable capitulation qu'il ne laissait à l'ennemi que l'armement des remparts, tel qu'il était sur le pied de paix et emmenait plus de 800 pièces d'artillerie, qu'il obtenait en outre en témoignage de sa belle résistance trois canons à son choix de l'ancien armement de la place, et que la République de Venise était reconnue encore dans l'avenir patrona de la mer.

Ce fut sous les règnes de Raphaël et de Nicolas Cotoner que les fresques des voûtes de l'Eglise-Saint-Jean furent peintes par Mathieu Preti, qui fut reçu Chevalier, en récompense de ses services. Frère Nicolas Cotoner fut inhumé dans la chapelle de la Langue d'Aragon, et l'on grava l'inscription suivante sur son mausolée, à pyramide et à médaillon, ornée de trophées, d'une Renommée et de son écusson porté par un ange, et supporté par deux Infidèles faisant cariatides : Fratri Nicolao D. Cotoner, magno Hierosolymitani ordinis magistro, animi magnitudine, Consilio, munificentia, majestate principi, erecto ad Maliometis dedecus e navigii rostris, ac sultanae praeda, tropheo: Melita magnificis extructionibus, Templorum nitore explicato, munitoque urbis pomoerio, splendide aucta : cive e pestilentiea faucibus pene rapto : Hierosolymitano ordine, cui primus post fratrem praefuit, legibus, auctoritate, spoliis amplificato : Repub. difficillimis belli temporibus servata, vere magno : quod tanti nominis mensuram gestis impleverit, pyramidam hanc excelsi testem animi D. D. D. (dat, dicat, dedicat) fama superstes. Vixit in magisterio annos XVI. menses VI. obiit XXIX aprilis MDCLXXX, aetatis LXXIII. Post ejus obitum Executores testamentarii tumulimi hunc fieri mandare.

On a de ce grand-maître des pièces d'argent avec le millésime de 1665, et deux médailles : la première est d'argent et de petit module; la seconde au contraire est de très grand module (99 m. m.) ; elle fut frappée en commémoration de la construction de l'enceinte de la Cotonera, autour de la colline Sainte-Marguerite. A l'avers, buste du Grand-Maître regardant à droite, avec le manteau et la croix ; légende : F. D. NICOLAvs MAGNVS MAGISTER. H. H., date : 1670. Au revers, écu écartelé, orné, surmonté d'une couronne, supporté par une tête d'ange ailé. Légende : (Croix de Malte) COLLEM ISTVM VT TVTVM PORTVM AVXILIARIBVS COPYS CONSERVARET VALIDISSIMI PROPVGNACVLIS PRAEMVNIVIT ANNO 1670.

19 — Frère Grégoire Caraffa, (1680-1690)

Frère Grégoire Caraffa, de la Langue d'Italie, prieur de La Rochelle, fut élu à la dignité suprême, le 2 mai 1680. Il appartenait à une illustre famille aragonaise établie à Naples; c'était un homme d'un courage éprouvé et d'une sagesse incontestée. Sous son magistère l'Ordre brilla d'un nouveau lustre.

Le premier fait d'armes, sous Caraffa, fut la prise de cinq vaisseaux algériens par le Chevalier de Correa (1683). La puissance ottomane était alors à sa plus haute période : Vienne même était assiégée pour la deuxième fois par les Infidèles. Après la victoire de Jean Sobieski et de Charles de Lorraine, suivie de la délivrance de Vienne, il se forma entre plusieurs Etats chrétiens une ligue contre les musulmans. L'Ordre entra dans la coalition et concourut, sur mer et sur terre, à l'oeuvre de délivrance. Le commandant des galères, bailli de Saint-Etienne, parcourut les côtes barbaresques et s'empara ensuite des îles de Prevesa (1) et de Sainte-Maure (1684) (2). Puis, agissant de concert avec la flotte vénitienne et avec les galères du Pape, il prit Coron (3). Le général de l'Ordre, Hector de la Tour-Maubourg, après avoir conduit ses Chevaliers à la victoire et abattu de sa propre main, sur le rempart, l'étendard du Croissant, fut mortellement blessé. Les alliés se rendirent maîtres, l'année suivante, de Navarin (4) et de Modon (5); Naples de Romanie (Roumélie), capitale de la Morée (6), tomba entre leurs mains, et coûta à l'Ordre dix-neuf Chevaliers. En 1687, le Grand-Maître fit prendre la mer à huit galères, qui contribuèrent beaucoup à la prise de Castel-Nuovo, dont la possession donna l'empire de l'Adriatique à la République de Venise. Le pape Innocent XI complimenta vivement le Grand-Maître de ces succès multipliés. La liste de lettres adressées à l'Ordre par la République (1661-1718), que nous donnons en note, prouve à quel haut degré de renommée il était parvenu et savait alors se maintenir (7).

1. — Port d'Epire, à l'entrée du golfe d'Arta : il fut donné aux Turcs, en 1718, par la Paix de Passarovitz. Les Français prirent cette ville, en 1797, et y tinrent 600 contre 11.000; puis la ville fut reprise et saccagée, en 1798, par Ali, pacha de Janina.
2. — Leucade, île ionienne, sur la côte de l'Albanie, ch.-l. Amaxichi.
3. — En Morée.
4. — Ville et port de Morée célèbre par la destruction de la flotte turque, le 20 oct. 1827, par les flottes combinées de France, d'Angleterre et de Russie.
5. — V. forte de Messénie, sur un rocher qui s'avance dans la mer.
6. — Ce doit être Tripolitza, d'après l'appellation turque.
7. — Pauli, Codice diplomatico di Malta, II, nº 355, p. 360. Année 1661.
Domenicus Contenants, D. G. Dux Venetiarum, etc, écrit à Fr. Raphaël Cotoner, D. G. Domus Hosp. S. Joannis Hier, magno mag. ac Pauperum Christi Custodi dignissimo, pour faire ressortir la part glorieuse prise par les galères de la Religion, leur général et tous les Chevaliers à la victoire navale remportée contre les Turcs dans les eaux de Milo (15 octobre 1661, Palais ducal).

Pendant ce temps-là, Malte jouissait de la plus parfaite tranquillité, sous la sage administration de Frère Caraffa, que l'évêque Palmeri, homme prudent et estimé du Souverain-Pontife, sut aider à contenir dans de justes limites les prétentions de l'Inquisiteur. Les fortifications commencées en 1670 furent achevées, sous le règne de Caraffa; les anciennes furent réparées; on ajouta de nouveaux ouvrages au Château-Saint-Ange et au Fort-Saint-Elme. L'Ordre n'eut à éprouver qu'un seul échec, ce fut lors du siège de Négrepont (1), que les alliés tentèrent en 1689 : il y perdit 29 Chevaliers. Le Grand-Maître, déjà malade, fut très-affligé de cette défaite et mourut peu de temps après. Frère Caraffa joignait à toutes les vertus militaires la plus grande humilité chrétienne, il aimait les pauvres et s'était fait aimer et vénérer de tous. Son corps fut déposé dans la chapelle de la Langue d'Italie, où il avait lui-même fait construire son tombeau. Voici aussi l'épitaphe qu'il avait composée deux ans avant sa mort : Frère D. Gregorius Caraffa Aragonius e principibus Rocellae, Magnus Hierosolymitani Ordinis magister, cui vivere, vita peracta, in votis erat, quia mortem primam qui praevenit, secundam evitat, hoc sibi ad huc vivens non mausoleum sed tumulum posuit. Resurrecturo satis. Ann. Doni. MDCLXXXVIII. Quand le Grand-Maître fut mort, le 19 septembre 1679, on grava aux pieds de la statue un éloge funèbre plus conforme à la tradition et plus détaillé, après avoir ajouté au mausolée le buste de Caraffa et les personnages allégoriques, dont un lui présente une couronne de laurier : Emeritos venerare cines, viator. Hic jacet Frère D. Gregorius Caraffa ab Aragonia, M. M. clarus genere, genio praeclarior. Heroas, quos in nomine gessit, in virtute expressit. Effusa Comitate, diffusis triumphis, populos habuit amatores, orbem fecit admiratorem. Bis ad Hellespontum, toties ad Epirum, Peloponesum, Illyrium, impertito ductu. praevalida ope, classes delevit, Regias expugnavit. Munificentia, pietate princeps laudatissimus. Urbem. Arces, Portas, Xcnodochia, Templa, ampliavit, restituit, ornavit. Publico semper Religionis bono curas impendit et studia. Aerarium ditissimo spolio cumulavit. Obiit die XXI. Julii, anno aet. LXXVI. mag. X. sal. MDCXC.

Sur les monnaies d'or connues, nous voyons : Saint Jean donnant l'étendard de l'Ordre au Grand-Maître; derrière le Saint : S. IO. BATTISTA; le long de la hampe: M E; au revers, l'écusson écartelé, avec la couronne fleuronnée et la légende : M. M. HOSP ET SS. H. DE. PRINC ROCELI; sur les pièces d'argent, les emblèmes ordinaires. De princ. Roceli (ou Rocc) veut dire : des princes de la Rochelle. (La famille Caraffa était illustre. On cite entre autres parmi ses membres, Antoine Caraffa, mort en 1693. Il entra en 1665 au service de l'Autriche, devint feld-maréchal, combattit les Turcs en Hongrie, et prit sur eux Munkaez et Belgrade, en 1688). Une médaille qu'on lui attribue est sans inscription, et l'écusson des Caraffa y est supporté par la grand 'croix de l'Ordre; c'est une raison pour nous de ne pas nous ranger à cette opinion : car les grands-maîtres n'ont jamais ainsi soutenu leurs armes.

20 — Frère Adrien de Wignacourt, (1690-1697)

Frère Adrien de Wignacourt, était le neveu du grand-maître, Frère Alofe de Wignacourt; il occupait la charge de trésorier, à la mort de Frère Caraffa. C'était un homme pieux et charitable. Il donna la preuve de ces vertus, aussitôt après son élection, en s'informant des familles des soldats morts dans les dernières campagnes de l'Ordre et en leur faisant distribuer son propre argent, exemple qui fut suivi par un grand nombre de Chevaliers. Il se souvint aussi de la mission première des Hospitaliers, qui était d'assister les nécessiteux et de soigner les souffrants, sans négliger toutefois la mission militante des moines-chevaliers de Malte. L'Ordre prit part, sous son magistère, au siège de La Canée, port important de l'île de Candie, que les alliés assiégèrent (1692). Les galères maltaises étaient commandées par le grand-prieur de Messine (Langue d'Italie); mais la mauvaise saison interrompit les opérations du siège et les galères de l'Ordre rentrèrent à Malte, au bout de vingt-quatre jours. En 1693, la Russie se mit pour la première fois en communication avec l'Ordre, pour le malheur à venir de celui-ci (Voyez en note, Lettre de Pierre, tsar de Moscou, lui notifiant sa victoire sur les Turcs et demandant la cession de Malte (1); puis, en cette même année, un tremblement de terre causa des ravages à Malte et en Sicile, où la ville d'Agosta fut presque entièrement détruite.
1. — Pauli (Codice diplomatico di Malta) cite d'après les Archives de Malte (Livre du Conseil d'Etat, fol 164, à l'année 1693) deux pièces qui établissent que la Russie avait dessein dès cette époque de s'approprier Malte.
(Nº CCCLXXV, p. 372) Lettre de recommandation de l'empereur Léopold, datée de Vienne, le 4 janvier 1698, en faveur d'un Envoyé à Malte du Tsar Pierre. On y lit : « ...Melitam quoque profiscisci cogitet, faciendum Nobis duximus pro eo, ac ipsum modo dictis nominibus magni facimus, atque Summi Pontificis Sanctitati impense commendavimus, Nostras etiam ei ad devotionem Vestram litteras dare... »
(Nº CCCLXNVI, p. 373) Lettre du Tsar de Moscovie, Pierre, au grand-maître, pour lui raconter ses victoires sur les Turcs. On y lit : « ...Nec dubitamus, quin secundum nostram declarationem haec occasio in tali opportuno tempore Vos etiam celebres Equites contra eosdem hostes magis magisque alacres effectura sit : quandoquidem vires hostis illius marinae ad tres partes possunt dividi, in mediterraneum mare, in Pontum Euxinum, ac ad fluvium Danubium in Hungariam.
Quod affectantes Nos magnus Dominus amandavimus ad Vos in Melitensem Insulam Intimum nostrum Boiarinum... qui cum ad vos appulerit, ut ipsi in nostram Tzareae Maiestatis gratiam ex bono vestro affectu apud vos in Melita degere cum omni ipsius Comitatu, ac supéllectili, quod secum habituTus sit, in quantum desiderabit, libere, et tute, ac in necessitatibus illius subvenire permittatis : pari modo in bellicis vestris marinis expeditionibus (in quibus omnipotens Deus contra eosdem communes Christianorum hostes efficiat Vos strenuos) sine recusatione, cum omni in necessitatibus eius libertate commorari penes vos concedatis. Cum vero ex Melita desiderabit a vobis remeare, illum pari recedatis. Apud nos vero Magnum Dominum... haec vestra benevolentia, semper in bona memoria persecerabit... Moscovia, anno ab orbe condito 7205, Mensis Aprilis 30 Die, Imperii 15 Anno. »

