Mémoire sur les Ordres Religieux et Militaires du Temple et de l'Hôpital, leurs établissements et leurs églises dans le département du Morbihan.
Fondé à Jérusalem en 1118, l'ordre des Templiers (Templarii, militia Templi, fratres militiæ Templi, milites sanctæ domus Templi Jerosolymitani) n'apparaît en Bretagne que vers le milieu du XIIe siècle. En 1141, le duc Conan III leur fait plusieurs concessions, qui sont confirmées, en 1201, par la duchesse Constance, et, en 1217, par Pierre Mauclerc. Malheureusement ces chartes de concessions et de confirmations, qui ont été reproduites par dom Morice dans ses Preuves de l'histoire de Bretagnene désignent spécialement aucun des biens de l'ordre du Temple, et, comme cet ordre disparaît au commencement du XIVe siècle, on ne possède pas de document, du moins dans ce pays, qui puisse déterminer d'une manière certaine les lieux qu'ils occupèrent pendant un siècle et demi.
A défaut de documents écrits, il restait deux sources où il nous était permis de puiser quelques renseignements : d'une part, nous avons relevé, sur les plans cadastraux, les villages et les chapelles qui avaient conservé le nom de Temple ; de l'autre, nous avons consulté la tradition locale.
Par l'étude des noms de lieux, nous avons retrouvé la trace des chevaliers du Temple dans dix-neuf paroisses dont voici les noms :
Quistinic
Inzizac
Pont-Scroff
Saint-Tugdual
Malansac
Péaule
Limerzel
Berric
Noyal-Muzillac (Le Guerno)
Suliniac
Saint-Gondard
Le Temple de Carentoir
Rieux
Allaire
Saint-Jacut
Saint-Dolay
Saint-Servant
Sérent (Lizio)
Guillac.
Sans aucun doute ce sont les Templiers, et non point les protestants, qui ont introduit le nom de Temple dans ces diverses localités ; si le séjour des premiers fut de courte durée, celui des seconds fut encore moins long, et n'a laissé que des traces insignifiantes dans une région fort restreinte.
Nous avons donc obtenu un premier résultat bien positif.
Quant à la tradition, elle ajoute quelques noms aux précédents ; et nous mentionnerons d'après elle, comme ayant été aussi habitées par les chevaliers du Temple, les paroisses de :
Caudan
Landévant
Quibron
Camors (à Tourel-Tallen)
Lignol
Ploerdut (à Crénéan)
Baden
Férel
Ile-aux-Moines
Ambon (à Péaesclus, aujourd'hui en Muzillac)
Bignan
Arzon (à Pencastel)
Malestroit
La Trinité-Porhoêt
Radenac
Saint-Allouestre.
Mais nous devons avoir dans la tradition une confiance très-limitée. Il nous est arrivé en effet de constater, dans plusieurs cas, qu'elle confondait le souvenir des Templiers avec celui des chevaliers de Saint-Jean, et même de toute autre communauté. Cela devait être, et cette confusion s'est produite dans les esprits les plus éclairés jusqu'à nos jours ; nous reviendrons tout à l'heure sur ce point.
La confusion, nous le répétons, était inévitable dans nos campagnes, surtout entre les deux ordres du Temple et de l'Hôpital. Introduits en Bretagne à peu près à la même époque que les Templiers, les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem y avaient obtenu, comme eux, de nombreuses concessions dues à la libéralité des ducs ou des particuliers, non-seulement dans des paroisses voisines, mais très-souvent sur le même territoire (comme il est facile de le vérifier) ; puis, lors de l'abolition de l'ordre du Temple, ils héritèrent de la plus grande partie de ses biens et continuèrent à en jouir jusqu'à la révolution française. Enfin il n'est pas jusqu'à leur costume qui n'ait donné lieu à la méprise : la croix rouge éclatait sur les vêtements des chevaliers des deux ordres, et c'est à l'existence de cette croix qu'il faut sans doute rapporter le nom de Moines rouges « menach ru, » donné indifféremment, croyons-nous, aux uns et aux autres, bien qu'il semble plus spécialement affecté aux Templiers.
