L'ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem (1), (1798-1886)
1 — Paul Ier, (1799-1801)
Empereur de Russie. L'Ordre était errant à travers l'Europe. Alors « les baillis, grand-croix, commandeurs, chevaliers du grand-prieuré de Russie et autres membres de l'Ordre, présents à Saint-Pétersbourg, proclamèrent, tant en leur propre nom qu'au nom des autres Langues et grands-prieurés en général, et en celui de chacun de ses membres en particulier qui se réuniraient à eux, S. M. Ile l'Empereur et Autocrate de toutes les Russies, Paul Ier, grand-maître de l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem. » L'Empereur accepta: il avait déjà accepté, en 1797, le protectorat de l'Ordre.1. Ce second titre est employé par les historiens anciens et dans le Codice diplomatico di Malta, du XVIIIe siècle: « L'Ordre souverain de Jérusalem« , ou encore » « L'Ordre de Jérusalem », tel nous paraît être le titre officiel depuis 1879, titre justifié par les monuments les plus anciens; mais les autres titres historiques appartiennent toujours à l'ordre. La médaille frappée par ordre de Léon XIII, à l'occasion de la restauration du magistère, en 1879, porte: SVMMVM ORD. HIEROSOL. MAGISTERIVM. A. LEONE. XIII. RESTITVTVM. V. CAL. A. MDCCCLXXIX.
On déposa en même temps Hompesch, acte illégal et arbitraire d'une fraction de la communauté, de même que la nomination de Paul était contraire à l'essence même d'un Ordre qui relevait directement du Saint-Siège. Hompesch résigna le magistère, en 1799, et quoique, d'un côté le Pape ne pût se résoudre à ratifier l'élection, quoique, d'un autre côté, l'empereur François II (François Ier, empereur héréditaire d'Autriche) l'eût apprise à regret, parce que l'Ordre avait des possessions dans tous les pays d'Europe, où il n'était pas aboli, la politique l'emporta, et Paul fut reconnu par tous les souverains, à l'exception de l'Electeur de Bavière qui abolit l'Ordre dans ses Etats, afin d'éviter les malentendus, et vit son élection confirmée par presque tous les Chevaliers. De ce côté-là donc l'irrégularité de l'acte fut à peu près couverte (1). L'Empereur était parvenu au but qu'il ambitionnait et il songea immédiatement, après une acceptation solennelle du magistère, à exploiter la situation dans son propre intérêt, plus que dans celui des Chevaliers. Il pensait pouvoir, en reprenant Malte aux Français, acquérir une forte position dans le bassin méditerranéen. Il témoigna pour l'Ordre une vive sollicitude. Il forma même le plan de le réformer, afin d'y faire entrer tout l'aristocratie de l'Europe, sans distinction de confession religieuse. Il en avait déjà composé le Conseil suprême et nommé les Lieutenants-Généraux et Lieutenants du Magistère, tous Russes. L'Ordre devait compter quatre classes: celle des marins, celle des combattants, celle des fonctionnaires, celle des savants; la noblesse n'était obligatoire que pour les deux premières classes. On avait armé une escadre pour aller s'emparer de Malte, lorsqu'on apprit que la Grande-Bretagne avait, grâce à la révolte des Maltais, pris le 4 septembre 1800 l'île qu'elle détient encore. Les Anglais refusèrent de la restituer à Paul, qui la réclamait au nom de l'Ordre dont il était le grand-maître. Ils ne la rendirent pas non plus, après la Paix d'Amiens, qui en stipulait la restitution aux Chevaliers. L'assassinat de Paul Ier (23 mars 1801) avait aplani les difficultés de la situation vis à vis du Saint-Siège, mais délivré l'Angleterre d'un cruel ennemi et lui avait donné ses coudées franches, car Alexandre Ier, tout en promettant sa protection, renonça formellement à l'héritage de la dignité de grand-maître. Les Chevaliers se retirèrent, en 1801, à Messine, et, l'année suivante, le 9 février 1802, le pape Pie VII nomma grand-maître, par délégation des grands-prieurs, Frère Barthélémy, prince Ruspoli, de Rome, qui refusa d'accepter cette charge.