L'Ordre y avait des forges et des magasins, et le Grand-Maître envoya de prompts secours. Il fit aussi reconstruire des magasins plus vastes que ceux qui venaient d'être ruinés par ce cataclysme. La flotte fut fournie d'instruments et d'agrès, qu'on fit venir d'Amsterdam, et mise en état de tenir la mer avec avantage. Elle alla, en 1694, mettre le siège devant Scio (1) et s'empara de cette ville, au bout de huit jours.
1. — Scio ou Chios, île de l'archipel grec, près de la côte occidentale de l'Asie-Mineure, possédée par les Turcs depuis 1566. (Scio ou Chios est aussi le nom de la capitale de l'île.)

La bonne harmonie fut rétablie par le pape Innocent XII, entre l'Ordre et la République de Gênes, et beaucoup de Génois prirent l'habit des Hospitaliers. Frère Adrian de Wignacourt mourut, le 4 février 1697, et fut inhumé dans la chapelle de la Langue de France. On lit sur son tombeau :
Eminentissimi Principis
Frère Adriani de Wignacourt mortales exuviae
Sub hoc marmore quiescunt
Si generis splendorem quaeras,
Habes in solo nomine,
Habes in Affiuitatibus pene Regiis. Si Religiosae vitae merita spectes,
Charitatem erga pauperes, et infirmos indefessam,
Erga peste laborantes generosam,
Mirari poteris,
Et ita intemeratam morum innocentiam,
Ut mori potius, quam foedari voluerit.
Magni Alofii ex patre nepos,
Integritatis, fortitudinis, et Justiae laude simillimus,
Tanti principis famam est assecutus.
Vixit sanctissime, sanctissime obiit,
Anno salutis MDCXCVII.
Die februar. IV, aetat, Ann. LXXIX.

Ce que nous voulons avant tout faire remarquer, à propos des monnaies d'or, c'est que Wignacourt fut le premier qui fit frapper des pièces d'or de 4 sequins (1695), et que la légende de ces pièces ainsi que des autres monnaies d'or rappelle le titre complet de : Chevaliers de l'Hôpital et du Saint-Sépulcre de Jérusalem, que nous avons trouvée pour la première fois sur les monnaies, en 1660, et sur une médaille de Frère Antoine de Paule (1623-1636), M. M. HOSPITALIS ET S: SEP: HIERVSALEM. On a de lui une grande médaille ovale en bronze, 93 m. m. 78 m. m., sans revers, avec le buste, en cuirasse et en manteau, vu de face, et la légende : F. ADRIANVS DE WIGNACOURT M. M. H. s. SEP. La barbe est rasée et les cheveux sont taillés à la mode du temps.

Avec l'élection de ce grand-maître, nous approchons du commencement du XVIIIe siècle et nous allons voir l'Ordre se consacrer plus que jamais à la protection du commerce maritime de la Méditerranée, par la poursuite infatigable des corsaires, en pleine mer et jusque dans leurs ports de refuge. Frère Perellos était Aragonais : il avait 60 ans, lorsqu'il fut élu au magistère. Il déploya une grande activité pour la gloire et les intérêts de l'Ordre. Les Annales doivent enregistrer dans cet ordre d'idées, que ce fut sous son magistère que les Chevaliers entrèrent pour la première fois en relations avec l'empire schismatique du Nord, dont l'importance européenne commençait alors à s'affirmer. Nous voulons parler de la Russie. Pierre-le-Grand chercha à faire alliance avec l'ennemi traditionnel des Turcs. La solidarité d'intérêts qui existait dès ce temps-là, entre l'empire russe et l'Ordre de Malte, ne s'est jamais démentie depuis; mais, au fond, une alliance effective entre la Russie hérétique et l'Ordre essentiellement apostolique est une anomalie, tout aussi bien qu'entre cet Ordre et un Etat protestant. On le verra dans la suite de ces Annales, mais qu'il nous suffise de rappeler ici, que ce sont les schismatiques grecs qui firent perdre aux Chevaliers catholiques la garde du Saint-Sépulcre. En rapportant le dire des chroniques, au sujet du Czar Pierre et de l'Ordre, nous n'avons voulu que constater un fait, sur lequel nous ne croyons pas devoir nous étendre plus longuement.

Frère Perellos n'oublia pas la réforme des abus intérieurs qui s'étaient introduits dans le sein de la communauté. Il y en avait surtout un de très-nuisible, et Innocent XII admit sur ce point les représentations du Grand-Maître. Le Saint-Siège conférait des Bulles de Grâce, et, au moyen d'une de ces bulles, un chevalier pouvait se faire nommer grand-croix de grâce, puis, à la mort d'un Chevalier-grand-croix, il héritait de sa dignité. Les Chevaliers de Justice, qui avaient passé leur vie au service de l'Ordre, étaient ainsi frustrés de leurs droits acquis. Beaucoup d'entre eux étaient mécontents : ils abandonnaient la maison Chef de l'Ordre et se retiraient dans leurs familles, laissant ensuite tous leurs biens à leurs parents, en dépit des Statuts, ce qui causait un grave préjudice au trésor, en même temps que leur absence du couvent relâchait les liens qui les attachaient à la Religion.

Ayant reconnu qu'il fallait renforcer la flotte, il apporta tous ses soins à l'acquisition de vaisseaux de guerre. Il avait en vue de purger les côtes d'Espagne et d'Italie des écumeurs de mer qui les infestaient de nouveau, capturant les vaisseaux de transport ou enlevant les habitants pour les réduire en esclavage. Il chargea donc le chevalier de Saint-Pierre, capitaine dans la marine française, de rassembler cette flotte. En attendant, les galères continuaient leurs croisières et s'emparèrent entre autres d'une sultane de 80 canons. La nouvelle flotte, dont Saint-Pierre eut le commandement, prit la mer. en 1706. Elle fit voile immédiatement pour le Levant et rencontra bientôt trois vaisseaux tunisiens : elle en captura deux, qu'on incorpora à l'escadre. L'année suivante, le commandeur de Langon ravitailla la garnison espagnole d'Oran assiégée par les Algériens, passa avec son seul vaisseau de 50 canons à travers la flotte ennemie, qui essaya en vain de lui fermer le passage. Il fut nommé quelque temps après Lieutenant-général de la flotte de la Religion. Une escadre de huit vaisseaux turcs tenta, en 1709, une descente dans l'île de Gozzo; mais son approche fut à temps signalée, tous les habitants furent mis à l'abri; l'Ordre était en force et les Turcs s'éloignèrent, après avoir ramassé de long des côtes quelques embarcations sans importance. Une escadre turque ayant menacé la Calabre, le Grand-Maître envoya quelques vaisseaux donner la chasse aux Infidèles. Le commandeur de Langon coula à fond le vaisseau-amiral de Tripoli. L'Ordre perdit, l'année suivante, ce vaillant et habile marin. Il fut tué à l'attaque du vaisseau amiral d'Alger, tandis que la flotte qu'il commandait coulait à fond ce vaisseau. Le corps de ce valeureux marin fut inhumé à Carthagène (ville d'Espagne - Murcie) sous le grand autel de la cathédrale. Pour perpétuer sa mémoire, le Grand-Maître fit graver sur une pierre sépulcrale, dans la nef de l'Eglise-Saint-Jean de Malte, une inscription qui rappelle ses talents, son courage et ses vertus. De 1713 à 1715, on signale des prises nombreuses, faites par l'Ordre. Le sultan Achmet III se prépara à une expédition contre Malte. On raconte qu'un renégat était venu s'offrir à l'Ordre, pour organiser la défense, et que cet espion sut se faire montrer l'ensemble des fortifications, puis disparut sans laisser de traces. Mais un grand nombre de Chevaliers arrivèrent au couvent, apportant des subsides et amenant des renforts, et il est probable que le rapport de l'espion turc contribua à faire changer de résolution au Sultan, car il tourna ses armes contre la République, à laquelle il déclara la guerre (1716). Cet Etat demande aide et assistance au Grand-Maître, qui lui envoya une escadre de cinq vaisseaux de guerre et de quelques galères. Cette petite flotte rendit, pendant quatre ans, de grands services à la République, en s'emparant de plusieurs bâtiments de guerre et de navires marchands appartenant à l'ennemi.

Quand nous aurons parlé de la conduite, à la fois énergique et prudente de Frère Perellos, à l'occasion des tentatives faites par l'Inquisiteur de Malte, Dolci, pour s'arroger les plus grandes prérogatives dans l'Ordre, nous aurons fait connaître ce règne de vingt-deux ans. si favorable à la gloire des Chevaliers et au bien-être de la population. Dolci voulut placer l'Hôpital de l'Ordre sous sa juridiction. C'était un lieu privilégié; personne n'y était admis, avant d'avoir déposé les insignes de ses dignités; les Chevaliers qui le desservaient ne reconnaissaient d'autre supérieur que le Grand-Hospitalier (Langue de France). Les officiers de l'Inquisition s'y introduisirent par subterfuge, et, une fois introduits, firent une visite d'inspection formelle; mais le commandeur d'Avernes du Bocage, surintendant de l'Hôpital, l'ayant appris, les congédia. Le Grand-Maître envoya immédiatement à la Cour de Rome le grand-prieur Zondadari, pour se plaindre de cette tentative. Zondadari, qui était tenu en grande estime par Clément XI, réussit dans cette délicate mission.

Frère Perellos mourut, en 1720, à l'âge de 82 ans. Son mausolée est à médaillon et à buste, surmonté des armes écartelées et sommées de la couronne. Il est entouré d'étendards et de trophées. On y voit un amour tenant le faisceau des licteurs, puis deux femmes représentant la générosité et l'histoire. En voici l'épitaphe : D. O. M. Eminentis. principi Frère D. Raymundo Perellos de Roccafull, clarissimo genere nato, et virtutum suffragio ad magnum magisterium erecto : qui omnibus aeque carus. magnorum etiam principum praeconiis commendatus, et praeter ceteras animi egregias dotes, justifia praecipue et caritale conspicuus, mirari ab omnibus potuit, puriter et amari. Apprime munificus, nullius merita sine premio demisit : erga Christi pauperes summe misericors, eorum custos verius voluit esse quam dici. Erga deum et superos vere religiosus, assiduis fundendis precibus, templis pretiosa supellectili. ministris insigni habitu decorandis magnopere intentus, sui pene visus est oblivisci, qui demum portu aedificiis ornato, additis propugnaculis, quatuor navibus bellicis aucta classe, magna non semel pecunia vi in commune bonum erlargita, ita ut suum exhausisse aerarium credi potuisset. Ter centena aureorum millia publici aerarii rationibus inferenda, post XXIII annos optimi principatus, pie moriens, reliquit. Obiit die X Jan. MDCCXX. Aetat. suae LXXXIV.