Les Moines rouges (c'est le seul nom qui leur soit resté dans la campagne) étaient, suivant la tradition, des gens méchants, intempérants et cruels ; ils ont causé les plus grands maux dans le pays ; aussi, en châtiment de leurs crimes, ils disparurent tous dans une même nuit, et l'on voit souvent errer leurs ombres tourmentées par le remords. Il faut lire, dans le Barzas Breiz de M. de la Villemarqué, le chant des Trois Templiers, pour avoir une idée de la terreur qu'ils inspirent encore aujourd'hui dans les lieux qu'ils ont habités.
Mais si la tradition, en conservant le souvenir de l'extinction rapide des chevaliers du Temple, semble, en ce point, d'accord avec l'histoire, pour leur faire attribuer le nom de Moines rouges, il n'en est pas moins vrai que, par les raisons données plus haut, le même nom sert bien certainement aujourd'hui dans nos campagnes à désigner aussi les chevaliers de Saint-Jean. Nous avons été à même de le vérifier bien des fois : nulle part leurs établissements ne nous ont été signalés sous une autre dénomination. Or il n'est pas admissible qu'on ait conservé aussi fidèlement le souvenir d'un ordre éteint depuis plus de cinq cents ans, et qu'on ait oublié jusqu'au nom d'un autre ordre qui vient à peine de disparaître, et dont les possessions étaient plus considérables encore que n'avaient été celles des Templiers.
S'il est difficile de retrouver aujourd'hui, d'une manière exacte, les biens des chevaliers du Temple, il n'en est pas de même de ceux des chevaliers de Saint-Jean ou Hospitaliers (Sancti Johannis in Jérusalem, fratres Jerosolimitani hospitalis, hospitalarii).
Hospitaliers de Saint-Jean
Dès l'origine, en effet, une charte de Conan IV, rapportée par dom Morice à la date de 1160, énumère, pour les confirmer, toutes leurs possessions en Bretagne. C'est au sujet de ce document que régna jusqu'à ces dernières années, même dans le public lettré, la confusion dont nous parlions plus haut. Deux motifs contribuaient à prolonger l'erreur. La charte de Conan porte, en effet, pour titre, dans le premier volume des Preuves, Charte du duc Conan IV pour les Templiers ; d'autre part, la charte de Pierre Mauclerc (1217) cite, parmi les bienfaiteurs de cet ordre, ce même Conan IV. Or, s'il est vrai que Conan IV ait augmenté ou confirmé les possessions des chevaliers du Temple, il n'en est pas moins vrai que la charte de 1160 se rapporte uniquement aux chevaliers de Saint-Jean (domus Hierosolymitanœ hospitalitatis), ainsi que l'a très-heureusement fait observer M. Delabigne-Villeneuve, au congrès de l'Association bretonne tenu à Saint-Brieuc en 1852 : le titre explicatif est faux.
Cela bien posé, extrayons de la charte de Conan les noms des paroisses qui se trouvent aujourd'hui dans le Morbihan. Les possessions de Saint-Jean y sont désignées, tantôt sous la dénomination d'hôpitaux (hospitalia), tantôt sous celle d'aumôneries (eleemosinœ) :
Hôpitaux
Locmalo
Pontivy
Suloiac.
Aumôneries
Guéméné-Guégant (Quasgurq)
Priziac
Giéguer
Languidic
Nostang
Le Gorvello (en Sulniac)
Quistinic-sur-Blavet
Molac
Malansac
Questembert
Le Guerno (paroisse de Noyal-Muzillac)
Ploërmel
? Kerfourn (paroisse de Noyal-Pontivy)
? Roudouallec (paroisse de Gourin).
Il y aurait peut-être encore deux ou trois paroisses à ajouter à cette liste ; mais quelques-uns des noms mentionnés dans la charte de 1160 s'écartent tellement des dénominations actuelles, qu'on ne sait à quelles localités les attribuer.
Si nous descendons jusqu'au XVIIIe siècle, nous trouvons (et c'est à M. Delabigne-Villeneuve que nous empruntons encore ces renseignements) l'ordre de Malte composé en Bretagne, non compris le comté de Nantes, de trois commanderies principales, relevant du grand prieuré d'Aquitaine, et formées chacune de plusieurs membres qui avaient été jadis eux-mêmes bénéfices, séparés au titre de commanderies, puis successivement réunis pour composer des dotations plus importantes. Ces trois grandes commanderies étaient :
1° Celle du Palacret et de la Feuillée, très-riche, s'étendant dans les diocèses de Tréguier, Saint-Brieuc, Quimper, Saint-Pol-de-Léon et Vannes
2° Celle de Carentoir, dans les évêchés de Rennes, Saint-Malo, Vannes, Dol et Saint-Brieuc
3° Celle de la Guerche, dans les diocèses de Rennes, Saint-Malo, Saint-Brieuc et Dol.