2 — Frère Jean de Tommasi, (1803-1805)
Né à Crotone (Royaume de Naples), fut alors élu par le Souverain-Pontife, en vertu de la même délégation, le 13 juin 1803, et transféra le siège de l'Ordre à Catane, en Sicile. Frère Tommasi était un ami de l'empereur Alexandre Ier, mais il invoqua en vain son appui et fit dans la suite d'inutiles efforts, pour obtenir Malte et les domaines que l'Ordre avait possédés et perdus, dans plusieurs pays d'Europe. On s'arrête beaucoup trop, en général, à la reddition de Malte au général Bonaparte, en 1798, tandis que l'on passe plus légèrement sur l'inexécution persistante de la Paix d'Amiens par la Grande Bretagne. Et cependant ce traité célèbre, dont le premier consul Bonaparte dicta en quelque sorte les clauses, imposait à l'Angleterre la restitution immédiate à l'Ordre, de cette possession (25 mars 1802) (1). Le lieutenant du grand-maître Tommasi, Chevalier Buzi, se présenta en conséquence, le 1er mars 1803, pour prendre possession de Malte, Gozzo et Cornino ; mais le commandant anglais répondit qu'il n'avait pas d'ordres de son gouvernement. Il déclara même, en substance, par une lettre du 2 mars 1803, qu'il ne pouvait évacuer l'île et que le Grand-Maître ferait mieux, en attendant, de rester dans sa résidence de Sicile. Le ministre français à Malte fut prié par Buzi d'intervenir, pour obtenir que la place lui fût remise, et invita le Grand-Maître à se rendre à Malte sans délai, afin de donner plus de poids à la réclamation. Frère Tommasi manqua de l'énergie voulue, car il répondit que son Lieutenant avait ses pouvoirs et qu'il attendrait à Messine la décision de l'affaire. Le ministre de France près l'Ordre et l'île de Malte envoya alors une Note verbale au commandant anglais : il y conclut que :1. — « L'indépendance de ces îles et l'arrangement qui les concerne ayant été mis, par l'Art 10, § 4, du Traité d'Amiens, sous la protection et la garantie des six puissances les plus prépondérantes de l'Europe, la France et la Grande-Bretagne, qui contractaient ensemble, et qui ont appelé les autres puissances à garantir cette clause de leur traité de paix, ne peuvent point, sans scandale, refuser d'exécuter ces arrangements et d'accorder cette protection et cette garantie;
4. — Que s'appuyer d'un prétexte aussi frivole et d'un sophisme évident, pour refuser ce qu'on a consenti soi-même, serait une infidélité qui est indigne d'une grande puissance, et dont l'Angleterre ne voudrait point souiller son histoire; — Que la République française ne reconnaît au commandant anglais d'autre qualité en cette île, que celle de ministre plénipotentiaire de Sa Majesté Britannique, chargé par elle de l'exécution et du maintien des traités; que le premier consul se verrait dans le cas d'en appeler au tribunal de l'Europe et qu'il y trouverait indubitablement autant d'alliés, qu'il y a de puissances amies de la paix et jalouses de leur dignité, de leur indépendance, du droit des souverains et du maintien rigoureux de la foi des traités. Il appuyait donc de la façon la plus formelle, les demandes faites au nom dît grand-maître de l'Ordre de Malte, par son Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, le Chevalier Buzi, et, en conséquence, il réclamait la plus prompte et la plus entière exécution du 4e § de l'Art X du Traité d'Amiens. » C'était là un langage ferme et énergique, qui ne fut point désavoué par le gouvernement français. Il est du reste hors de doute que l'Espagne et l'Autriche avaient accordé leur garantie, en novembre 1802 ; que l'Empereur de Russie et le Roi de Prusse donnèrent la leur, en janvier 1803, avec quelques modifications à l'Art X du Traité d'Amiens, immédiatement acceptées par le Premier Consul, qu'enfin la garnison napolitaine, convenue par le Traité, avait débarqué dans l'île, dès novembre 1802, et y campait en dehors des cités. Le léopard britannique ne lâcha pas sa proie. La guerre déclarée par l'Angleterre, le 12 mai 1803, pour garder Malte, remit tout en question et rompit toutes les négociations relatives à la remise de Malte à l'Ordre. L'heure de Dieu était passée (1).
1. — Voyez l'Appendice.
Il est un fait que nous ne pouvons omettre, car il établit péremptoirement les rapports de parfaite cordialité entre l'empereur Napoléon Ier et l'Ordre, et il répond aux détracteurs (1). L'Envoyé du grand-maître Tommasi, bailli Frère de Ferrette, fut un des premiers ministres étrangers venant à Aix-la-Chapelle, en même temps que l'Ambassadeur d'Autriche, en septembre 1804, pour présenter à l'Empereur des Français, la reconnaissance de la dignité impériale par l'Ordre de Malte.
1. — Voyez A. Thiers, Le Consulat et l'Empire.
A la mort de Frère Tommasi, le Souverain-Pontife refusa de nommer un grand-maître; mais il autorisa le Conseil de l'Ordre à élire un Lieutenant du Magistère, sous réserve de ratification de l'élection par le Saint-Siège. Jusqu'en 1879, l'Ordre fut ainsi gouverné par des Lieutenants du Magistère.
