Église Saint-Martin de Poucharramet
Domus Hospitalis Poucharramet
Les vieilles églises du diocèse de Lombez aujourd'hui en Haute-Garonne.
Ce qui importe à l'archéologue c'est de savoir que, sur plus d'une quarantaine d'églises ou chapelles qui subsistent actuellement (églises paroissiales presque uniquement) dans cette partie de l'ancien diocèse de Lombez, un tiers seulement conservent des éléments architecturaux ou mobiliers antérieurs au XVIIe siècle. Et parmi elles trois ou quatre au plus (avec, en tête, l'église des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem : Saint-Martin de Poucharramet) ont conservé sans trop de dommage leur aspect primitif.
Autre exemple : l'église de Fustalane (sans doute préromane) qui sera donnée avec ses territoires voisins par Aymeric de Muret aux Hospitaliers en 1112. Mais ce n'est qu'à la fin du siècle et au début du suivant Que ceux-ci érigèrent l'église que nous pouvons encore admirer, de beaucoup le plus remarquable édifice de notre région où triomphe encore l'art roman mais où déjà s'annonce l'art gothique (12).
12. Du BOURG, Histoire du Grand Prieuré de Toulouse, Toulouse, 1883, page 205.
— DESPIS, Eglise fortifiée de Poucharramet, Toulouse, 1914, p. 9.
A leur tour, les moines de Poucharramet contribueront à la Prospérité de la région : ils auront ou créeront Saint-Martin de Poucharramet, Saint-Romain (et son hôpital), Lespériès, avec leurs églises ; ils avaient aussi des fiefs à Lautignac (où ils élevèrent une grande tour au XIIIe siècle pour défendre le pays), etc. (13).
13. V. ALLÈGRE, Notice sur Poucharramet, dans Dictionnaire des Eglises de France, Paris, 1967, tome III A.
— Du BOURG, opuscule cité, pp. 210-211
— DESPIS, Eglise fortifiée de Poucharramet, Toulouse, 1914, p. 9.
L'ordre de Saint-Jean avait reçu d'autres terres avec des églises à Savères, Labrande, Paumès, etc., mais qui ne réussirent pas aussi bien et furent « l'objet plus tard de nouvelles entreprises » (14).
14. HIGOUNET, Comté de Comminges, Toulouse, 1949, tome I, page 165.
Une seconde église romane nous est conservée en Partie, celle de Lussan, elle aussi, nous l'avons vu, prieuré, mais dépendant de Lézat et qui eut un rayonnement certain aux environs.
Eglise de Poucharramet
Mais d'autres prieurés prospérèrent dans notre région et l'on devrait pouvoir y insister car le rôle des abbayes et commanderies est incontestable : autour de ces sources de vie, enrichies de nombreuses donations, églises et chapelles se multiplient, défrichement et peuplement vont de pair. Le rayonnement de Toulouse vers laquelle se tourne naturellement notre zone de la Save apparaît ici notoire : outre Poucharramet déjà cité (et dépendant du grand prieuré) citons d'autres prieurés bénéficiant de la prospérité des établissements religieux de la métropole : ainsi celui de Sabonnères dépendant du chapitre cathédral de Saint-Etienne de Toulouse depuis le XIIe siècle au moins ; à Mauvezinde-l'Isle, le prieuré Saint-Paul d'Anerac dépendait de l'abbaye de Saint-Sernin au moins dès 1216 ; plus tard, le prieuré de Rieumes dépendra du cardinal de Foix, puis du Collège de Foix de Toulouse, etc. Par ailleurs, signalons les droits de l'abbaye de Conques sur Coueilles ; le monastère de religieuses dépendant de Moissac (XIe siècle) puis de Fontevrault (XIIIe siècle) à Bragayrac où se créa aussi un village comme c'est souvent le cas ; l'influence de ces mêmes religieuses de Fontevrault (mais celles de Saint-Laurent près de l'Isle-en-Dodon) à Agassac, à Mirambeau, Sénarens et Saint-Arailles dépendaient de la proche abbaye des Feuillants, elle-même soumise à la grande abbaye commingeoise de Bonnefont, etc. Le XIIe siècle fit éclore de nombreuses sauvetés provoquant la renaissance du pays soit par les moines eux-mêmes, soit (en fait de défrichement) par les colons « grands agents de la mise en valeur du Comminges » (sauvetés de Poucharramet, de Lussan, de Mauvezin, d'Adeilhac, de Labrande-de-Paumès). (15).