Occupons-nous seulement de ce qui intéresse le département du Morbihan.
Les membres de la commanderie du Palacret étaient, dans le diocèse actuel de Vannes :
1° La commanderie de Sainl-Jean-du-Faouët, dont les biens s'étendaient dans les paroisses du Faouët, de Gourin, Langonnet, Guiscriff, Inzinzac, Roudouallec (en Gourin)
2° La commanderie du Croisty, annexée à celle du Faouët à une époque moderne, et qui comprenait elle-même l'ancienne commanderie de Beauvoir-en-Priziac, avec des biens en Saint-Tugdual, Priziac, Saint-Caradec-Hennebont, Quistinic, Lesbins-Pont-Scorff.
La commanderie de Carentoir, dont le chef-lieu était au Temple de Carentoir, dans le diocèse de Vannes, avait, indépendamment de ses possessions au Temple, deux membres compris de même aujourd'hui dans le Morbihan, savoir : l'hôpital de Malansac et l'hôpital de Saint-Jean-de-Villenard, près Ploërmel.
Quant à la commanderie de la Guerche, elle n'avait de biens ni dans le diocèse de Vannes, ni dans les portions des diocèses voisins dont a été composé plus tard notre département.
Si enfin, comme nous avons fait pour l'ordre du Temple, nous relevons, à l'aide du cadastre, les villages ou chapelles du vocable de Saint-Jean ou de l'Hôpital, nous augmenterons considérablement la liste des possessions de l'ordre de Malte, car nous trouvons ce vocable dans les paroisses qui suivent :
Auray
Locoal-Mendon
Kervignac
Belz
Riantec
Erdeven
Merlevenez
Pluvigner
Grach
Languidic
Pont-Scorff
Cléguérec
Séglien
Saint-Tugdual
Bieuzy
Saint-Thuriau
Guiscriff
Plumelin
Noyal-Pontivy
Moustoirac
Le Faouët
Pluméliau
Guern
Monterblanc
Sulniac
Treffléan
Marzan
Pluherlin
Arzal
Muzillac
Queslembert
Rieux
Cournon
Larré
Malansac
Surzur
Plaudren
Campénéac
Ruffiac
Lanouée
Guer
Monteneuf
Néant
Ploërmel
Loyat
Guillac
Saint-Servant
Mauron
Crédin.
Ainsi les biens des chevaliers de Saint-Jean, augmentés au XIVe siècle de ceux des Templiers, étaient très-considérables, et nous pouvons espérer de n'en avoir pas omis beaucoup dans notre nomenclature.
En résumé, nous connaissons aujourd'hui dans le Morbihan, d'une part, tous les établissements de l'ordre du Temple qui ont conservé cette dénomination, de l'autre les possessions primitives de l'ordre de l'Hôpital, et les accroissements qu'elles reçurent par la suite.
Quelques mots maintenant sur le plan adopté par ces deux ordres dans la construction de leurs Eglises. Nous ne dirons rien ou presque rien des constructions templières, sinon que la forme circulaire, en imitation de la rotonde du Saint-Sépulcre, leur est généralement attribuée (on en connaît des exemples remarquables en France et en Angleterre) ; mais les chevaliers du Temple ne furent pas les seuls à l'employer (Sainte-Croix de Quimperlé, dans le Finistère, n'est pas leur ouvrage) ; de plus, ils n'ont dû appliquer ce système qu'à leurs Eglises les plus importantes, et nous n'en trouvons pas d'exemple dans nos campagnes du Morbihan, où cependant ils ont laissé, comme nous l'avons vu, des traces assez nombreuses.
Quant aux chevaliers de Saint-Jean, ont-ils donné au plan de leurs Eglises une forme particulière ? Nous ne pensons pas qu'on n'ait jamais rien signalé à ce sujet.