Lieutenants du Magistère
3 — Frère Innico Marie Guevara Suardo, (1805-1814)
Frère Suardo de Naples, fut élu le 15 juin 1805. La sécularisation des biens ecclésiastiques et la médiatisation des petites principautés étaient à l'ordre du jour. Dès le temps du Schisme de Henri VIII, la Langue d'Angleterre avait été abolie (1534) ; la Langue anglo-bavaroise, créée plus tard, n'avait subsisté que peu de temps ; le Langue d'Italie, une des plus riches, perdit d'abord ses domaines de la Haute-Italie, puis, en 1808, ceux des Etats de l'Eglise et de Naples; les Langues de France, de Provence et d'Auvergne avaient été détruites et dispersées par la Révolution française ; les biens de la Langue d'Espagne firent accession à la couronne (1803) ; le Roi de Prusse, par un Ordre de Cabinet, du 30 octobre 1810, supprima et annexa même les commanderies silésiennes, appartenant au grand-prieuré de Bohême, de même que ses ancêtres avaient confisqué les autres domaines de la Langue d'Allemagne, lors de l'invasion du protestantisme. En somme, à la fin de la Lieutenance de Frère Suardo, l'Ordre n'existait plus à vrai dire qu'à titre de grand-prieuré de Bohême pour les pays de l'empire d'Autriche, que l'empereur François Ier prit sous son auguste patronage (après une suspension de courte durée). Toutes les tentatives de Frère Suardo pour récupérer Malte furent inutiles. Le Traité de Paris entre les Puissances alliées et la France (30 mai 1814) mit fin aux plus justes revendications. L'Art 7 en est ainsi conçu : « L'île de Malte et ses dépendances appartiendront en toute propriété et souveraineté, à Sa Majesté Britannique. » La spoliation était accomplie et reconnue par les Alliés qui disposaient ainsi de ce qui ne leur appartenait pas. La violation de la Paix d'Amiens recevait, au bout de douze années, sa ratification par la faiblesse des puissances contractantes. Quant à la France, elle signa; mais on ne peut dire qu'elle eût voix délibérative, car elle était écrasée et subissait la loi des vainqueurs.
Frère Suardo mourut à Catane, le 25 avril 1814, et y fut inhumé dans l'Eglise conventuelle de Novaluce ; on lit sur son tombeau : Fratri innico ma. guevara suardo, ex ducibus Bovoni, ordinis hierosolymitani bajulivo, et navium longarum praefecto, in regni utriusque Siciliae copiis militum tribuno ; catinae quo ordinis sedes transvecta fuit magna croce decorato, ibique magni magistri post Tomasii mortem legato facto, dum praefuit semper pio, humano, prudenti, de ordine in rebus angustis optime merito, fratres maerentissimi. L. P. VII Cal. mai. MDCCCXIV.
4 — Frère André Giovanni et Centelles, (1814-1821)
Frère Giovanni de Messine, remplit les fonctions de Lieutenant du Magistère, du 26 avril 1814 au 10 juin 1821. Le mémorandum présenté par lui au Congrès de Vienne (1814-1815) demeura lettre morte (1).1. — Le Mémoire présenté par les ministres plénipotentiaires de l'Ordre souverain de Saint-Jean-de-Jérusalem au Congrès de Vienne est du 20 septembre 1814; il est signé, le bailli Miari, le commandeur Berlinghieri. Nous en trouvons le texte dans Kluber, Acten des Wiener Congresses, I, 85 et suivantes. On y résume l'histoire de l'Ordre, pour établir surtout que celui-ci ne prit jamais part aux guerres entre les nations chrétiennes, et eut pour principes l'hospitalité, la milice, la noblesse, la neutralité parfaite et inviolable envers tous les chrétiens; on y raconte les exploits de l'Ordre. Il insiste sur les soins que les Hospitaliers donnaient à tous les malades dans leur vaste hôpital à Malte, véritable lazaret qui souvent préserva de la peste l'Italie et l'Europe. Il accuse l'Ordre et ses sujets, de trahison, pour faire l'apologie de Hompesch. Il exalte jusqu'aux nues Paul Ier et Alexandre Ier. Puis il réclame un emplacement convenable, la restitution de ses biens qui en serait susceptible et, au moins pour les premières années les moyens nécessaires pour fournir aux dépenses de son établissement et à la reprise de ses croisières contre les pirates. IL n'entend pas faire dans la Méditerranée une guerre de religion, mais en y protégeant le commerce et la navigation il voudrait briser les fers des chrétiens qui gémissent dans l'esclavage et préserver d'autres de cette calamité. Il serait une école de navigation et de valeur militaire, il exercerait de même la neutralité et l'hospitalité, il serait un modèle