Les monnaies d'or que l'on possède de ce grand-maître, sont de 10 sequins, de 4, de 2 et de 1 sequin. Celles de dix ont, à l'avers, l'écusson écartelé, aux côtés de la couronne Zx, les armoiries supportées par deux branches de palmier et la couronne ducale, puis la légende : F.RAYMVN: PERELLOS. ET. ROCCAFVL. M. M. H. H.; au revers : Saint Jean donnant l'étendard à un guerrier armé, avec le casque à panache et la croix de l'Ordre jusqu'au bas de la cotte de mailles, les millésimes 1699 ou 1705 et la légende : PIETATE (Croix de Malte) VINCES. D'autres ne varient que par le z (z 4. z 2. z 1). Sur celles de 1717 et de 1719, à l'avers, buste du grand-maître tourné à gauche, avec cuirasse et perruque Louis XIV; au revers, les armes écartelées avec la légende : (Croix de Malte) M. M. HOSP. ET. S. SEPVL. HIERVSALEM. Il y en a d'autres de 2 sequins, où l'écusson est à l'avers et où se trouvent, au revers, l'archange Saint Michel, la croix de l'Ordre sur la poitrine, l'étendard dans la main gauche et le glaive dans la droite, puis la légende : MIHI GLORIA HOSTIBVS EXITVM (OU EXITIVM). Les autres monnaies appartiennent aux types antérieurs. Nous retrouvons aussi des pièces fiduciaires, avec les armes et le : NON AES SED FIDES et les mains enlacées, de 1707 (v) et de 1719 (X). On ne connaît qu'une seule médaille de ce grand-maître, mais elle est très-curieuse. Elle est d'argent, elle mesure 29 m. m. et pèse 10 gr. 27 cgr. A l'avers, les armes avec la couronne ducale et la légende : FR. D. RAIMONDVS DE PERELLOS M. M. HO. H.; au revers, l'image de la Sainte-Vierge, dans la parure roide et naïve des types byzantins.

22 — Frère Marc Antoine Zondadari, (1720-1722)

Ce gentilhomme de Sienne (Langue d'Italie), neveu par sa mère du pape Alexandre VII, entra dans l'Ordre de bonne heure; il dut son élévation rapide aux plus hautes dignités, à l'intrépidité dont il fit preuve en diverses circonstances. Dès 1707, il était grand-écuyer et conseiller-intime de Frère Perellos; c'est à lui que la flotte nouvelle était due en partie ; c'est lui qui mena la négociation délicate avec le Saint-Siège, dont nous avons parlé, sous le magistère précédent. Son élection fut accueillie avec joie par tout le peuple : on connaissait sa charité, son amour de la discipline, sa sollicitude pour le bien public. Pendant les deux années de son règne, la flotte de l'Ordre continua à purger la mer des pirates et fit d'importantes captures, parmi lesquelles il faut noter le vaisseau-amiral d'Alger, armé de 80 canons et monté par 500 soldats, la reprise d'un bâtiment chrétien et d'autres prises sur les corsaires tunisiens.

Frère Zondadari mourut, le 6 juin 1722, après une douloureuse maladie qui dura plus de six mois. Son règne d'une si courte durée est encore marqué par des règlements et des mesures fort sages. Il resserra les liens de la discipline qui se relâchait, répara les fortifications, pourvut à l'abondance et à la richesse des aumônes, fit prospérer le commerce de l'île. Il n'y avait qu'une voix sur la sagesse de son gouvernement. On a de sa main un opuscule intitulé :
Courte Instruction sur l'Ordre militaire des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Son mausolée est dans la nef de l'Eglise-Saint-Jean et non dans la chapelle de la Langue d'Italie. Il est d'un bon style : entre deux colonnes, surmontées de deux anges se couvrant du bouclier, sont les armes écartelées avec deux ailes en support et la couronne. Le grand-maître est couché sur le sarcophage, tout armé et tenant son bâton de commandement, accoudé sur le bras droit; deux anges soulèvent le drap qui le couvrait, et, par derrière, sont rangées des piques debout; deux anges à demi voilés, postés au dessus du socle, tiennent, l'un la croix, le calice et les Evangiles, l'autre l'ancre et la discipline. Ces symboles sont rendus plus compréhensibles par l'inscription tumulaire, ainsi conçue : D. O. M. Frère M. Antonio Zondadario senensi, magno magistro. ex ansano Zondadario et agnete Chigia Alexandri VII. P. M. (Pontificis maximi) fratis filia progenito, gemina apud summum pontificem legatione classisque totius praefectura difficillimis temporibus praeclare functo, summis Europae principibus probatissimo, christianae et militaris disciplinae vindici, re navali plurimum aucta, insilaque novis munimentis instructa, de suis equitibus optime merito, pio. hospitali, magnanimo... Obiit a. D. M DCC XXII. Aetat. suae LXIV. principatus III. Le coeur de Zondadari fut porté à Sienne, et placé dans la Cathédrale, sous sa statue, près de la chapelle de Saint-Jean-Baptiste, avec cette inscription : Eminent. princ. Fr. Marco Antonio Zondadario, sacrae domus hospitalis Jerusalem magno magistro. Condito hic ejus corde, Fr. Gaspar Gori, Mancini, meliten. episcopus, a supremis sun ordinis et siciliae regni consiliis, decreto publico sorenensi (de Sienne) patrono gratus et patriae MD. A. D. MDCCXXVI.

Une pièce d'or de 4 sequins porte au revers l'écusson écartelé avec la couronne ducale (1722); une autre, l'inscription dans une moulure : QVI DAI PAVPERI NON INDIGERIT; toutes deux, à l'avers, le buste tourné à gauche, avec la croix dessus, et avec la perruque Louis XIV et le jabot. La légende, au revers, est : M. MAGISTER HOSPITALIS ET. s. s. SEPVLCHRI. HIERV : plus on moins abrégée. Une de 1 sequin a, au revers, Saint-Jean donnant l'étendard à un Chevalier à genoux et la légende: PIETATE VINCES. Un carlin d'argent a, d'un côté, la croix dans un écusson porté par deux palmes et surmonté de la couronne ducale, de l'autre, une branche à trois roses, avec la légende: GRATIA OBVIA VLTIO QVAESITA. On a une médaille de Zondadari en bronze, 40 m. m.; à l'avers, le buste comme ci-dessus, avec la légende: F. MARC. ANT. ZONDADARI. P. MAS. S. H. H.; au revers, David retirant le miel de la gueule du lion, avec le millésime de 1721 et la devise: DE FORTE EGRESSA EST DVLCEDO.

23 — Frère Antoine Manoël de Vilhena, (1722-1736)

le successeur de Frère Zondadari, avait successivement revêtu toutes les dignités de l'Ordre, et sa valeur s'était montrée dans plusieurs rencontres avec les corsaires. Ce choix fut justifié: il gouverna sagement, pendant 14 années, les affaires de l'Ordre. De son règne date en particulier la réforme du système monétaire de Malte, dont nous nous occuperons, mais enregistrons d'abord les faits les plus saillants qui se sont passés sous ce magistère. Et d'abord, notons que c'est sous son règne que le pavillon espagnol, qui avait flotté jusque là sur la Cité-Victorieuse, comme un témoin de la suzeraineté étrangère, fut remplacé par le pavillon de l'Ordre. Le fait a son importance.

Un esclave turc, qui avait été racheté par l'Ambassadeur ottoman à Paris, retourna à Stamboul; il avait étudié les fortifications de Malte et sut persuader au Sultan d'envoyer une flotte contre l'île des Chevaliers, en assurant qu'à l'approche des vaisseaux turcs, tous les esclaves prendraient les armes, et que de cette manière la conquête de l'île serait rendue très-facile. Le Grand-Maître, informé de ce projet, se disposa à recevoir les Infidèles. On ajouta à la Cité-Valette un faubourg bien fortifié; on construisit sur l'ilot existant dans le port de Marsa-Muscet, un fort qui fut baptisé du nom de Fort-Manoël, et l'on enferma les esclaves en lieu sûr et sous bonne garde. L'amiral ottoman, en arrivant à la tête de la flotte infidèle, trouva les fortifications armées et défendues par les Chevaliers, et, après une démonstration inoffensive de son artillerie, il se retira en laissant une lettre à l'adresse du Grand-Maître qu'il menaçait, avec une jactance tout à fait orientale, des plus grands malheurs, s'il ne mettait pas en liberté les esclaves turcs. Le Grand-Maître répondit avec dignité, qu'il était prêt à un échange de prisonniers. Des négociations s'entamèrent même à Constantinople, sous les auspices de l'Ambassadeur de France, et l'on fut sur le point de conclure une trêve de vingt ans (1723). La jalousie du Capitan-pacha fit échouer ces négociations (1). Le traité projeté était acceptable, car le droit de combattre les corsaires y était réservé. L'Ordre était placé sur la même ligne que la France vis-à-vis de la Porte (capitulations); enfin, il était stipulé que si, dans l'intervalle de ces vingt années, la Turquie était en état de guerre avec une puissance chrétienne, le traité serait nul de plein droit. Le pape Benoît XIII voulut, à cette occasion, témoigner au Grand-Maître son estime, et lui envoya, en 1725, de magnifiques insignes, qui se composaient de l'estoc et du casque bénits solennellement à la fête de Noël. D'après l'Abbé Vertot, l'estoc était une épée d'argent doré, longue d'environ cinq pieds, et le casque une espèce de bonnet de velours pourpre, brodé d'or, garni d'un Saint-Esprit de perles. C'était là un rare honneur pour l'Ordre et son chef : on célébra, à Malte, à cette occasion, les fêtes les plus brillantes; puis de magnifiques inscriptions furent placées au palais des grands-maîtres et à l'Eglise-Saint-Jean, pour perpétuer ce souvenir.
1. — Le capitan-pacha est le grand-amiral de l'empire ottoman. Sa charge est la seconde de l'Etat : il n'a au dessus de lui que le Grand-vizir.

L'apparition de la flotte turque avait rendu l'audace aux pirates. Deux vaisseaux de l'Ordre capturèrent deux corsaires tunisiens; puis, en 1728, la flotte maltaise bombarda Tripoli, et, quatre ans plus tard (24 novembre 1732), elle s'empara du vaisseau du contre-amiral, la sultane Kali-Michamet, dans un combat naval qui dura une demi-journée et une nuit entière.