15. Archives départementales Br 4° 433.
— DUTIL, Haute-Garonne, II, pp. 114 à 148.
— HIGOUNET, opuscule cité, I, pages 48-68 et 177 avec carte et 345.
Enfin, comment ne pas lier la prospérité, la vitalité du pays aux grands chemins traversant ce pays de Save, notamment ceux reliant depuis l'Antiquité Toulouse à la Bigorre ou le Haut et le Bas-Comminges, routes commerciales et stratégiques jalonnées d'agglomérations et d'églises, mais aussi routes des ordres militaires et du pèlerinage de Saint-Jacques ? Route par Samatan et Lombez mais aussi, à la sortie de Toulouse, chemin qui, dès Fonsorbes, allait droit sur Saint-Clar, Poucharramet, Rieumes, Lautignac (toutes ces agglomérations, dont les trois dernières sur notre territoire, possédant des établissements de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem !) ; puis après Polastron et le prieuré de Fustignac (peut-être avec un détour par Castelnau-Picampeau, autre dépendance des Hospitaliers) rejoignant à Montgaillard la vallée de la Save après avoir traversé toute la partie de l'ancien diocèse de Lombez aujourd'hui en Haute-Garonne (20). 20. Voir HIGOUNET) opuscule cité, pp. 478-79.
Mais les pèlerins de Saint-Jacques passaient plutôt directement par la vallée de Samatan où existait pour eux une Commanderie dépendant de Roncevaux (21).
21. DIEUZAIDE, article dans Revue de Gascogne, 1906, p. 58.
Si dans le canton de Saint-Lys la plupart des églises sont en général jugées « en mauvais état », il n'en est pas de même dans le canton de Cadours et surtout dans ceux de l'Isle-en-Dodon et de Rieumes (où se trouvent la plupart de nos églises) : on s'y Contre satisfait de la solidité et de l'entretien de ces bâtiments ; même quand il s'agit d'une église conventuelle transformée en église paroissiale comme c'est le cas pour Poucharramet où, toutefois, on démolira, en l'an II, ses éléments fortifiés considérés comme « signes féodaux » (33).
33. Archives des Monuments Historiques, Poucharramet, rapport Poidevin, 1906. — DESPIS, opuscule cité, p. 27.
Portail de Poucharramet : détails.
Poucharramet
L'église Saint-Martin de Poucharramet (42), chef d'une commanderie (et simple église paroissiale depuis la Révolution), fut édifiée en brique par les Hospitaliers de Saint-Jean à la fin du XIIe siècle (une clé de voûte porte la date de 1252) ; ses fortifications qui dataient de la Guerre de Cent Ans avaient été détruites en l'an II.
Classée Monument Historique en 1906, l'église Saint-Martin a été dès lors rétablie dans son état primitif: reconstitution du crénelage, restauration de la couverture, du Portail, du clocher, etc. Mais on a conservé les deux chapelles du siècle dernier qui font du plan d'origine en rectangle (28 m sur 8 M) un plan en croix.
Les voûtes bombées des trois croisées d'ogives ont des clés historiées : agneau pascal, saint Martin (le patron de l'église), diverses armoiries. A la retombée des arcs du chœur et de la nef, les culs-de-lampe et les bandeaux sculptés, assez frustes et de relief méplat, sont d'esprit encore roman : feuillages, têtes, bustes, animaux variés et symboliques, réels ou fantastiques, placés symétriquement (chouettes, lions, chimères, Cléognes, bélier, reptile, etc.)
42. L'importance de cette église exigerait une très grande monographie : on s'en rapportera donc à la bibliographie pour compléter ces quelques lignes.
Les fenêtres sont en plein cintre mais les voussures de brique sont déjà en arc brisé : pourtant les corbeilles des six chapiteaux, sous une élégante arcature trilobée, révèlent de pittoresques motifs romans dont le célèbre épisode de saint Martin partageant son manteau avec un mendiant à béquille ; autre sculpture : une truie allaitant ses petits !
L'extérieur est celui d'une forteresse avec un mur de ronde sur mâchicoulis tours d'angle, contreforts à grands glacis, longues baies étroites. Le clocher-pignon présente cinq baies en arc brisé.