pour relever la noblesse. Il n'est pas sans ressources, car il jouit de ses anciennes possessions en Sicile et en Sardaigne, de presque toutes dans le prieuré de Rome, dans les duchés de Parme et de Plaisance, de toutes dans le grand-prieuré de Bohême. Il espère la restitution de partie de ses biens dans les états de Venise et de Lombardie, dans le prieuré de Pise, en Espagne, en Portugal; il espère tout de l'auguste empereur de Russie, dont il porte aux nues l'acceptation du protectorat de l'Ordre, de cette grande nation (l'Angleterre) qui de tout temps a bien mérité de l'humanité, qui dans les circonstances actuelles s'est acquis de si grands droits à la reconnaissance de l'Europe entière, par les efforts prodigieux et les sacrifices immenses qu'elle a faits pour lui procurer la paix et sa liberté, et renouveler avec lui ses anciennes liaisons qui augmenteraient sa sûreté, sa force et sa gloire, du roi Louis XVIII, de la Bavière et de la Prusse, de la Suède et du Danemark, avec lesquels l'Ordre pourrait renouer la négociation ancienne relative au convoiement de leurs bâtiments dans la Méditerranée. Le nouveau lieu d'établissement ne devrait pas être trop éloigné du centre de la Méditerranée, avoir un port sûr, un arsenal, un lazaret, des bâtiments pour le personnel, une église, un hôpital. L'ordre devrait y être indépendant et libre, et y jouir de tous les droits et prérogatives de la souveraineté et de tous ses anciens privilèges. Dans ce factura, maladroit, on supplie tout le monde et l'on oublie de réclamer Malte, ce qui était la chose essentielle. C'est sur Malte que l'Ordre avait un droit incontestable, et c'était le moment de l'invoquer et non de s'agenouiller devant la Russie et l'Angleterre. La revendication du droit aurait été digne du passé de l'Ordre, tandis que le Mémoire que nous venons d'analyser est une oeuvre illogique, qui n'eut et ne devait avoir aucun effet. Ce Mémoire est en outre un acte d'ingratitude envers la France de la Paix d'Amiens, et un outrage à la vérité historique relativement à l'Angleterre (Voyez l'Appendice, Le cas Hompesch et Archives de (Vienne).
Depuis, il est vrai, la Prusse a fondé (15 octobre 1852), en. souvenir du Bailliage de Brandebourg (supprimé le 23 janvier 1811), un Ordre protestant des Johannites; mais il n'a de commun avec l'Ordre souverain de Saint-Jean-de-Jérusalem, qu'une certaine similitude de nom et d'insignes. Frère Centelles fit cependant reconnaître l'existence de son Ordre, en accréditant des Envoyés auprès des Cours. C'est ainsi que le Comte du Saint-Empire, Frère Philippe Colloredo Mannsfeld, commandeur en Bohême, fut choisi pour Envoyé, et le Bailli Miari pour fondé de pouvoirs à Vienne. Il mourut, le 10 juin 1821, et fut inhumé dans la même église que son prédécesseur.
5 — Frère Antoine Busca, (1821-1834)
Frère Busca de Milan, élu le 11 juin 1821 à la Lieutenance du Magistère, occupa cette charge jusqu'au 19 mai 1834; c'était un homme d'une haute intelligence et il sembla avoir un instant des chances de réussite dans ses revendications. On proposa, au Congrès de Vérone (1822), de céder à l'Ordre une des Iles Ioniennes. Mais il ne fut pas donné suite à ce projet. L'Ordre perdit même, par Ordonnance ministérielle de l'année 1824, tous ses droits et prétentions sur ses anciens domaines de Sicile. Frère Busca transféra le siège de l'Ordre à Ferrare, dans les Etats de l'Eglise, le 12 mai 1826.6 — Frère Charles Candida, (1834-1845)
Frère Candida, de Lucère, fut nommé par le pape Grégoire XVI, le 23 mai 1834. Il consacra toutes ses forces vives au relèvement de l'Ordre. C'est ainsi que l'empereur Ferdinand Ier autorisa l'érection d'un grand prieuré de Lombardie-Vénétie, auquel fut nommé Frère Philippe Colloredo-Mannsfeld (1). Il transféra l'Ordre à Rome. Le prieur eut Venise pour résidence et l'Ordre récupéra son ancienne église et son ancien couvent; l'Empereur lui assura en outre une pension annuelle de 2000 florins. Il se fonda aussi sur d'autres parties du territoire de l'empire des commanderies de famille, richement dotées. Le Roi de Naples reconnut l'existence de l'Ordre dans ses Etats et lui donna en pleine propriété huit commanderies. Le duc de Modène fonda de même, en 1841, trois commanderies (2). Mais par contre les Chevaliers perdirent ce qu'ils possédaient encore en Portugal.Il mourut, le 10 juillet 1845.