A part la forme circulaire, qui n'est qu'une exception, les Eglises et chapelles présentent, à peu près dans une égale mesure, le plan d'un rectangle plus ou moins allongé ou celui d'une croix latine ; nous connaissons dans notre département un exemple de la croix mixte (à Kernascleden en Saint-Caradec-Trégomel) ; enfin nous avons remarqué dans un certain nombre de constructions, le plan de la croix en T ou croix-potence à un seul ou à deux bras. M. l'abbé Crosnier dans son Iconographie chrétienne, comprend ce genre de croix parmi les différentes variétés qu'on rencontre dans les plans d'Eglises, et il en cite deux exemples : Agdes et Bellaigue en Auvergne. Nous irons plus loin en proposant de considérer comme édifices dus aux chevaliers de Saint-Jean, ou au moins construits d'après leur système, les Eglises ou chapelles qui affectent cette forme du tau ou demmi-tau.
Nous ignorons ce que deviendra cette opinion lorsqu'on cherchera à la contrôler par l'examen des monuments de même forme dans le reste de la France ; voici seulement ce que nous avons constaté pour le département du Morbihan, dont nous avons aujourd'hui parcouru la plus grande partie.
Nous avons noté trente-trois Eglises ou chapelles en T ou demi-T, savoir :
— Paroisse de Belz.
— Chapelle Notre-Dame (demi-T), gothique.
— (Saint-Jean) de Caudan.
— Chapelle Notre-Dame de Trescoët (T), roman et gothique. (Moines rouges.)
— Idem. — Chapelle Saint-Yves (T), gothique. (Moines rouges.)
— de Kervignac. — Chapelle Notre-Dame-de-la-Clarté ou de Locadour (demi-T), roman et gothique. (Saint-Jean.)
— de Nostang. — Chapelle de Locmaria (T), roman et gothique. (Saint-Jean.)
— de Ploemel. — Chapelle Saint-Meen (demi-T), gothique. (Moines rouges.)
— de Pluvigner. — Chapelle Notre-Dame-de-Miséricorde (demi-T), gothique. (Saint-Jean.)
— de Lignol. — Eglise paroissiale Saint-Pierre (demi-T), roman et gothique. (Moines rouges.)
— Idem. — Chapelle Saint-Yves (T renversé), roman et gothique. (Moines rouges.)
— Paroisse de Saint-Tugdual. — Chapelle Saint-Guen (T), gothique. (Templiers et Saint Jean.)
— Idem. — Chapelle du Croisty (T), gothique. (Templiers et Saint-Jean.)
— d'Ambon. — Eglise paroissiale Saint-Cyr et Sainte-Juliette (T), roman et gothique. (Moines rouges.)
— d'Arzal. — Chapelle Saint Jean-Baptiste (à Lantiern) (demi-T), roman et gothique (Saint-Jean.)
— de Berric. — Eglise paroissiale Saint-Thuriau (T), gothique. (Templiers.)
— de Férel. — Eglise paroissiale Notre-Dame-de-Bon-Garant (demi-T), roman et gothique. (Moines rouges.)
— de Marzan. — Eglise paroissiale Saint-Pierre et Saint-Paul (T), roman et gothique. (Saint-Jean.)
— de Muzillac. — Eglise paroissiale Saint-Paul (T), roman et gothique. (Saint-Jean.)
— de Pleucadeuc. — Eglise paroissiale Saint-Pierre (T), gothique (?)
— de Pluherlin. — Eglise paroissiale Saint-Gentien (T), gothique. (Saint-Jean.)
— de Questembert. —- Chapelle Saint-Michel (demi-T), gothique (SaintJean.)
— Idem. — Chapelle Saint-Jean-Baptiste (demi-T), gothique. (Saint-Jean.)
— de Sulniac. — Eglise paroissiale Saint-Pierre-ès-liens (T), roman et gothique. (Templiers et Saint-Jean.)
— Idem. — Eglise paroissiale Saint Jean-Baptiste (au Gorvello) (T), gothique. (Templiers et Saint Jean.)
— de Molac. — Eglise paroissiale Notre-Dame (au Cours de Molac) (demi-T), gothique. (Saint-Jean.)
— de Buléon, ancienne trêve de Saint-Allouestre. — Chapelle Sainte-Anne (demi-T), roman et gothique. (Templiers.)