Enfin on a classé deux plats de quête en cuivre repoussé du XVIe siècle ainsi qu'une cloche et un lustre du XVIIIe siècle.
Par son origine, sa chronologie, le plan et le matériau (mais non le décor sculpté), Saint-Martin de Poucharramet est à rapprocher de cette autre église (mais des Templiers) dépendant du Grand Prieuré de Toulouse : l'église de Montsaunès, à 50 km à peine Plus au sud, à l'entrée des Pyrénées.
Bibliographie : ALLÈGRE, Poucharramet, dans Dictionnaire des Eglises de France, 1967, sous tome III A DESPIS, Eglise de de Poucharramet, Toulouse, 1914. Rapport Poidevin, 1906, aux Archives des Monuments Historiques (Ministère des Affaires Culturelles), à compléter, pour les restaurations, avec le dossier 2-0-1065 des Archives Départementales de la Haute-Garonne.
III. — CONCLUSIONS
De cette étude analytique pouvons-nous dégager des conclusions archéologiques ? Certes nous devons borner nos ambitions étant donné la faible superficie de territoire en cause, le petit nombre de vieilles églises offrant encore un intérêt et le rôle modeste qu'elles ont joué à l'exception de Saint-Martin de Poucharramet (qui a seule d'ailleurs mérité son classement comme Monument Historique). Aurions-nous pu en conserver davantage, étant donné l'importance des restaurations du XIXe siècle même dans les édifices que nous avons étudiés sur le plan archéologique ? Pour ceux-ci notamment les documents d'archives nous prouvent qu'on aurait pu agir avec plus de circonspection, plus de respect pour le passé, pour des éléments dignes d'être conservés ; surtout dans les grands édifices : à Rieumes, à Cadours, à Sabonnères. N'oublions pas toutefois la vétusté, le danger même qui justifiait alors d'urgentes réparations. Mais n'était-ce pas dû précisément à une trop longue période d'abandon pendant, après et parfois avant la Révolution ?
De toute façon, nous pouvons, même avec le peu qui nous reste, dégager quelques caractères généraux. Notons d'abord qu'à l'exception de Lussan et de Poucharramet, d'un style roman quelque peu attardé, toutes les autres églises, c'est-à-dire les quatre cinquièmes, appartiennent au style gothique, mais toujours celui de la première moitié du XVIe siècle ! C'est-à-dire qu'il a fallu attendre un siècle environ dans cette région pour que les ruines et la misère dues à la guerre de Cent Ans puissent être oubliées à l'occasion de cette ère brève de prospérité relative qui précède les guerres de Religion ! Encore est-ce en fonction du programme le plus économique qu'on opéra cette reconstruction.
En ce qui concerne le plan de ces églises du XVIe siècle, c'est le chevet à trois pans que l'on retrouve un peu partout (Mauvezin restant fidèle à l'abside demi-circulaire). La nef s'accompagne de chapelles (sauf pour les plus modestes édifices comme Riolas) dont le nombre varie naturellement avec l'importance de l'église : deux (formant le plan en croix) à Coueilles, une série flanquant les côtés de la nef à Rieumes, Sabonnères, Cadours.
Ces trois dernières églises sont les seules qui atteignent ou dépassent trente mètres de long, tandis que toutes les autres varient autour de quinze à vingt mètres seulement. Il est curieux aussi de constater que ce sont encore ces églises les plus importantes (auxquelles s'ajoute la remarquable église romane de Poucharramet) qui sont construites en brique alors que le grès du pays constitue le matériau des édifices plus petits : Cazac, Coueilles, Mauvezin, Riolas et la romane église de Lussan ; Sajas apparaissant plus composite (43).
43. Pour Sajas, seul le clocher est solidement bâti en briques entières. Le vaisseau, dans ses parties anciennes est « de briques reliées par un mortier de terre » (Archives Haute-Garonne, 2-0 1272, année 1878).