1. — Le décret impérial est du 15 janvier 1839; il a été publié dans le Recueil des lois et ordonnances pour la Lombardie-Vénétie, A. 1841, vol. I, nº 27, p. 58, et rappelé dans une circulaire du gouverneur de Milan, du 21 juillet 1844, A. 1844, vol. II, p. 296, nº 24241.
2. — Voyez au même recueil, A. 1844 et 1848, II vol. II, p. 178 et vol, I, p. 52.
7 — Frère Philippe Colloredo Mannseeld, (1845-1864)
Frère Colloredo, d'Udine, succéda an Comte Candida; il fut nommé, le 15 septembre 1845, et remplit cette haute charge jusqu'au 9 octobre 1864. L'Ordre vit s'accroître ses domaines et s'étendre son influence, sous cette lieutenance. La Duchesse de Parme institua deux commanderies; le Roi de Sardaigne, Charles-Albert, en institua en 1848, mais elles ne durèrent que deux années, car elles furent supprimées par une Loi, en 1850. L'Ordre pénétra de nouveau en Angleterre, où Frère Colloredo fit construire, à Londres, un vaste hôpital dont il confia le soin aux Soeurs-de-la-Miséricorde, une belle église et un Couvent magnifique. Il fut aidé dans cette oeuvre par Georges Bowyer, chevalier de Justice, et l'Ordre compte aujourd'hui des Chevaliers, chapelains et donats de Langue anglaise.8 — Frère Alexandre Ponsian Borgo, (1865-1872)
Frère Ponsian Borgo, (ou Borgia), de Velletri, bailli de l'Ordre, fut nommé le 27 février 1865 et mourut le 13 janvier 1872. C'est sous sa Lieutenance que le grand-prieuré de Bohême-Autriche a rendu à l'Ordre sa mission hospitalière, par l'institution du Service de santé volontaire en temps de guerre, aujourd'hui admirablement organisé et pourvu de tout le matériel nécessaire, comme nous le montrons dans notre étude spéciale sur ce grand-prieuré. L'inauguration de ce service date de l'année 1866, et précéda la guerre faite à l'empire d'Autriche par la Prusse, ambitieuse de conquêtes et avide de suprématie. Nous dirons en détail l'organisation et les services rendus en 1866, 1869, 1878, 1885-1886. Les noms de trois grands-prieurs de Bohême-Autriche se rattachent à cette oeuvre essentiellement humanitaire et hospitalière, digne de l'Ordre dont nous allons finir les Annales. Ce sont les noms de Frère François Khevenhuller-Metsch (1847-1867), de Frère François-Xavier Kolowrat-Krakowski (1867-1874) et de Frère Othénio Bernard Marie Lichnowsky-Werdenberg (1874 à 1888). C'est aussi sous cette Lieutenance du Magistère que le comte Caboga-Cerva, chambellan et conseiller aulique de Sa Majesté I., et R., apostolique, consul général d'Autriche-Hongrie à Jérusalem, a accepté et mené à bien, grâce à l'appui de l'Empereur et Roi, lors de son voyage à Jérusalem, grâce à la munificence de ce monarque, grâce au concours actif et efficace du grand-prieuré de Bohême-Autriche, qui ont aplani les difficultés d'exécution, la mission confiée à ses soins, en 1869, et que l'Ordre a repris pied en Terre-Sainte, pour y exercer de nouveau, à huit siècles d'intervalle, le pieux ministère des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, sous la protection d'une puissante monarchie. Comme l'inauguration de Tantur (c'est le nom de l'hospice) a eu lieu, en 1876, sous la Lieutenance du Successeur de Frère Borgo, nous y reportons les plus amples détails sur ce fait, accompli 689 ans après la perte de la Judée et 585 ans après la perte d'Acre et de toute la Palestine.9 — Frère Jean-Baptiste Ceschi de Santa Croce — Lieutenant du Magistère (1872-1879) — 44e Grand-Maître (1879)
Frère Ceschi de Santa Croce, de Trente, fut élu à la Lieutenance, le 14 février 1872, et confirmé par le pape Pie IX ; puis le Magistère fut restauré par Bref du pape Léon XIII (1), en date du 28 mars 1879, et le titre et la dignité de Grand-Maître de l'Ordre souverain de Saint-Jean-de-Jérusalem, ou de l'Ordre s., de Jérusalem furent conférés à Frère Ceschi. Le Bref confirma en même temps les droits et prérogatives de cet Ordre.1. — Voyez Appendice, Texte français d'après l'original.