Frère Vilhena mourut le 12 décembre 1736. Le dernier acte de son administration fut la fondation d'un asile pour les mendiants et les jeunes filles pauvres. Son mausolée est à médaillon; il est très-richement orné de sculptures. Au dessus du socle, décoré de faisceaux et de chaînes sur ses faces, est le sarcophage, porté par deux lions d'armes; des anges tiennent de chaque côté l'estoc et le casque bénits ; au milieu du sarcophage, reposent sur un coussin les insignes du magistère. Plus haut, dans les draperies, planent l'ange de la Renommée et un autre ange qui soulève celles-ci pour mettre à nu l'écu aux armes écartelées, sommé de la couronne. L'épitaphe du socle est ainsi conçue : D. O. M. Hic jacet M. M. Frère d. Antonius Manoël de Vilhena, regia e stirpe ortus, qui ad supremum magistrii culmen ob virtutem erectus, magis natus quam electus princeps videbatur. Vix suscepto imperii gubernaculo, arcem sui nominis condidit, vere pater pauperum, xenodochia fundavit. Mira mentis fortitudine praeditus, vel magna cogitabat, vel exsequebatur. Memento, viator, quod ubi gressum in his insulis sistes, pietatis ejus, munifcentiae, securitatis, amoenitatis monumenta ibi inveniens. In acerrimis ultimi morbis cruciatibus, summa ejus religio et patientia emicuere. Obii pridie idus decembris A. MDCCXXXVI. Aetatis suae LXXIII magisterii vero XV. Nous sommes obligés de nous arrêter un peu longuement aux monnaies de ce magistère, à cause de la grande réforme qu'inaugura Frère Manoël de Vilhena. Cette réforme était devenue nécessaire: les sequins magistraux étaient à un titre inférieur à celui des doublons d'Espagne et des autres monnaies d'or étrangères. Parmi les pièces d'or, on possède des pièces de 12 sequins (1725), de 10 sequins (1722), de 4 sequins (1723 et 1724), de 2 sequins (1723, 1724, 1726), de 1 sequin (1724 et 1725); des pièces d'argent de 1 et de 2 écus (1723-1725); des 8 taris (module des 4 sequins d'or), 6 taris, 4 taris (1721-1728), 2 taris et 1 tari; des carlins de cuivre (modèles fiduciaires 1726-1734); des grains de cuivre (1734-1736). Ce sont toujours les types précédents, pour les légendes et emblèmes. Les 2 écus nous montrent les armes de l'Ordre, et les armes de Manoël de Vilhena écartelées avec celles de l'Ordre, accotées sous une couronne ducale. Les 8 taris furent retirés de la circulation, à cause de leur ressemblance avec les 4 sequins, qui facilitait la fabrication de la fausse monnaie par un simple procédé de dorure.
Les médailles de Vilhena sont curieuses. Voici d'abord celle frappée pour la construction du Fort-Manoël; elle est de bronze et a 36 m.m. Avers : F : D. AN. MANOEL DE VILHENA M. M. Buste à gauche, perruque, cuirasse avec la croix; revers : * ARX DA MARSAMUCIETUM IN VALETTE TUTELAM ET SECURITATEM POSITA AN . MDCCXXIII (Nous appelons l'attention sur l'U remplaçant le V, pour u) * (Croix de Malte) *. Voici ensuite celle frappée en commémoration de l'ouverture du nouveau port: elle est d'argent et a 52 m. m.; avers, de même; revers, le nouveau Fort-Manoël et la légende : PORTVS MAESAMVSCIETVM, au bas à droite, la ville et le mot VALETTA, autour: AD . VLTIONEM . INIMICORVM . ET VALETTE . TVTAMEN .1724.
Voici celle de bronze, d'un dessin très-bon, frappée en 1725, pour l'achèvement du Fort-Manoël: elle a 97 m. m.; avers, buste très-soigné, légende: F * D * AN * MANOEL DE * VILHENA * M * M * ; revers: TERRAQ * MARIQVE; un guerrier en habit de l'Ordre, à l'antique, tient une épée à la main droite et à la main gauche un bouclier aux armoiries du grand-maître (pour Manoël), dont il se couvre; à ses pieds, un lion rampant (pour Vilhena), des armes, une tablette portant ETERNITAS, et une autre avec couronne de lauriers. Dans le fond, à droite, le Fort-Manoël, surgissant des îlots, avec l'inscription: MANOEL, et, à gauche, un vaisseau de guerre pavoisé et armé; au bas, l'exergue : FORTES CREANTUE FOETIBVS.
Voici enfin celle frappée en MDCCXXIX, pour rappeler l'envoi des insignes par Benoît XIII. Elle est de bronze et a 96 m. m.; avers, buste et légende, comme ci-dessus; revers: INSIGNIS * GLORIA * FACTI. La Foi présente à un guerrier antique, ayant à sa gauche un lion rampant, un casque et une épée sur un coussin. A gauche de la Foi, deux anges tiennent, l'un la croix et le calice, l'autre un livre et un encensoir; sur un autel, la tiare et les clefs de Saint-Pierre. Le guerrier foule aux pieds des armes turques et un bouclier sur lequel sont figurés des croissants.

24 — Frère Raymond Despuig, (1736-1741)

Il avait été lieutenant du Magistère, sous ses trois prédécesseurs immédiats. Homme religieux et intègre, il était cependant, dit-on, un peu faible de caractère et soumis à l'influence de son entourage. Son règne n'offre rien de remarquable que la continuation de la course contre les corsaires, auxquels la flotte maltaise captura entre autres une tartane tripolitaine et deux frégates algériennes, de 40 canons chacune. Il mourut à Malte, le 15 janvier 1741. Son tombeau se compose d'un sarcophage de marbre, sans autres ornements que deux médaillons, l'un à ses armes, l'autre avec son buste qui nous montre les deux croix de l'Ordre que les grands-maîtres portèrent alors, comme marques de la dignité suprême. L'épitaphe commence par ces mots: Fr. D. Raymundus H. H. M. M... et rappelle sa haute naissance: ...ex praeclara balcaria gente exortus, inclytae hicrosol. militiae nomen dédit... Elle énumère ensuite ses vertus et ses oeuvres. Les dates sont indiquées en ces termes: ...Obiit XVIII Cal febr. MDCCXLI, Aet. suae, LXXI. On n'a pas de monnaies d'or de ce grand-maître, mais on en a d'argent et de cuivre. La couronne ducale y est doublée dans les pièces du plus grand module. Il y a des monnaies fiduciaires.

25 — Frère Emmanuel Pinto, (1741-1773)

Le règne de ce grand-maître fut un dès plus longs dont la Chronique fasse mention. Les premières années de son magistère ne nous offrent de notable que le bannissement des Jésuites, qui devaient du reste être supprimés pour un temps, en 1773, par le pape Clément XIV. Mais, en 1758; on découvrit une conspiration formée par Moustapha, pacha de Rhodes, prisonnier de guerre à Malte, où il était traité avec les égards dus à son rang. Il avait formé le projet d'assassiner le Grand-Maître et les principaux Chevaliers, en armant les esclaves, espérant pouvoir ensuite s'emparer de l'île, à la faveur du désordre que cela occasionnerait. Les pachas de Tripoli et des états barbaresques devaient fournir des troupes, pour appuyer les conjurés, aussitôt que le signal de la révolte serait donné. L'esclave faisant le service de Pinto devait le frapper d'un poignard empoisonné. Mais cet esclave, nommé Imseletty, recula trois fois au moment voulu devant l'exécution, lorsqu'il se trouva en présence de son maître endormi. Les conjurés gagnèrent ensuite un cuisinier turc, pour qu'il empoisonnât les mets servis au grand-maître: mais le cuisinier recula aussi devant l'exécution. Deux des conspirateurs dénoncèrent leurs complices; le pacha fut mis à la torture et avoua le complot. On arrêta sans retard deux cents conjurés, dont trente-quatre furent condamnés au dernier supplice. Frère Pinto fut le premier qui porta le titre d'Altesse Eminentissime et surmonta ses armes de la couronne de prince; on dit qu'il en agit ainsi, pour donner plus de poids aux négociations qu'il avait entamées, afin d'obtenir la souveraineté de l'île de Corse qui, sous la conduite de Paoli, venait de s'affranchir de la domination de Gênes. Mais le Ministre du Roi de France mit un terme à ces négociations. L'indépendance de Malte fut un instant menacée par Charles III, roi des Deux-Siciles (1), auquel l'île avait été concédée par son père, Philippe V d'Espagne, et qui réclama le droit d'envoyer dans cette île un visiteur apostolique. Le Grand-Maître s'y opposa, et le roi Charles III répondit à ce refus par la séquestration de tous les biens des Chevaliers dans ses Etats. Frère Pinto tint bon et le Roi finit par renoncer à ses prétentions. L'influence de la France qui dominait dans le conseil empêcha, dit-on, les Chevaliers de poursuivre leurs entreprises contre les vaisseaux ottomans; mais si cela est vrai, il faut aussi ajouter que cette influence préserva Malte d'une incursion turque, à la suite de la capture par l'Ordre d'un vaisseau de 78 canons, nommé le Grand-Seigneur, que des esclaves chrétiens révoltés prirent et conduisirent dans le port de Malte. Louis XV envoya un ambassadeur au Grand-Maître, acheta la prise et en fit présent au Sultan turc, afin de l'apaiser.
1. — Charles III (en Espagne), Charles IV (dans les Deux-Siciles).

Frère Pinto construisit plusieurs édifices publics : on lui doit le Palais-de-Justice, dont il décora le fronton des statues de marbre de la Justice et de la Vérité ; dix-neuf magasins sur le môle du Grand-Port et dix-neuf autres près du Fort-Saint-Elme. Il fit planter un grand nombre de mûriers, afin d'augmenter par la sériciculture les ressources de l'île. Il commença la Douane et acheva le Fort-Chambray, sur l'île de Gozzo, à la construction duquel le commandeur de Chambray avait déjà consacré une partie de sa propre fortune. La Bibliothèque, commencée sous le magistère de Frère Alofe de Wignacourt, fut ouverte au public, à la suite d'un don de 4.030 volumes, provenant de la bibliothèque très-riche du cardinal Porto Carrero, fait à cette condition expresse (1761). Il réforma la justice, consacra une partie de ses revenus à l'établissement du Mont-de-piété de la Cité-Valette, et à la construction de navires légers pour la course, ouvrit le port-franc de Malte afin de faciliter le trafic maritime, fit protéger l'ile contre la peste de Messine (1743) par l'établissement d'un cordon sanitaire, fit reconnaître son ministre à Rome, en qualité d'ambassadeur, par le pape Benoît XIV (1746) qui lui envoya, comme à Frère Manoël de Vilhena, son prédécesseur Benoît XIII, l'estoc et le casque bénits. Sous son règne, Louis XV. roi de France, par sa patente de juin 1769, enregistrée au Parlement de Paris, le 1er août de la même année, accorda aux Maltais tous les droits des régnicoles dans ses Etats, « Le roi, dit cette patente, voulant reconnaître les preuves d'attachement données par la nation maltaise, tant à son service qu'au bien du commerce de son royaume, en s'employant soit sur ses vaisseaux de guerre, soit sur les navires marchands, ordonne que les Maltais, de quelque condition qu'ils soient, nés ou à naître dans les îles de Malte, Goze et Cumin, soient tenus pour regnicoles dans le royaume, et qu'à ce titre ils puissent s'y établir, y commercer, y acquérir, disposer de leurs biens par donation entre vifs, testament, codicille, ou tel autre acte, sous clause de réciprocité de ne pouvoir porter les armes ni par terre ni par mer, pour le service d'aucune puissance avec laquelle la France serait en guerre, et de n'être pourvus d'aucuns offices ni bénéfices de quelque nature qu'ils soient, sans avoir préalablement obtenu des lettres de naturalité. » Les liens étaient désormais étroits entre Malte et la France, comme ils l'avaient toujours été entre l'Ordre et le royaume qui possédait trois Langues sur les huit, entre lesquelles les Chevaliers se répartissaient depuis des siècles. C'était là un fait à constater, d'autant plus qu'après 1774 le roi Louis XVI maintint cette concession et y ajouta des faveurs pour la Bibliothèque, à laquelle il ordonna d'envoyer un exemplaire de tous les ouvrages qui sortiraient de l'imprimerie royale.