— de Guillac. — Eglise paroissiale Saint-Bertin (T), gothique. (Templiers et Saint-Jean.)
— Paroisse de Malestroit. — Chapelle Sainte-Madeleine (demi-T ou T renversé), roman et gothique. (Templiers.)
— de Néant. — Eglise paroissiale Saint-Pierre (demi-T), roman et gothique. (Saint-Jean.)
— de Radenac. — Chapelle Saint-Fiacre (demi-T), gothique. (Templiers.)
— de Roc-Saint-André, ancienne trêve de Sérent.
— Eglise paroissiale Saint-André (demi-T), gothique. (Templiers).
— de Saint-Guyomard, ancienne trêve de Sérent. — Eglise paroissiale Saint-Maurice (T), roman et gothique. (Templiers.)
— de Saint-Léry. — Eglise paroissiale Saint-Léry (T), gothique (?).
— de la Trinité-Porhoët. — Eglise paroissiale de la Sainte-Trinité (demi-T), roman et gothique. (Templiers.)
Or, de ces trente-trois monuments, douze se trouvent dans des paroisses habitées autrefois par les Templiers, et, après eux, par les chevaliers de Saint-Jean ; sept s'élèvent dans des lieux où la tradition a conservé le souvenir des Moines rouges (Templiers ou Hospitaliers) ; deux (à Pleucadeuc et à Saint-Léry) ne rappellent aucun des deux ordres, mais les Hospitaliers occupaient les paroisses limitrophes ; enfin douze peuvent être attribués, la plupart avec certitude, aux chevaliers de Saint-Jean.
Nous nous croyons donc suffisamment autorisé à résumer ainsi nos observations :
Les Templiers ont quelquefois employé pour le plan de leurs Eglises la forme circulaire ; celle en T ou demi-T a été surtout mise en usage par les chevaliers de Saint-Jean.
Il est bon de remarquer que le plan en demi-T (dont nous avons neuf exemples), a pu être primitivement celui du T altéré par la destruction d'un des transepts.
Nous devons signaler encore, comme inhérente à ce genre de construction, la présence presque constante d'une double arcade très-large entre le maître autel et chacun des bras ; peut-être ceux-ci étaient-ils exclusivement réservés aux religieux.
Enfin il nous reste à nous demander, pour compléter cette étude, par quels motifs les chevaliers de Saint-Jean auraient été conduits à adopter pour le plan de leurs Eglises la forme en tau.
— Le tau, c'est la croix de l'ancien Testament ; c'est encore, comme la forme ronde pour les Templiers, un souvenir de Jérusalem, dont la croix est formée de la réunion de quatre tau aboutés ; c'est presque la croix triomphale de Saint-Jean-Baptiste, patron de l'ordre et de toutes les Eglises qu'il a édifiées. C'était enfin le meilleur plan à adopter (et c'est celui qu'on adopte encore de nos jours) pour permettre à tous les membres d'une communauté de suivre les mouvements du prêtre qui officiait au maître-autel, tout en étant séparés du reste des assistants. Quoi qu'il en soit, nous avons signalé un fait ; nous le livrons à l'examen des hommes compétents.
Mémoire sur les Ordres Religieux Militaires du temple et de l'Hôpital, Leurs établissements et leurs églises observés dans le département du Morbihan.
Par M. Rosenzweig, membre de la société polymathique du Morbihan.
Mémoires lus à la Sorbonne dans les séances extraordinaires du comité Impérial des travaux historiques et des sociétés savantes tenues en novembre 1861. Paris Imprimerie Impériale M. DCCC. LXIII.
http://www.infobretagne.com/ordre-temple-hopital.htm
Originale
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.L'ordre du jour appelle la suite de l'examen de la 13e question : « Quels étaient les établissements de l'ordre du Temple existants dans la circonscription du Finistère ? »
M. de Courcy prend la parole. Nous ne connaissons point, dit-il, dans le Finistère d'autre commanderie que celle de La Feuillée, qui, suivant l'abbé Travaux, était en 1790 d'un revenu de 1500 livres.
La charte de Conan IV de 1160 n'en fait pas mention, si ce n'est qu'on doive la reconnaître dans Louch en Follet, nom qu'on trouve placé en tête des aumôneries du Temple appartenant à ce pays, que le duc par ce titre déclare prendre sous sa protection.