Le nouveau grand-maître reçut en outre le rang cardinalice à la Cour du Souverain-Pontife et dans toutes les solennités, comme l'illustre Frère Pierre d'Aubusson, en 1480, et Frère Antoine de Paule, en 1630. Cette élévation au cardinalat a une signification aussi grande dans l'avenir que dans le présent; car Sa Majesté I et R apostolique a reconnu, en faveur de Frère Ceschi et de ses successeurs, par Décret du 27 décembre 1880, la collation de cette haute dignité avec les honneurs qui y sont attachés, puis elle y a ajouté une sanction plus marquée, en conférant à ce grand-maître, pour lui et ses successeurs au magistère, le rang de prince autrichien, et en étendant cette faveur insigne, par Décret du 2 avril 1881, aux grands-prieurs de Bohême-Autriche, dans le présent et dans l'avenir, avec le prédicat de Grâce princiere.
Le grand-maître est donc S. Em., Frère Jean-Baptiste Ceschi de Santa Croce, cardinal et prince-grand-maître, depuis cette année 1879 et depuis l'année suivante, et ce titre est acquis à l'Ordre souverain, de telle sorte que désormais les noms de famille et les prénoms seuls changeront 1).
1. — Dès le XVIIe siècle, les Chevaliers de Malte donnaient au grand-maître le titre d'Eminence, et les sujets de l'Ordre, celui d'Altesse Eminentissime. Depuis François Ier, les rois de France les appelaient : « Mon cousin. » On cite pour preuves une lettre de François Ier (1525), après les négociations relatives à sa rançon ; une de Louis XIV, du 22 mars 1644; une d'Anne d'Autriche, de la même date, en réponse aux lettres de condoléance de ce haut dignitaire, à propos de la mort de Louis XIII. Le titre de Prince fut conféré au Chef des Hospitaliers par l'Empereur Ferdinand Ier (Alofe de Wignacourt) avec le prédicat d'Altesse sérénissime. Sous Pinto et dans la suite, les Chevaliers et les ministres étrangers donnèrent aux grands-maîtres les titres de Monseigneur et d'Altesse Eminentissime. La couronne fermée somma alors les armes, pour la première fois. Mais il n'y avait, à vrai dire, de changé que la forme; car, après le serment d'observance des Statuts et Coutumes de l'Ordre, entre les mains du prieur de l'Eglise, tous les grands-maîtres allaient prêter, depuis l'inféodation de l'île, après leur intronisation et le baisemain, devant les portes de la Cité-Victorieuse, entre les mains du premier magistrat, en leur qualité de princes de Malte, le serment de conserver les privilèges, libertés et autres droits garantis à la nation maltaise par Charles-Quint, puis ils recevaient une clef d'or et une clef d'argent, en signe de soumission. Ils exerçaient à partir de ce moment là les droits inhérents à la qualité de princes souverains et constitutionnels de Malte. Disons encore que, dans la correspondance avec Hompesch, François II, empereur, appelle le grand-maître : Monsieur mon cousin ! (Voyez Appendice, Lettres de 26 août et du 23 décembre 1707), et termine par ces mots : « Monsieur mon Cousin, de Votre Altesse le bien affectionnée. »
La pourpre cardinalice marque bien l'étroite union avec l'Eglise, et le rang de prince de l'Empire, qui n'a pas cessé un seul instant de reconnaître et de protéger l'Ordre, le lien entre les Chevaliers catholiques et la dynastie qui a donné des Saints à la Chrétienté ; dont les souverains portent, depuis Charles-Quint, le titre de rois apostoliques, comme rois de Hongrie et celui de rois de Jérusalem, comme descendants directs des rois chrétiens de la Terre-Sainte. La couronne royale, maintenue au-dessus de l'écusson écartelé du Grand-Maître, ainsi qu'au dessus de l'écusson de l'Ordre, appuyé à la Croix à huit pointes, avec le collier de la grand-croix, est la manifestation de cette souveraineté, premier élément d'initiative et de force, dans l'accomplissement de l'oeuvre hospitalière de la communauté, pour la glorification de la Croix et le bien de l'humanité. Nous devons mentionner la restitution de son caractère autonome à l'Ordre, en territoire espagnol, par le Décret cité en original en tête de ce livre, dont voici la traduction fidèle.
« Décret royal. »
« Prenant en considération les motifs exposés par Mon Ministre d'Etat et d'accord avec le Conseil des Ministres, Je viens décréter ce qui suit:
Art. 1er. — Les concessions d'habit de l'Ordre insigne et vénérable de Saint-Jean-de-Jérusalem, en la partie relative aux langues de Castille et d'Aragon, qui seront données à l'avenir par le Grand-Maître de l'Ordre nommé par Sa Sainteté, conformément aux conditions imposées par les Statuts du même ordre et sur confirmation du Chapitre espagnol, seront reconnues en Espagne et les bénéficiaires autorisés à porter les insignes du dit Ordre.