Frère Pinto mourut, le 24 janvier 1773, à l'âge de 92 ans. Son mausolée à l'Eglise-Saint-Jean, de Malte, est formé d'un socle, orné de l'écu aux armes écartelées, sommé de la couronne fermée, accoté de deux branches de laurier; le sarcophage posé sur ce socle est surmonté d'un obélisque, auquel s'appuie le médaillon du défunt, avec une Renommée à droite, et, à gauche, un ange renversant son flambeau.
L'épitaphe est courte et simple : B. O. M. Emin. Pinto hier. ord. m. m. rexit. ann. XXII. vixit. ann. XCII. obiit MDCC LXXIII Amor grate posuit.

Nous voyons sur les pièces d'or la couronne doublée, ensuite la couronne fermée sur une pièce de 4 sequins, sur une de 2 sequins et sur une de 1 sequin. A partir de 1761, nous trouvons les écus d'or (S. 20), avec les armes de l'Ordre, au revers, supportées par la croix de Malte avec le collier, puis surmontées d'une couronne fermée, ou bien, avec les deux écus de l'Ordre et du Grand-Maître, accotés sous une couronne fermée, au dessous, deux rameaux d'olivier d'où pend une croix de l'Ordre, et, au revers, Saint Jean avec l'étendard de l'Ordre dans la main droite et à ses pieds l'Agneau; au dessous: S. XX; en légende: NON SVRREXIT MAIOR. Mêmes observations pour celles de dix ou de cinq écus, et pour les taris d'argent. Monnaies fiduciaires, avec la tête de Saint Jean ou avec l'écusson du Grand-Maître. La couronne semble avoir été adoptée depuis 1742. Nous relevons deux devises nouvelles: ONVS MEVM LEVE EST, 1741, et: CONCVTIATIS NEMINEM (1742. 1752).
Les médailles sont très-nombreuses. Nous en citerons deux :
1 — Une médaille de bronze doré, 56 m. m. frappée à l'occasion de la prise de possession du magistère: Buste à droite, cuirasse, croix de l'Ordre, perruque à la mode : F. EMMANVEL PINTO M. M. H. ET S. S. H.; au revers, la Religion avec l'étendard de l'Ordre présente au grand-maître un homme à genoux tenant deux clefs ; derrière cet homme est la Cité-Notable. Millésime : A.D.MDCCXXXXI.
2 — Une médaille de bronze doré, 37 m. m. ; buste à gauche (de trois-quarts, dans un autre exemplaire), légende: F. D. EM. PINTO M. M. S. R. H. P. M. (magnus magister sacrae religionis hievosolimitanae princeps melitae) : au revers: HEIS DVCIBVS MDCCLXV. La mer éclairée par le soleil, sur la rive l'épée debout et le serpent de Saint Paul, à droite une galère, à gauche un palmier et le croissant de la lune.

26 — Frère François Ximenes de Texada, (1773-1775)

Il était prieur de Navarre (Langue d'Aragon) et sénéchal de Frère Pinto, auquel il succéda. Il appartenait à une grande famille d'Aragon et il avait gagné la confiance de ses Chevaliers par ses manières caressantes et affables, ainsi que par la promesse de gouverner tout autrement que son prédécesseur. Il était intelligent et courageux; mais, fier et violent au fond, il se démasqua bientôt, et perdit l'affection de l'Ordre et de la population. Pour remédier aux grandes dépenses de Pinto, il supprima diverses charges, diminua le traitement des autres et abolit à l'Université les chaires confiées à des étrangers. L'augmentation du prix des grains, par suite de l'établissement de droits d'entrée mit le comble à l'exaspération de la population. Don Gaëtan Manarino se plaça à la tête du mouvement : il s'empara le 1er septembre 1775, du Fort-Saint-Elme et de la Tour-Saint-Jacques. Cependant les rebelles ne furent pas secondés : le chevalier d'Hannonville reprit la Tour-Saint-Jacques par escalade, à la tête de cent soldats; on n'y trouva que quatre rebelles. Se voyant abandonnés par la population, ceux qui tenaient Saint-Elme offrirent de se rendre. On leur accorda l'impunité et on leur promit de respecter les privilèges de la nation. Mais Frère Ximénès allait, dit on, au mépris de la capitulation, les faire interroger et passer en jugement, quand il tomba malade à l'improviste et mourut, le 11 novembre 1775, à l'âge de 72 ans; il ne lui fut pas élevé de mausolée, une simple dalle en pierre de Malte recouvrit son cercueil et l'on y grava cette courte épitaphe : Fr. D. Franciscus Ximenes de Texada, m. m. electus XXVIII Januarii Ann. MDCCLXXIII, obiit XI novembris ann. MDCCLXXV.

Les écus d'or de ce grand-maître ont le buste tourné à gauche et les écus accotés sous la couronne fermée, avec la légende: FR. D. FRANCISCVS XIMENES DE TEXADA 17 (Croix de Malte) 73, et, au revers: (Croix de Malte) M. M. H. ET SANCTI SEPVLCHRI IEVRSALE, ou bien des abréviations différentes et les armes de l'Ordre adossées à la croix à huit pointes, avec collier et couronne fermée (20 et 10), millésime 1774. Les écus d'argent et taris ont les mêmes emblèmes; un tari a le rameau d'olivier et la palme sous l'écu. On a de Ximénès une médaille de deux modules différents, d'argent et de bronze, 47 et 39 m. m.; elle porte pour légende: TEMPORVM FELICITAS MDCCLXXIII, deux cornes d'abondance, au milieu, deux épis de blé, au centre de ceux-ci, le caducée. Buste tourné à gauche, avec la cuirasse et la croix, et la perruque à marteaux. Légende : F. D. FRANCISCVS XIMENES DE TEXADA M. M. S. S. HIE. L'allégorie à la paix et à la prospérité sous ce magistère est-elle une protestation, ou est-elle conforme à la vérité ?

27 — Frère Emmanuel de Rohan, (1775-1797)

Il appartenait à cette illustre maison de Bretagne qui avait pris pour adage : Roy ne puy, Duc ne doygne, Rohan suy ! Son père, ayant été accusé de participation à une conjuration fomentée, en 1720, par la Cour de Madrid, s'était réfugié en Espagne et avait été condamné à mort par contumace, à Paris. Emmanuel servit d'abord comme officier aux gardes du roi d'Espagne, puis il fut nommé grand-écuyer de l'Infant, duc de Parme, et même chargé d'aller à Vienne recevoir l'Archiduchesse d'Autriche, fiancée de ce prince. Ensuite il se rendit à Paris, où il parvint à faire réhabiliter la mémoire de son père. Il entra alors dans l'Ordre et, grâce à la haute protection de la Princesse de Marsan, gouvernante des Enfants de France, il fut bientôt nommé bailli et capitaine-des-galères. Rohan joignait à la noblesse de son origine les qualités les plus brillantes : il sut se faire aimer par sa bonté. Il unissait à l'énergie du caractère, la douceur de l'abord qui tempérait en lui l'orgueil de race. « J'aime mieux, disait-il, non sans hauteur, mériter des éloges que d'en entendre. » A la mort de Frère Ximénès, il fut élu grand-maître et le peuple ratifia unanimement cette élection. Les Chevaliers de la Langue de France qui, depuis frère Adrien de Wignacourt, n'avait pas donné de grand-maître à l'Ordre, offrirent des fêtes magnifiques, pour célébrer cet heureux événement.

Le nouveau dignitaire justifia les espérances qu'on avait fondées sur lui. Les premières mesures qu'il prit, lui concilièrent l'Ordre tout entier. On enleva les têtes de trois révoltés que Frère Ximénès avait eu le mauvais goût, dans ce siècle de civilisation, de faire exposer au haut de la Tour-Saint-Jacques, comme des témoins de la sédition et du châtiment; on amnistia les détenus politiques et l'on fit remise aux débiteurs du trésor de leurs dettes : Rohan paya pour eux. Il distribua d'abondantes aumônes, restreignit le droit de chasse des Chevaliers et inaugura les audiences publiques. Il fonda la chambre de commerce, formée des Chevaliers les plus instruits sur les questions économiques et de notables de l'île. Pour relever l'agriculture, il supprima tous les droits sur les céréales.

La convocation du Chapitre général, tenu en 1777, fut un des actes importants de son magistère : il y avait 146 ans que l'Ordre n'avait plus exercé cette prérogative. Il racheta aussi un grand nombre des commanderies que l'Ordre avait possédées en Pologne et qu'il avait perdues après le démembrement de ce royaume par la Russie, l'Autriche et la Prusse (1772), et il créa un nouveau grand-prieuré de Pologne (1777). Ce fut le premier pas d'une politique d'alliance avec l'empire schismatique, à laquelle nous n'hésitons pas à attribuer en première ligne la perte de Malte par l'Ordre (1).
1. — Saint-Allais. L'Ordre de Malte. Un Prince de la famille de Sangusko avait fait en Pologne une fondation en faveur de l'Ordre de Malte; elle avait été sanctionnée par plusieurs diètes dans le XVIIe siècle, et néanmoins on s'en était emparé au détriment de l'Ordre. Le Bailli de Sagranioso, de la Langue d'Italie, nommé ministre de l'Ordre en Pologne, fut chargé, en 1772, de faire les réclamations nécessaires; sa négociation ne fut point infructueuse, et, en 1780, il vint en annoncer le succès au Couvent. Les biens que l'Ordre possédait en Pologne consistaient :
1. — En deux commanderies, qui lui avaient toujours été conservées, mais dont on avait cessé de percevoir les responsions;
2. — En un grand-prieuré;
3. — En six commanderies situées dans l'ordinatie d'Ostrog, payant annuellement 24.000 florins de Pologne, ou près de 6000 écus maltais; en huit commanderies patronales, taxées à 6700 florins, ce qui devait faire monter annuellement les responsions de Pologne à 7740 écus environ, sans compter les passages, les dépouilles les mortuaires et les vacants. Leur situation dans le district d'Ostrog, en Wolhynie, les fit passer, dans le démembrement de la Pologne, sous la domination russe... En vertu du traité de 1773, l'Ordre avait acquis en Pologne un revenu annuel de 120.000 florins de ce pays. Paul résolut de porter ce revenu à 300.000 florins, payables par la trésorerie de l'Empire, et il demanda de substituer au titre de grand-prieuré de Pologne celui de grand-prieuré de Russie. Le traité fut signé par Besborodsko et Kourakin, et par le Bailli de Litta, le 15 janvier 1797. Cette convention eut pour l'Ordre les plus funestes conséquences.

Les Chevaliers firent preuve de beaucoup de zèle et d'esprit de charité, en 1783, à l'occasion d'un tremblement de terre, qui désola les côtes de Sicile et les Calabres. La réforme des Statuts de l'Ordre, commencée en 1725, sous le règne de Frère Manoël de Vilhena, fut terminée et les nouveaux Statuts furent approuvés par le pape Pie VI, en 1779. Ils ne différent que peu, dans cette nouvelle rédaction, des anciens qu'ils répètent et dont ils rappellent la confirmation par Sixte-Quint et Paul V (1). Les nouveaux Statuts se divisent en deux parties. La première renferme la liste des grand-maîtres, puis la Bulle de Pie VI; elle traite ensuite des rapports avec l'extérieur, elle rappelle enfin les privilèges conférés à l'Ordre par les papes. La deuxième renferme, en 22 chapitres, les points les plus importants de discipline, à l'intérieur, et réglemente l'administration des biens de l'Ordre. Les Chevaliers durent, comme à l'origine, se consacrer au soin des malades : chaque semaine venait le tour d'un chevalier qui avait à remplir ses devoirs d'hospitalier. Afin de rendre, meilleure l'administration de la justice, les Lois furent aussi réformées et le nouveau code fut promulgué, en 1784, sous le titre de : Droit municipal de Malte ; il fut créé en outre une sorte de Cour judiciaire, nommée Magistrat de judicature, qui eut à se réunir deux fois par semaine, trois fois même, s'il était nécessaire, et qui fut divisée en deux chambres.