On lit dans la réformation de 1426 la note qui suit: « Jean le Fer métayer demeurant en la ville de Kerberon, qui est le lieu principal et manoir du commandeur de La Feuillée, qui est seigneur de la paroisse, et y soulaient demeurer les prêtres chapelains. »
En 1536, ce même manoir de Kerberon (5) appartenait au commandeur du Palacret et de La Feuillée. La commanderie se divisait en quatre membres.
1. La Feuillée, dans l'évêché de Cornouaille.
2. Le Palacret, paroisse de Lan-Laurent, évêché de Tréguier, dont un Pierre de Keramborgne était commandeur en 1463.
3. Pontmelvezr même évêché, dont Raoul de Vérone était commandeur.
4. Briziac, aujourd'hui Priziac, dont dépendait Saint-Jean dans la ville de Quimper.
5. Kerberon, Tréméoc, 29120
Il serait à désirer qu'on pût déterminer les diverses localités où cette charte de Conan IV place, dans ce pays, des biens appartenant à l'ordre du Temple. Voici un extrait de ce titre sur lequel j'appelle l'attention des membres de la Classe d'Archéologie.
« In Treker, eleemosinæ de Louergat, elcemosinæ de Loguatot, et de Penguennan, et de Pedriac, et de Pumurut, et de Cognuac, et de Pleguen, et de Mael, et de Rodoed, Gallet en loue en Follet, Bannadlanc, eleemosinæ de Fou, et de Brisiac, et de Penbarch, et de Ploeneith, et de Elré, et de Coton, et de Machalon et de Bodoc Capsithun, hospitale inter duas Kimper et hospitale super Beloen, eleemosinæ de Moëlan et de Coetgual etc. »
Il est à présumer qu'Elré désigne Ploaré, que l'on trouve nommé Ploerlé dans les vieilles réformations. Si l'on pouvait retrouver les autres chartes relatées dans celle par laquelle Pierre II, en 1451, confirmait les possessions des chevaliers de l'ordre de Saint-Jean, et qui sont de 1141, 1162, 1217, 1246, on y rencontrerait sans doute des renseignements utiles pour la reconnaissance qui nous occupe.
La tradition attribue aux Templiers d'autres possessions que celles dont nous parlent les titres. Ainsi on prétend qu'ils possédaient, en Cornouaille, Sainte-Anne de Guelen en Ergué-Armel, Loctudy, Le Moustoir en Saint-Evarzec, Pratanroux en Penhars, Coëtnant en Irvillac, Le Moustoir près Bannalec.
On sait que le pays de Léon n'était pas encore du domaine de nos ducs au temps de Conan IV. Aussi ne faut-il pas chercher les noms des établissements de l'ordre du Temple situés dans ce comté alors indépendant. Tout ce que nous dirons des biens que ces religieux pouvaient y posséder, c'est que, suivant la tradition, La Martyre en Ploudiry, la Fontaine Blanche en Saint-Houardon, Lambader et Plouvorn, Lochrist en Plounevez, Saint-Jacques en Sibiril et Saint Jean Balaznan en Plouvien, leur appartenaient.
M. de Blois. C'est une opinion fort bien autorisée que nos ducs ne cherchèrent pas à profiter du malheur des chevaliers du Temple, et que leurs biens en général passèrent à ceux de Saint-Jean-de-Jérusalem. Il est donc à propos de chercher, comme l'a fait M. de Courcy, dans l'état des domaines de l'ordre de Malte en ce pays, des renseignements sur la consistance des établissements qui appartenaient aux Templiers.
Ceux qui sont situés dans la Basse-Bretagne se rattachaient à la commanderie de Pontmelvez dont le chef-lieu était situé près de Guingamp en 1731, suivant un titre descriptif, appartenant aux archives départementales du Finistère, que j'ai eu sous les yeux, lequel forme un gros volume. Ce bénéfice dépendant de la langue d'Aquitaine, dont le chef-lieu était Poitiers, se composait de l'union de six commanderies, savoir : le Palacret, Pontmelvez, Maël en Louch, La Feuillée, Quimper, Saint-Jean du Faouet, et autres membres, est-il écrit dans un acte qui relate les qualités du titulaire.