Art. 2. — Les Chapitres des langues de Castille et d'Aragon actuellement existants seront fondus en un seul et Mon Gouvernement, d'accord avec le Grand-Maître de l'Ordre, déterminera les futures fonctions de celui-ci.
Art. 3. — Les chevaliers actuels de l'Ordre conserveront dans la nouvelle organisation les mêmes insignes et uniformes qu'ils ont actuellement, ainsi que les privilèges qui y correspondent et que reconnaît le Grand-Maître de l'Ordre, au nom de Sa Sainteté.
Art. 4. — Aucun sujet espagnol ne pourra porter en Espagne les insignes de l'Ordre de Saint-Jean, sans avoir obtenu préalablement l'autorisation nécessaire, qu'il sollicitera par l'intermédiaire du ministère d'état.
Art. 5. — Les archives des langues d'Aragon et de Castille seront incorporées au dit ministère.
Art. 6. — Il est dérogé aux décrets royaux du vingt janvier mil huit cent-deux, du vingt-six juillet mil huit cent quarante-sept, et du vingt-huit octobre mil huit cent cinquante et un, en tout ce qui n'est pas conforme au présent.
Donné au Palais de Sainte Ildephonse, le quatre septembre mil huit cent quatre-vingt-cinq.
Signé: Alphonse. Contresigné : Le ministre d'état, J. Elduayen.
C'est ici le moment de reprendre les Annales du premier établissement de l'Ordre en Terre-Sainte, que nous avons commencé à écrire, sous la Lieutenance de Frère Borgo, celui de l'Hospice de Tantur.
Au mois de novembre 1868, un traité conclu entre la Porte ottomane et la plupart des puissances permit aux étrangers d'acquérir et de posséder dans tout l'empire des bien-fonds, terres, maisons, etc., au même titre que les sujets du Sultan et avec cet avantage que les étrangers auraient leurs propriétés sous la protection de leurs consuls.
L'Ordre profita de cette circonstance pour rentrer en Palestine, comme Ordre hospitalier. Il fallait avant tout être protégé par une puissance, acquérir une terre et agir sous le nom d'un tiers qui ne portât pas ombrage à quelque Etat non-catholique influent près de la Porte. On avait à redouter les menées des musulmans qui haïssent aujourd'hui comme jadis le nom chrétien, des juifs qui ne leur cèdent en rien sur ce point, des schismatiques de toutes les catégories, surtout des protestants anglais très-remuants servant partout d'avant-garde aux armées britanniques, et des protestants allemands, juifs convertis pour la plupart, ayant contre les catholiques plus de haine encore que les mahométans, les grecs et les israélites. Une milice chevaleresque devait aussi inquiéter les catholiques latins redoutant de perdre leur situation acquise. Le comte Caboga acheta, en 1869, sous son propre nom, une colline entière, située entre Jérusalem et Bethléem, au lieu dit la Tour de Jacob. IL y construisit un véritable château, pour servir de Couvent aux Chevaliers, au chapelain et au médecin, puis, à vingt-cinq pas environ du côté Sud-Est, un hospital. Une collecte faite en Autriche par le grand-prieuré de Bohême, assura à l'établissement un revenu de 16.000 francs; Caboga lui aussi quêta partout avec succès: il fut soutenu par des grands personnages et par le trésor de l'Ordre; l'hospice fut doté par l'empereur François-Joseph. Les couleurs autrichiennes abritèrent la construction nouvelle, que le Magistère plaça du reste sous la protection immédiate de l'Empereur, auprès duquel l'Ordre est accrédité par ambassadeur. L'hospital ou hospice a été inauguré en 1876; le comte Caboga, reçu en juin 1872 chevalier de justice in sine Meligionis a été nommé par le Magistère et le Conseil, précepteur de cet hospital, selon le terme traditionnel qui remonte à Frère Gérard, en 1113 (Bulle du pape Pascal II (1). Voici du reste le chaleureux appel du magistère aux grands-prieurs et à tous les Chevaliers pour réclamer leur concours, en date du 7 avril 1873.
1. — Il est mort depuis.
Cette circulaire est un document historique. L'Hospice de Tantur a déjà donné l'hospitalité à bien des pèlerins; la mission est en pleine activité.