Parmi les particularités d'une architecture d'ailleurs très simple, on retiendra l'usage généralisé du clocher-pignon aux trois baies en plein cintre ou légèrement brisé (Ambax, Cazac, Mauvezin, etc.), plus rarement à cinq baies (Poucharramet, Sabonnères), le clocher-mur fortifié de Sajas constituant le seul cas original. Certes, ces clochers sont avec la couverture les éléments les plus exposés aux intempéries, aux guerres et aux incendies, donc les plus susceptibles de restaurations ; il ne semble pas toutefois que celles-ci, en général du moins, en aient beaucoup affecté le dessin primitif. Et il est d'ailleurs très fréquent, même en cas de réfection quasi totale, qu'on s'inspire fidèlement de la construction précédente. D'où l'air de famille entre les édifices aujourd'hui sans grand intérêt archéologique et ceux que nous avons étudiés. Parenté aussi dans les traits lointains de l'histoire religieuse de ces édifices : il est frappant, par exemple, de trouver cinq églises voisines dédiées à saint Martin : Ambax, Riolas, Castelgaillard, Martisserre, Sajas. Et saint Martin est aussi le patron de Poucharramet (44) !
44. Ce qui fait que sur les quinze églises que nous avons retenues pour leur intérêt archéologique cinq sont dédiées à saint Martin et le nom même de Martisserre signifierait « Colline de Saint-Martin », d'après MAGRE, L'Isle-en-Dodon, 1888, p. 209.
En ce qui concerne les éléments sculptés, ces modestes édifices ruraux du XVIe siècle en sont avares, notamment dans les Portails ; lorsque ceux-ci subsistent (Ambax, Cazac, etc.) ils témoignent, malgré leur sobriété, de la transition entre le gothique et l'art de la Renaissance. Cela apparaît encore plus dans les bandeaux ou les culs-de-lampe sculptés (Coueilles, Rieumes, etc.) (45) ou dans les quelques éléments du mobilier subsistant de cette époque : retable d'Ambax, fonts baptismaux de Rieumes et de Fustignac, cloches de Cadours, Cazac, Mauvezin, Rieumes, Riolas, etc. Quant au mobilier vraiment médiéval il n'en subsiste que de rares épaves : cuve de plomb de Sabonnères (XIIIe siècle), Vierge à l'Enfant de Martisserre et de Sajas (fin Moyen Age). De toute façon la construction comme le mobilier de ces églises sont l'ouvre d'artisans locaux (sauf rares exceptions comme à Poucharramet et à Rieumes) au programme sans grande ambition. Cela reste vrai d'ailleurs pour les restaurations du XIXe siècle dont les documents précis nous révèlent les noms des maîtres-maçons, charpentiers et entrepreneurs du village même (comme à Lussan) ou en tout cas des petits centres proches (l'Isle-en-Dodon par exemple)
45. De même au remploi de pierre sculptée à Labastide-Paumès.
Enfin, disons qu'il serait assez vain de tenter des comparaisons très longues avec l'art des régions voisines ou lointaines ; le territoire étudié n'étant pas assez vaste ni surtout assez logiquement découpé, et les vestiges conservés appartenant à un art rural dont les possibilités, l'originalité restaient assez restreintes. Tout au plus avons-nous pu faire quelques rapprochements entre tel ou tel édifice comme l'église des Hospitaliers à Poucharramet et celle des Templiers à Montsaunès, entre tel élément du mobilier comme la cuve baptismale en plomb de Sabonnères et d'autres du même diocèse.
* * *
Comme on le voit, c'est un travail sans ambition lui aussi que nous vous présentons. Mais il entre dans le cadre d'un minutieux effort de prospection auquel nous nous livrons dans la région toulousaine et dans les pays pyrénéens depuis déjà bien longtemps et qui constitue (ainsi qu'on le reconnaît de plus en plus) une base indispensable à de sérieuses études générales sur l'art religieux du Moyen Age.Enfin, cette présentation d'une zone méconnue de la Haute-Garonne pourra également être utilisée dans le cadre plus logique d'une étude sur l'ensemble du diocèse de Lombez ; étude que celui-ci mérite et que nous rappelons à l'attention des archéologues gersois intéressés au premier chef (46).
46. Tout notre article, surtout « l'Historique », peut d'ailleurs servir de base à une étude générale sur le diocèse de Lombez ; il faudrait bien entendu y ajouter les exemples et relever les vestiges archéologiques relatifs aux églises aujourd'hui dans le Gers.
Sources : Bulletin de la Société archéologique, historique littéraire et scientifique du Gers, Les vieilles églises du diocèse de Lombez aujourd'hui en Haute-Garonne, par Victor ALLÈGRE, pages 153 à 176. BNF