On y rencontre le détail des articles de trois de ces commanderies, Quimper, le Faouet et le Croisty, qui depuis peu d'années avaient été annexé à la commanderie du Faouet. On y voit encore que le Croisty lui-même avait naguère formé deux de ces titres, et que l'autre membre, Beauvoir en Priziac, avait été jadis un siège de commanderie. Ainsi de modestes bénéfices de Malte avaient été réunis pour assurer une brillante existence à ses gros dignitaires.
Les biens, qui formaient les revenus de Saint-Jean de Quimper et Saint-Jean du Faouet, étaient des rentes, des dîmes, des droits de fiefs ; il y avait aussi quelques terres à ferme : c'étaient ordinairement des champs, situés près de quelque chapelle ou ancien hôpital, presque toujours placés sous le patronage de saint Jean. Je n'en vois que deux qui soient sous un autre vocable : celle de Saint-Sauveur en Scaër et celle du Temple en Inzinzac, diocèse de Vannes. J'y remarque aussi des moulins qui avaient conservé le nom de Moulins du Temple.
Ces commanderies avaient haute justice ; en unissant les titres on unissait aussi leur juridiction. Chacune d'elles isolément ne pouvait être que d'une valeur modique.
Les biens de la commanderie de Quimper étaient épars dans les paroisses d'Edern, Briec, Cuzon, Saint-Thoix, Ploneis, Penhars, Saint-Evarzec, Plozevet, Plouhinec et Beuzec-Cap-Sizun, diocèse de Cornouaille.
Ceux de la commanderie du Faouet étaient également répandus presque tous dans ce diocèse aux paroisses de Gourin, Langonnet, Scaër, Guiscriff, Tourch, Plevin, Querrien, Leuhan et Kernével ; elle ne possédait au diocèse de Vannes que deux articles en la paroisse d'Inzinzac, près Hennebont. Le bourg de Roudouallec, en Guiscriff, et son église en relevaient entièrement.
La moderne annexe du Croisty s'étendait plus dans ce diocèse. Le Croisty, en français maison de la croix, était une trêve de Saint-Tugdual, évêché de Vannes. Comme La Feuillée, cette commanderie avait des tenanciers à titre de quevaise, particulièrement autour de son chef-lieu. Ses autres articles étaient dans Saint-Caradec d'Hennebont, Quistinic, Lesbien et Rédené, elle n'avait en Cornouaille qu'un petit domaine situé en Briec.
Il est à regretter que le même document ne donne pas le détail des articles des autres commanderies dont les noms ont été cités. Toutefois, à l'aide des indications qu'il fournit, on peut restituer quelques-uns des noms rappelés dans la charte de Conan IV de 1162.
Pleguen doit être Plévin ; Rodoed Gallet, dont on a fait deux mots, désigne très-probablement Roudonallec ; Louch est le nom d'une des commanderies ; il en est de même de Follet, qui doit être pour la Feuillée comme M. de Courcy l'a supposé.
Sans voir la nomenclature des biens de Malte, formant ce dernier bénéfice, on doit admettre que ces mots : eleemosinæ de Fou et Brisiac s'appliquent à des articles situés au Faou et à Briec.
Penbarch doit peut-être se lire Penharth, Penhars. Quant à Ploeneith, Elré, Coton, le premier nom se réfère sans doute à Ploneis, le second à Ploaré, comme on l'a remarqué, le troisième à Cuzon qu'on écrivait souvent Coerzon, et suivant l'antique orthographe, Cœthon. Machalon et Bodoc Captithun, laissent parfaitement reconnaître Mahalon et Beuzec-Cap-Sizun. L'hospitale inter duas Kernper, serait-il celui qui devait accompagner la chapelle de Saint-Jean sur la grande route, entre Quimperlé et Ponscorff ? Kemper serait alors pris dans le sens de confluent, comme on voit confluent pris pour Kemper. Ce lieu est entre le confluent de Quimperlé et la pointe formée par celui du Scorff et du Blavet, qui ne se réunissent à la vérité qu'assez loin de ce lieu, dans la rade de Lorient.
L'hospitale super Beloen semble être le lieu de la chapelle Saint-Jean en Riec, qui est limité par la rivière de Bélon. Nous n'avons pas remarqué que l'ordre de Malte ait conservé en Moelan, des chapelles que puissent rappeler ces mots : eleemosinæ de Moelan et de Coetgual.