« Malgré les adversités de six siècles d'exil loin de la Terre-Sainte, écrivait le Magistère, l'Ordre de Saint-Jean a conservé jusqu'à nos jours le sentiment de la sainte mission qui, depuis son origine, lui incombe auprès du Très-Saint-Sépulcre de Notre-Seigneur. Fidèle à ses plus sacrées traditions, il s'efforce, aujourd'hui que les conditions politiques de l'Europe et de l'Orient ont cessé d'y opposer des obstacles insurmontables, de se créer un nouveau champ d'action sur les saints lieux qui furent naguère son berceau et le premier théâtre de sa gloire. Pour vaquer à cette noble tâche, dans les limites que comporte notre ère actuelle, l'Ordre a résolu, il y a quelques années, de pourvoir à la fondation d'un établissement, dont le besoin se faisait vivement sentir à Jérusalem, c'est-à-dire d'un hôpital pour les pèlerins catholiques de toutes les nations. Il fit acquisition à cet effet d'un terrain situé sur la colline de Tantur, entre Jérusalem et Bethléem. »
« Le Saint-Père Pie IX, en bénissant la pieuse entreprise, renouvela en faveur de cet établissement et de l'église qui y sera annexée, les amples indulgences et privilèges, dont jouissaient anciennement nos hospices en Terre-Sainte, en y ajoutant des faveurs spéciales pour ceux des chevaliers de justice qui se dévoueraient personnellement au service de cette oeuvre. »
« D'autre part, le futur hôpital est aussi l'objet de la sollicitude de S. M. l'Empereur d'Autriche, qui a toujours manifesté le plus gracieux intérêt pour le développement du projet, et, tout récemment encore, a daigné en accepter le protectorat. La construction des édifices, placée sous la surveillance zélée et intelligente de notre confrère, le comte Caboga-Cerva, a fait de rapides progrès et se trouve presque achevée à l'heure qu'il est. Les frais considérables de cette institution furent supportés par le Magistère, aidé surtout par le généreux concours du Prieuré de Bohême. »
« On est parvenu ainsi à réunir un fonds produisant un revenu annuel de 16.000 francs. Ces moyens, toutefois, ne pourraient suffire pour faire face à tous les besoins de la situation. Le grand-prieuré de Bohême, sentant la nécessité de nouveaux sacrifices, ne recula pas devant cette obligation et décida dernièrement qu'il demanderait une nouvelle contribution à tous les chevaliers de justice et de dévotion de son ressort. De son côté, le suprême conseil approuva cette décision et décréta en même temps que, dorénavant, tous les chevaliers et dames de dévotion, nouvellement reçus dans l'Ordre, seraient tenus de faire une offrande pour l'oeuvre en question, dans les proportions que conseilleraient à chacun sa propre piété et ses ressources personnelles. Pour leur part, les prieurés de la Langue italienne ont délibéré de prêter leur assistance à l'oeuvre commune. »
« L'honneur et le mérite de cette oeuvre doivent appartenir, en effet, indistinctement, à tous les membres de l'Ordre, car tous sont également intéressés au succès d'une entreprise, dans laquelle le drapeau de l'Ordre tout entier est engagé. »
« J'ai par conséquent le devoir d'en entretenir V. E., comme chef de l'association... Nos confrères de votre province, animés d'un esprit aussi chrétien que chevaleresque, voudront certes contribuer à ce que j'appellerai la renaissance de notre institution sur son terrain primitif. Les preuves multiples que nous avons reçues du dévouement, de l'abnégation et du zèle religieux de Votre Association, nous donnent l'assurance qu'elle répondra à cet appel en faveur d'une grande cause. »
« L'Ordre doit reprendre possession de la place glorieuse qui lui est réservée au pied du très-saint tombeau du Sauveur. Déjà la bannière de notre Croix flotte sur les hauteurs de la ville de Sion; bientôt elle protégera, comme dans les siècles les plus reculés, les milliers de pèlerins que la dévotion amène, de toutes les parties du monde, sur la scène de la vie et de la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ... »
Cette lettre était signée du bailli Frère Ceschi, lieutenant du Magistère, aujourd'hui cardinal-grand-maître: on ne peut parler avec plus de prudence, en précisant mieux la signification réelle de cette rentrée en Terre-Sainte, pour y combattre le saint combat de la Charité.
Jérusalem signifie dans la langue de la Bible :
La Vision de la paix.
Puisse donc le titre d'Ordre de Jérusalem être à la fois un symbole qui rappelle les origines de l'Ordre de Saint-Jean et qui annonce ses destinées à venir !
Annales de l'Ordre de Malte ou des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem - Chevaliers de Rhodes et de Malte. Depuis son origine jusqu'à nos jours et du Grand-Prieuré de Bohème-Autriche et du service de Santé volontaire. Par Félix de Salles. Vienne 1889.