La flotte, depuis quelque temps à peu près inactive, s'unit en cette même année 1784, aux flottes d'Espagne, de Naples et de Portugal, pour tenter un assaut sur Alger. Le bombardement de la place fut sans résultat et l'entreprise échoua. Alger conclut du reste la paix avec l'Espagne, en 1785. Ce fut là la dernière expédition maritime, à laquelle prit part l'Ordre hospitalier et militaire de Saint-Jean-de Jérusalem et du Saint-Sépulcre, de Rhodes et de Malte.

Tandis que l'Electeur de Bavière, désirant que ses gentilshommes fussent admis dans l'Ordre, faisait à celui-ci donation des biens des Jésuites qui venaient d'être supprimés par le Saint-Siège, et, qu'avec l'assentiment de Georges III de Hanovre, roi d'Angleterre, la Langue d'Angleterre était incorporée à la Langue nouvelle, pour former la Langue Anglos-bavaroise; tandis qu'en France l'Ordre de Saint-Antoine (de Vienne, en Dauphiné) fusionnait avec la Religion hiérosolymite (1);
1. — En 1070, Gaston, gentilhomme dauphinois, institua à Saint Didier, près de la Tour-du-Pin (Isère), où l'on conservait les reliques de Saint Antoine, un ordre de religieux pour soigner les malheureux atteints de la maladie appelée alors: feu sacré ou feu-de-Saint-Antoine. Cet Ordre prit un accroissement assez considérable; la maison chef d'Ordre s'appela l'Abbaye de Saint-Antoine. Il fut incorporé à l'Ordre de Malte (1777) et aboli (1790). — Smitmer, nº 236, p. 200. Lettres patentes du Roi de France relatives à la réunion et incorporation de l'Ordre de Saint-Antoine à l'Ordre de Malte, du 25 juillet 1777. — Traité préalable entre les deux ordres. — Les Archives centrales de l'Ordre Teutonique (Vienne) possèdent une copie contemporaine de la Bulle de Pie VI. Rerum humanarum conditio..., en date de Rome près de Saint-Pierre, le 17 décembre 1775, réunissant l'Ordre de Saint-Antoine, en France, à l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, et, en Sardaigne, à l'Ordre des Saints Maurice et Lazare. Cette pièce est très curieuse : on y trouve l'énumération des 26 monastères de cet ordre de Saint-Antoine de Vienne (Dauphiné). « L'abbaye et ses dépendances, Paris, Pont Mousin, Besançon et Aumonure, Isenheim, Toulose, Chalons sur Saône, Strasbourg, Troyu, Pont en Royan, Trois Epis. Saint Marcellin, la Faucadiere, Norges, Vienne, Clermont Ferrand, Rems, Roven, Bar-le-Duc, Mets, Lalande, Lyon, Briey, Aubeterre, Pont d'Aurat, Marseille, situés dans autant de lieux des royaumes du Roy très-chrétien ». (Voyez Grosscapitularia 2062 fasc. I.) Cet acte fut produit à l'appui des négociations relatives à la réunion du canonicat de Cologne de l'Ordre de Saint-Antoine à l'Ordre Teutonique (1785 jusque 1786), dont le dossier est complet, La pièce nº 27 porte le sceau sur cire rouge des Antonins parfaitement intact; un aigle éployé chargé d'un T couronné, la tête de l'aigle entourée d'une auréole. Les négociations n'aboutirent pas.

Tandis que l'empereur de Russie, Paul Ier augmentait les revenus du prieuré de Pologne, en y ajoutant 150.000 florins par an sur ses biens domaniaux, à la condition qu'il porterait à l'avenir le titre de grand-prieuré de Russie et que ses sujets du rite latin seraient admis dans l'Ordre (15 janvier 1797); tandis qu'ensuite, avec l'assentiment du Saint-Siège et par une complaisance funeste de l'Ordre catholique, ses sujets de rite grec purent y être aussi reçus; Frédéric II, roi de Prusse, avait dès 1771, afin de bien marquer la rupture avec la Religion catholique de Saint-Jean, interdit par Décret, de la façon la plus sévère, aux commandeurs de la Silésie prussienne, de continuer à assister aux Chapitres de l'Ordre, au Couvent de Prague. Cette défense, il est vrai, n'empêcha pas le lien de cohésion de subsister tacitement, et l'on peut dire que ce n'est que le 3 juillet 1873, que les Chevaliers silésiens de l'Ordre catholique se sont en partie détachés de la communauté, afin d'être plus libres de se ranger du côté de cette politique de persécution contre l'Eglise, que le chancelier prussien avait baptisée du nom aussi faux que pompeux de : Cultur-Kampf (Combat de civilisation). Mais nous remettons à plus tard l'explication de ces derniers incidents. La Révolution française priva l'Ordre d'une grande partie de ses possessions, qui subirent le sort des biens ecclésiastiques ou des biens d'émigrés, selon les cas. Le décret de la Convention, du 19 septembre 1793, atteignait l'Ordre comme communauté religieuse, et le supprimait en territoire français, bien que l'Ordre eût jusqu'alors gardé la neutralité et qu'il eût souvent secouru des vaisseaux français attaqués par les corsaires. Le nombre des Chevaliers émigrés venant chercher un refuge dans le Couvent augmentait chaque jour. Ils étaient sans ressources, par suite de la confiscation de leurs biens. Le Grand-Maître les reçut tous, et, pour être en situation de donner de prompts secours à ceux qui étaient sans ressources, il diminua les dépenses du Palais. Beaucoup de commandeurs doublèrent leurs responsions; mais, malgré tout, le trésor était pauvre, par suite de la générosité du Grand-Maître. C'est de lui qu'on rapporte ce beau trait. Un jour, l'intendant du palais vint lui annoncer, qu'il n'y avait plus d'argent pour les dépenses quotidiennes de la maison. — « Mets de côté pour moi chaque jour, un écu, répondit-il, et distribue le reste à mes frères (1). »
1. — On avait en vain cherché un remède dans les réceptions de minorité. Très-fréquentes sous le magistère de Frère Emmanuel de Rohan, elles entraînaient un droit de passage plus élevé: elles pouvaient avoir lieu dès le berceau, avec dispense par Bref du Saint-Siège, mais sous réserve qu'à la 15e année accomplie le Chevalier de minorité ferait ses preuves de noblesse, afin de profiter de son rang d'ancienneté, et après sa 25e année accomplie ferait les 2 années de noviciat (caravanes) et prononcerait ses voeux comme chevalier de justice.

Frère Rohan espérait beaucoup de la Russie et il offrit au tzar Paul Ier, qui l'accepta, le protectorat de l'Ordre. Mais cette alliance, dont on exagéra sans doute les termes et la portée, exaspéra la République française et motiva les mesures prises contre Malte, sous le règne de Frère Hompesch, son successeur (1). Rohan eut le tort, en tous cas, de faire acte de politique européenne, dans un moment où l'Ordre devait au contraire, plus que jamais, garder la neutralité et se réserver pour cette mission, fixée par ses Statuts, qu'il avait si admirablement remplie durant des siècles. On verra plus loin que nous analysons les faits et les opinions, sans nous départir de la plus stricte objectivité. Aussi cette réflexion n'est-elle de notre part qu'une constatation: l'Ordre, resté neutre, n'aurait eu besoin du protectorat d'aucun souverain ; il avait ses vaisseaux, ses remparts, ses canons, ses chevaliers, et personne sans doute ne serait venu troubler dans son existence autonome un petit Etat, dont la neutralité aurait rendu plus utile et plus efficace encore la lutte coutre les corsaires. Mais une fois jeté par l'imprudence de son chef, dans les luttes politiques et internationales de l'Europe, il s'exposait fatalement au sort des petits, lors des conflits des grands. Rohan était trop homme d'état pour ne pas s'en rendre compte : de là sans doute les paroles qu'on lui prête sur son lit de mort. S'il a vraiment prédit « qu'il serait probablement le dernier grand-maître de l'Ordre souverain à Malte », il savait pourquoi, mieux que personne.
Smitmer, nº 127. p. 102. — Un grand-maître pouvait être déposé s'il faisait alliance avec les ennemis de la foi (Oldradi de Ponte, Venise 1585). Si l'on apprécie à la lumière de ce précepte l'offre au schismatique Paul Ier du protectorat de l'ordre catholique, on ne peut être trop sévère pour Rohan.

Frère Rohan mourut, le 13 juillet 1797, après une longue maladie. Il avait, de son vivant, fait élever son mausolée, qui présente au dessus d'un cénotaphe, orné des armes pleines et écartelées, son buste appuyé à un obélisque, au milieu de drapeaux et de trophées, entre deux cartels, posés plus tard et sur lesquels se voient, à droite, une balance, à gauche, un pélican. Il y fut inhumé sans pompe, en juin 1814, dix-sept ans après sa mort. On lit sur le tombeau : D. O. M., optato principi, beneficio egentium patri, Emm. M. M. fr. Em. de Rohan, qui, per XXI annos arduis temporibus prudenter, adversis strenue remp. gestans, nov. decus. l. o. attulit ; nec non, dum revoluentur regna, abundantia pacem, justifia fidem, pietate amorem populorum, obtinuit. Obiit dic XIII Julii, MDCCXCVII, aetatis suae LXXII.

Les écus d'or (20. 10. 5) sont un seul et même type. Avers: buste, à gauche, cuirasse avec croix, perruque à marteaux (1778-1779), légende: E. EMMANUEL DE ROHAN M. M.; revers: HOSPITALIS ET s. SEPU. HIERUSAL ; au milieu, les armes de l'Ordre et celles de Rohan, accotées sons la couronne fermée. Deux pièces de 30 taris, d'argent, montrent les armes appuyées sur un aigle aux ailes éployées (1779-1789); une pièce de 2 écus d'argent présente l'écu de Malte, appuyé sur la croix, avec le collier et la couronne fermée, et orné de deux rameaux d'olivier et de chêne (1796). Il y a des monnaies du type fiduciaire.

Les médailles sont très-belles.
1. — Médailles d'argent et de bronze doré, commémoratives de l'élection, 48 m. m.: Buste à gauche : EMMANUEL DE ROHAN MELITAE PEINCEPS ; revers, sur une nuée, un ange tenant d'une main la trompette et de l'autre une couronne de laurier: GLORIA EIVS PEE OEBEM TERRAEUM.
2. — Médailles d'argent et de bronze doré, 50 m. m., avers : E. EMMANUEL DE ROHAN M. M. H. ET. s. s. H.: Buste de même. Revers: Le grand-maître debout près d'un piédestal, sur lequel est posée la couronne ; un homme à genoux lui présente les clefs de la Cité Notable ; cette ville à gauche. Légende : MELITAE PEINCEPS ET DELICIVM. Elle est commémorative de la prise de possession de la principauté. Sur une plus petite médaille d'argent, avec buste et écusson, on lit: IN TE DOMINE SPERAVI, 1778.
3. — Médaille de bronze, 52 m. m.: Buste de même. Légende: AVSPIOIIS M. M. EM. DE ROHAN PEOVIDENTISSIMI PEI ; la longue inscription, au revers, énumère de nouveaux travaux de défense à Malte.