On a vu que cet ordre avait des possessions en Saint-Evarzec, où la tradition a placé un établissement du Temple, mais la charte de Conan IV n'en dit rien ; il n'y est pas question, non plus que dans les biens de Malte, de la paroisse d'Ergué Armel, où est située Sainte-Anne, ni de Loctudy.
Sainte-Anne de Guelen, de même que la Fontaine Blanche, que le catalogue des bénéfices de Cornouaille place en Saint-Thomas de Landerneau, était une chapellenie. Quant à Loctudy, nous observons que la charte de Conan IV n'indique aucune possession du Temple dans les paroisses de la seigneurie de Pont-L'Abbé, et que de même l'ordre de Malte parait n'y avoir eu aucun établissement. Nous nous souvenons d'avoir lu dans le manuscrit historique de Dom Placide Leduc, moine de Quimperlé, sur cette abbaye, qu'un acte, à la date de 1162, fait mention d'un abbé de Loctudy, nommé Luic. L'écrivain suppose qu'un séculier, devenu possesseur des biens de cette maison religieuse, s'était arrogé ce titre.
Bannalec est dénommé dans la Charte de Conan IV, ce qui peut venir à l'appui de la tradition qui attribuait aux Templiers Le Moustoir situé en cette paroisse ; il en est de même du lieu de ce nom situé en Saint-Evarzec.
M. Bourassin ajoute à cette liste pour la Cornouaille, Kervouillec en Kerfeuntun, près la chapelle de la Mère de Dieu, où se trouve une portion de cloître, attribuée dans le pays aux moines rouges.
M. le Président, revenant sur la position assignée à l'hospitale inter duas Kemper par M. le Directeur, ne partage pas cette opinion. Selon lui, le mot de Kemper ne peut signifier ici un simple confluent, mais les deux principaux confluents de la Bretagne auxquels ce nom soit resté, c'est-à-dire Quimper Odet et Quimper Ellé. Il demande si, d'après les caractères architectoniques des églises, on peut reconnaître un monument du Temple.
M. Ramé répond que, sous le rapport de la décoration, ces édifices ont suivi le système d'ornementation usité dans les contrées où ils ont été élevés sous le rapport du plan, ils paraissent affecter plus fréquemment que les autres monuments religieux la forme circulaire, qui ne leur est cependant point spéciale. Ce n'est pas à dire, toutefois, que ce souvenir du temple de Jérusalem ait toujours dirigé les Templiers dans l'ordonnance des plans ; mais on peut citer des exemples notables où cette tradition est suivie: les trois églises circulaires d'Angleterre, celle de Metz, et l'église moins connue et si intéressante de Llanleff (Côtes-du-Nord), qui pourrait bien avoir la même origine que les précédentes.
M. de la Monneraye reconnaît qu'en Angleterre les temples ronds ont toujours appartenu aux Templiers, mais il ne pense pas pour cela que cette forme ait été particulière aux églises des Templiers, ni qu'ils n'en aient élevé en d'autres formes. Ainsi l'église circulaire de Quimperlé n'a jamais appartenu aux Templiers, tandis que Brélevenez, avec sa nef et son abside régulières, renferme des tombes templières chargées de croix pattées avec une ornementation en dents de scie ; il en a pris les dessins qu'il communiquera à l'assemblée.
M. Ramé fait remarquer que l'église Sainte-Croix de Quimperlé affecte bien plutôt la forme d'une croix à quatre branches égales, qu'un plan parfaitement circulaire comme les édifices cités précédemment. Il félicite M. de la Monneraye de faire connaître enfin des monuments funéraires que l'on puisse rapporter avec certitude aux Templiers. L'inutilité des recherches faites jusqu'à présent en France et en Angleterre, dans le but de découvrir des tombeaux de cet ordre célèbre et malheureux, rend plus précieuse encore l'indication de M. de la Monneraye.
6e Séance.
PRÉSIDENCE DE M. AUDREN DE KERDREL.
M. Pol De Courcy, Secrétaire.
Jeudi 23 septembre, 7 heures et demie du matin.
Sources : Bulletin archéologique de l'Association bretonne, Classe d'archéologie, Volume 1, pages 47-52. Paris Rennes 1849. Google
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