28 — Frère Ferdinand de Hompesch, (1797-1799)

Il était de la Langue allemande: il s'était attiré par son caractère loyal et sa probité bien connus, par ses manières affables et courtoises, la confiance générale ; on ajoute que son élection fut fortement appuyée par l'Autriche ; mais il était incapable, dit-on, et contribua à hâter la ruine de l'Ordre, quand on pouvait encore essayer de le sauver. Il avait, ajoute-t-on, négligé de préparer la défense de l'île. Il est un point enfin, sur lequel les opinions sont unanimes, ce sont les termes mêmes de la capitulation ; car si la France n'avait pas occupé Malte, d'autres l'auraient enlevée aux Chevaliers, et plus que personne, la puissance qui la prit aux Français en 1800 et qui l'a gardée par une violation de la foi d'un traité, après 1802. L'Ordre, nous l'avons fait remarquer, n'était plus, par la faute de Frère Rohan, cette association religieuse et guerrière, devant rester absolument neutre dans les luttes de l'Europe chrétienne, que nous avons suivie à travers les siècles, depuis que la guerre contre les Infidèles avait cessé d'être la loi unique de son existence, depuis que le titre de Chevalier de Malte, grâce surtout aux réceptions de minorité, était devenu une sorte d'apanage des cadets de famille, depuis que Rohan avait fait de la politique de grand état.

Voici les faits racontés sans passion et sans parti pris, éclairés à la lumière des documents historiques.

Le Directoire de la République française envoya, vers la fin de février 1798, une escadre éclairer le chemin pour le transport des troupes destinées à l'expédition d'Egypte, tandis que la flotte française s'armait dans le port de Toulon. L'escadre fit escale à Malte, et y attendit la flotte qui partit, le 9 juin 1798, des ports de la Provence et parut devant l'île, où elle opéra sa jonction avec la première escadre commandée par l'amiral Bruyès. Les deux flottes réunies comptaient 472 navires, vaisseaux de guerre et bâtiments de transport. Le général en chef, Bonaparte, qui était à bord du vaisseau L'Orient, détacha à terre un aide-de-camp, pour charger l'Agent consulaire de la République française de demander au Grand-Maître l'entrée du port pour la flotte, afin de réparer quelques avaries, de faire de l'eau, de renouveler les provisions et de laisser reposer les malades. On assembla le conseil et l'on répondit que, suivant les règlements de 1718, le port ne pouvait recevoir à la fois plus de quatre vaisseaux de guerre, que l'Ordre pourvoirait au repos des malades et enverrait à l'armée d'expédition toutes les provisions dont il pouvait disposer. Sur cette réponse, que Bonaparte considéra comme une déclaration de guerre, celui-ci ordonna immédiatement de faire les préparatifs nécessaires pour s'emparer de Malte. L'Agent consulaire qui avait apporté cette réponse, fut retenu à bord de l'Orient et fit connaître au Grand-Maître par lettre les intentions du général en chef, Bonaparte, en l'engageant en même temps à trouver un moyen d'accommodement, afin d'éviter l'effusion du sang. A la réception de cette Note, la confusion fut grande à la Cité-Valette, où les idées nouvelles avaient des partisans. Tandis que les Chevaliers occupaient leurs postes, les partisans de la République s'efforçaient de mettre les Maltais en défiance contre l'Ordre. Hompesch voulut alors, mais un peu tard, tenter la résistance. Il confia la défense au bailli de la Tour du Pin et à un comité de 16 chevaliers, et se déchargea sur cette commission, d'une gênante responsabilité. La commission, en voulant disperser les forces dont on disposait pour étendre la défense à toute l'île, adopta un plan évidemment impraticable. Il fallait les concentrer dans l'imprenable Cité-Valette. Puis qu'il y avait un acte, qualifié fait de guerre par Bonaparte, et qu'on ne voulait pas réparer l'imprudence commise par un changement immédiat de résolution et par l'ouverture du port à la flotte française, il fallait s'enfermer dans les forts et les fortifications des quatre cités, y appeler les habitants de la campagne avec leurs bestiaux et leurs récoltes. Bonaparte, sachant Nelson à sa poursuite, n'aurait pas perdu son temps à faire un long siège et surtout un long blocus. Il se serait éloigné après quelque simulacre de bombardement, ou bien l'on aurait négocié une convention laissant l'île à l'Ordre, à certaines conditions garantissant la neutralité de Malte. La répartition des forces en entraînait la neutralisation, et il est certain que les chances d'une résistance à outrance furent dès lors bien diminuées. Il ne faut pas oublier que Bonaparte avait sous ses ordres des forces navales considérables et ce corps de vieilles troupes, qui firent ensuite la conquête de l'Egypte, après même qu'il en eut détaché 4000 hommes, à Malte, pour la garder. Il ne faut pas oublier non plus que le plan du comité était d'autant plus irréfléchi et maladroit que, sur 332 Chevaliers qui se trouvaient au couvent, 200 étaient français, 90 italiens, 25 espagnols, 8 portugais, 5 bavarois et 4 allemands, ce qui rendait l'harmonie des idées et des volontés difficile au cas présent, et que, dans ce nombre, il y en avait une cinquantaine que leur âge et leurs infirmités mettaient hors d'état de porter les armes. Les faits qui se passèrent prouvent en outre que les cinq sixièmes des forces qu'il y avait dans l'île, et, en particulier, les 14.000 Maltais (1200 chasseurs et 12.800 hommes de milice) pouvaient tourner leurs armes contre les Chevaliers, qui étaient en si infime minorité.

Les Français débarquèrent sur plusieurs points de l'île, sans être inquiétés par les forts avancés, excepté par le Fort-Manoël et le Fort-Tigné, qui furent vigoureusement défendus. Les habitants du Bourg résistèrent d'abord, mais ils capitulèrent à des conditions honorables. Les bourgs de Zebbug et de Siggieni épuisèrent leurs munitions avant de se rendre. Lorsque les Français se présentèrent devant la Porte-des-Bombes, les Maltais firent une sortie, mais ils furent repoussés et désarmés. Les ouvrages extérieurs furent enlevés. Mais la Cité-Valette fut alors témoin de scènes odieuses: des négociants français, suspects d'être partisans de la République, furent massacrés par la populace; des Chevaliers (Vallin, Montazet, d'Ormiz, d'Audelard) furent tués par leurs propres soldats. Les jurats et notables, se disant qu'en un tel état de choses la résistance était absolument impossible, et que tout le sang versé le serait sans utilité, rédigèrent une supplique au Grand-Maître, pour le prier de leur épargner les malheurs qui accompagnent le bombardement et la prise d'assaut. Hompesch refusa d'accéder à cette demande; mais on assure qu'une nouvelle députation vint plus tard le prévenir que, s'il ne voulait pas accueillir la prière de la population, on se chargerait bien sans lui de traiter avec le général Bonaparte. Etant donné l'état des esprits, le fait est possible. Le Grand-Maître réunit le Conseil, qui fut d'avis de demander un armistice, et l'armistice fut accordé, le 11 juin, pour vingt-quatre heures. Avant que le Conseil fut dissous, quelques jeunes chevaliers obtinrent l'autorisation de s'enfermer dans le Fort-Saint-Elme et de s'y défendre jusqu'au dernier. Trois cents soldats les y suivirent et n'en sortirent, qu'après la reddition du corps de place.

La capitulation (1) fut signée, le 12 juin, à bord du vaisseau L'Orient, et voici en substance les huit articles de cette convention :
1. — Cession de Malte, Gozzo et Comino, par l'Ordre à la République française, en tout droit de propriété et de souveraineté;
2. — Promesse au grand-maître d'une principauté équivalant à celle de Malte; pension annuelle de 300.000 francs; remboursement de 600.000 francs pour ses biens meubles;
3. — Permission aux Chevaliers français de rentrer dans leur patrie, leur résidence à Malte n'étant pas considérée comme émigration à l'étranger;
4. — Assignation de pensions aux Chevaliers français. Promesse de bons offices auprès des Républiques italiennes, afin qu'elles en usent de même envers leurs nationaux. Promesse de bons offices auprès des puissances européennes, afin qu'elles conservent intacts les droits des Chevaliers sur les biens de l'Ordre situés dans leurs Etats;
6. — Garantie de la propriété privée des Chevaliers dans les îles;
7. — Garantie du libre exercice de la religion catholique, de la propriété et des privilèges acquis, pour les habitants de Malte et de Gozzo; promesse de ne pas les frapper de contributions extraordinaires;
8. — Déclaration de validité de tout acte civil passé sous le gouvernement de l'Ordre. — Il y avait en outre des articles relatifs à la remise des forts, des magasins, des munitions de guerre et de la flotte (2 vaisseaux, 2 frégates, 4 galères).

Les avantages magnifiques garantis au Grand-Maître, tandis que l'Ordre ne venait qu'au dernier plan, dans la Convention, ont donné lieu à de vives attaques contre Hompesch. Ce n'était pas là, en effet, l'acte d'un grand-maître plus soucieux des intérêts de sa communauté que des siens propres; mais en conclure à un marché, ce serait outrager sans preuves les deux parties contractantes. Que l'on songe donc que la plupart des Chevaliers étaient de Langue française, et qu'ils étaient restés Français, que par conséquent ils ne pouvaient porter les armes contre une armée française, sans commettre le crime de haute trahison ! (1).
1. — C'est dans ce sens naturel et prochain, qu'il faut lire la lettre du 10 juin, du commandeur Bosredon de Ransijat au grand-maître. Cette lettre amena l'incarcération temporaire de ce chevalier.
« Altesse Eminentissime, Dans l'extrême affliction que j'éprouve en considérant que notre Ordre, après tant de malheurs essuyés jusqu'ici, se trouve encore exposé à celui d'être en guerre avec la France, qui est, sans contredit, le plus grand de tous, je crois de mon devoir d'avoir l'honneur de représenter à Votre Altesse Eminentissime, avec cette franchise qui a toujours fait la base de mon caractère, que, lorsque je me suis lié par des voeux à notre institut, je n'ai dû y contracter d'autre obligation militaire que celle de combattre les Turcs, nos ennemis constitutionnels, et jamais contre ma patrie, à laquelle, par devoir autant que par sentiment, je suis et serai toujours, de même qu'à mon Ordre, extrêmement attaché. Me trouvant dans une circonstance aussi critique, de ne pouvoir me déclarer d'un côté, sans, de l'autre, me rendre coupable, j'ose me flatter que Votre Altesse Eminentissime ne trouvera pas mauvais que j'observe une exacte neutralité. Je la supplie en conséquence d'avoir la bonté de m'indiquer celui de nos religieux à qui je dois consigner mon trésor et de vouloir bien aussi me désigner le lieu de ma demeure.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Signé: Bosredon-Ransijat. »

Il vaut mieux voir avant tout dans la reddition de Malte, en 1798, l'accomplissement d'un fait historique inévitable, amené par des fautes antérieures et principalement par les conditions nouvelles survenues dans la vie des peuples et l'existence des Etats.

Hompesch a protesté ultérieurement contre la convention signée par ses plénipotentiaires, sous la médiation de l'Espagne, et qu'il a déclarée entachée de violence. Mais sa protestation pouvait-elle rien changer à un acte de capitulation, si noblement qualifié de Convention par Bonaparte, à cause de l'honneur chevaleresque, qui est de sa nature même la suite fatale d'une situation inéluctable, où le plus faible cède au plus fort ? Si cette convention est une arme contre lui, elle ne lui a pas autant profité qu'il l'espérait; car, s'il a reçu la première indemnité, fixée par l'Art. II, soit 600.000 francs, il n'a touché dans la suite, que 15.000 francs au lieu de 300.000 francs par an (1).
1. — D'après les actes officiels du 16 juin 1798 et du 18 juin 1798 (28 et 30 prairial, an VI), Hompesch avait accepté ce qui suit, en exécution de l'Art. II, et cela constituait une ratification sans réserve de la convention. La pension de 300.000 frs. par an fut laissée à la charge du Trésor de la République française, mais il n'en fut pas de même de l'indemnité de 600.000 frs. Conformément au désir que le grand-maître Hompesch exprimait dans sa fameuse lettre au général en chef Bonaparte, avant de quitter Malte. « que 300.000 francs fussent consacrés sur l'indemnité pour son mobilier, à l'acquit des dettes qu'il laissait, ainsi que 100 000 frs., par chacun an sur la pension qui lui était assignée, jusqu'à l'extinction des créances, et que cette délégation de 300.000 frs., présentement et de 100 000 frs., annuellement fût remise entre les mains du citoyen Poussielgue, capitaine du port », 300.000 frs., dont un tiers en argent et deux autres tiers sur le payeur de Strasbourg, furent remis à Hompesch avant son départ; les 300.000 frs, restants furent affectés au paiement de ses dettes. Pour assurer ce paiement, la Commission de gouvernement fut chargée de prendre sur les biens de l'Ordre, déclarés domaines nationaux, des immeubles d'une valeur correspondante et d'en faire la cession à Hompesch, représenté par Antoine Poussielgue, son fondé de pouvoirs, constitué par acte passé, le 17 juin, devant Joseph Noël Mauréal, notaire public. Voyez Miége, H. de Malte. — Archives de Malte.

L'homme qui proteste, à son arrivée à Trieste, afin d'échapper aux reproches, mourut à Montpellier, en 1805, pendant un voyage qu'il faisait en France, pour aller réclamer sa pension, ce qui, on doit l'avouer, était loin d'une protestation, tout aussi bien que l'acceptation de la première indemnité.

Il fut inhumé, à Montpellier, sans aucune pompe, le 13 mai 1805, dans un caveau de la nef de l'Eglise-de-la-Merci, paroisse de Sainte-Eulalie, en présence de deux Chevaliers de sa maison et d'un commandeur de passage, comme l'établissent les registres de cette église (1).
1. — Actes de décès et d'inhumation. Décès. « Du 23e jour de floréal (12 mai 1805). Acte de décès de Son Altesse Eminentissime Ferdinand-Joseph-Herman-Antoine de Hompesch, ancien Grand-Maître de Malte, décédé ce jourd'hui à trois heures après midi, dans la maison de Jardin Guidais, sise sous le peyron, au faubourg Saint-Dominique, âgé d'environ soixante-un ans, étant né le 9 novembre 1711, originaire de Bollheim, dans le ci-devant duché de Juliers, demeurant à Montpellier depuis six mois. — Sur la déclaration à moi faite par M. Jean-Baptiste Becker, ex-chevalier de Malte, âgé de trente-trois ans, et par M. Léonard-Claude Normand, ex-commandeur de l'Ordre, âgé de cinquante-quatre ans, habitants de cette ville depuis six mois, lesquels ont dit être les gentilshommes de Son Altesse, et ont signé après lecture dûment faite du présent acte; constaté par Jean-Baptiste Dupy, adjoint à la mairie de Montpellier. »
Inhumation. (Extrait des Registres de la succursale de Sainte-Eulalie).
« Le 13 mai 1805, a été déposé sans cérémonie, avec simplicité, le corps de Son Altesse Eminentissime F.-J.-H.-A. de Hompesch, Grand-Maître de l'ordre dit de Malte, décédé ce jourd'huy, âgé d'environ soixante-un ans. Le corps a été déposé dans un caveau à lui seul destiné; le cercueil en bois blanc, scellé aux armes de Son Altesse Eminentissime, a été lié par un cordon blanc en fil, formant sept tours et demi, avec cinq sceaux en cire d'Espagne; et le caveau a été clôturé d'une pierre carrée, et arrêtée par une bande de fer, placée à fleur de terre, en présence de M. M. Joseph Milion, aumônier de Son Altesse Emmentissime, Jean-Baptiste Sabatier, ancien garde-du-corps, Vincent Soulier, marguillier de l'oeuvre.
Signé: Cambon, prêtre; les susdits, le Bailli de Suffren Saint-Tropez, le Chevalier Le Normand, le Chevalier Becker, Vincent Gravagna. »

Le caveau fut fermé par une dalle carrée. Aucun monument, aucune inscription, pas même le nom de celui qu'on avait appelé le Prince de Malte, ne vinrent rappeler qui reposait sous cette pierre. Il ne laissa rien du reste pour payer les frais de ces modestes funérailles. Le silence et l'oubli semblèrent être la meilleure sauvegarde de celui qui reposait là, portant comme derniers insignes de sa haute dignité, l'écharpe de l'Ordre, sur laquelle les mystères de la Passion étaient brodés en or, et un grand ruban en sautoir, auquel pendait l'aumônière. Les jugements prononcés sur lui sont inspirés, tantôt par la haine contre la France, tantôt par l'esprit de parti; nous ne nous y associons pas. Nous avons hésité longtemps à troubler le silence de cette humble tombe; mais nous avons enfin reconnu qu'il est de notre devoir de mettre le lecteur à même de juger par lui-même, si Hompesch fut un traître, un incapable, une victime volontaire d'une convention secrète entre l'Autriche et Bonaparte (1).
1. — Cette dernière qualification est absolument inadmissible, si l'on songe aux paroles relatives à Hompesch, attribuées à l'empereur Napoléon Ier, dans les Mémoires de Saint-Hélène. M. Miége nous semble donc avoir fait fausse route par amour pour les Maltais, qui ne le méritaient guère.

Nous donnerons donc à l'Appendice les précieux documents que nous avons pu recueillir, documents inédits, mais authentiques, qui nous ont permis, nous l'espérons, de faire assez de lumière sur la personne de Frère Hompesch et ses agissements, pour que le lecteur puisse se prononcer (1).
1. — Voyez à l'Appendice. Le Cas Hompesch.

Frère Hompesch avait quitté Malte, le 17 juin 1798 à l'heure la plus tranquille de la nuit, avec une suite peu nombreuse, et l'on assure que beaucoup de Chevaliers de Langue française (44) suivirent Bonaparte en Egypte et s'y couvrirent de gloire sous le drapeau de leur pays.
Hompesch dut résigner la dignité suprême, en 1799, sur l'ordre de l'Empereur d'Allemagne, son souverain (1), à la suite d'événements qui appartiennent à la dernière partie de ces Annales.
1. — Ordre d'abdication, notifié au grand-maître Hompesch par le prévôt Mafféi, par l'intermédiaire de son frère, consul à Trieste : « Vienne, juin 1799. Ce n'est plus le lieu de temporiser. Dans le temps que le grand-maître fera l'acte d'abdication pour notre souverain (l'Empereur d'Allemagne), il doit en faire un second pour l'empereur de Russie. S'il tarde, s'il tergiverse à accomplir le désir de notre souverain et du ministre, il deviendra personnellement ennemi de l'empereur et devra être traité en prisonnier d'état. Il peut profiter du prétexte d'aller prendre des bains d'eaux minérales. » Voyez Miége, Histoire de Malte. — Collationné avec l'original, S.

Il faut citer ici la médaille de Hompesch qui rappelle la fusion de l'Ordre de Saint-Antoine avec l'Ordre hiérosolymitain, en 1777. L'aigle à deux têtes, tenant en ses becs le T des Antonins, supporte avec un faisceau d'étendards l'écusson de Malte, à la couronne fermée: la légende indique son objet : ORDO. S. ANT. VIENNEN. IN. ORDINEM HIEROSOL. RECEPTVS M. Dcc. LXXVI (sic). On l'attribue à Hompesch, malgré la date. L'aigle était l'insigne héraldique des Antonins, et l'écu de Malte est posé dessus, conformément à une ordonnance du 21 août 1777, signée en Conseil. Nous noterons enfin une pièce d'argent, de 30 taris, avec l'écusson écartelé porté par l'aigle et surmonté de la couronne fermée, avec le millésime de 1798. Les monnaies de l'Ordre eurent cours à Malte, pendant une période de 28 ans, après l'entrée des Anglais.

Sans parler des titres glorieux à l'existence que possédait l'Ordre souverain des Chevaliers de Malte, des services rendus pendant des siècles à la cause de la Chrétienté et de l'humanité, nous nous contenterons ici de quelques observations de sens commun.

Une lutte fratricide a été évitée. Ce n'en est pas moins à regret, que l'on voit disparaître un petit Etat qui avait, depuis plus de deux siècles et demi, fait l'admiration du monde chrétien et la terreur de l'Islam, et qui avait, dès les temps de despotisme, presque réalisé le type de l'état monarchique électif et constitutionnel.

N'eût-il pas été d'une bonne politique de la part de Bonaparte, de laisser, en 1798, Malte aux Chevaliers, comme il y était autorisé selon les cas par le Directoire, avec un traité de neutralité et une garnison suffisante pour garantir cette neutralité, dans les luttes entre la France et la Grande-Bretagne. Cette dernière puissance ne s'en serait pas ensuite rendue maîtresse le 4 septembre 1800 (l) et n'aurait pas sans doute conquis la domination de la Méditerranée.
1. — Les Anglais ne forcèrent Malte que par un blocus presque ininterrompu, qui dura du 2 septembre 1798 au 4 septembre 1800, que grâce au concours de l'insurrection des habitants soudoyés par eux, qu'avec l'aide des Portugais et des Napolitains. La Cité-Valette même n'ouvrit ses portes que, lorsqu'elle fut à bout de vivres et de munitions, après huit sommations anglaises et moyennant la capitulation la plus honorable qui fut signée à la Valette. On peut même affirmer d'après les recherches de l'histoire, que ce furent les événements extérieurs qui, en empêchant le ravitaillement de la place, en ouvrirent les portes aux alliés. La défense de Malte est un fait d'armes mémorable : ce n'est pas au bombardement qu'est due la perte de l'île par les Français, c'est à l'esprit d'humanité du commandant qui n'éloigna pas les bouches inutiles et recueillit même les fuyards que les Anglais accueillaient à coup de canons ; car seul, avec ses soldats et ses marins, il aurait bravé longtemps encore Anglais, Portugais, Napolitains et insurgés maltais. On a dit avec raison que la Grande-Bretagne a escamoté et non conquis cette île. Il est certain en effet, qu'elle avait tour à tour et selon les cas, protégé les Maltais révoltés, déclaré agir pour le Roi de Naples, puis dans l'intérêt de l'Ordre de Malte et pour la lui restituer ; qu'elle avait dupé tout le monde, et, qu'en somme elle n'avait procédé qu'avec le ferme dessein de prendre Malte pour elle et de la garder. C'était de la foi... punique.

Quoi qu'il en soit, quel qu'ait été le coup porté à l'Ordre, par la cession de ses possessions de Malte, de Gozzo et de Comino, il s'est peu à peu relevé de ce désastre. Il existe aujourd'hui, non plus il est vrai comme Ordre de Chevaliers militants, mais comme Ordre de Chevaliers hospitaliers, exerçant sous une forme moderne, la mission primordiale de sa fondation. Lorsqu'on ne peut remonter le cours des âges, il y a une haute sagesse à conformer la vie et l'activité d'une glorieuse association aux exigences du présent, sans rien lui faire renier des traditions du passé. La constitution de l'Ordre est donc restée la même, mais son action s'est adaptée à la société moderne; à côté de cela, si l'Ordre n'est plus militant et souverain, dans le sens effectif de ces mots, il reste en ce siècle d'impiété et de matérialisme, le lien d'une phalange d'élite, qui doit combattre par l'exemple et par l'oeuvre de charité, pour la Foi que son épée défendit autrefois avec tant d'abnégation et d'héroïsme.

Nous voyons se clore derrière nous les périodes anciennes de son existence ; mais, à l'heure où nous écrivons ces Annales, l'Ordre est sur le seuil d'une période nouvelle, et, là encore, c'est la Croix de Malte à huit pointes, qui est le signe sous lequel l'avenir est à lui.
Annales de l'Ordre de Malte ou des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem - Chevaliers de Rhodes et de Malte. Depuis son origine jusqu'à nos jours et du Grand-Prieuré de Bohème-Autriche et du service de Santé volontaire. Par Félix de Salles. Vienne 1889.

Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, (1798-1886) Retour

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