Département: Côtes-dArmor, Arrondissement: Dinan, Canton: Broons, Commune: Yvignac-la-Tour - 22
Chapelle de Lanouée en Yvignac
I — La question des inhumations au XVIIe Siècle
La découverte récente et toute fortuite de sépultures à Lanouée, en Yvignac, attire lattention sur cette commanderie qui eut longtemps un certain renom dans lhistoire de Bretagne.La commune dYvignac fait partie du canton de Broons ; elle présente la forme générale dun quadrilatère avec une pointe allongée vers le sud-ouest. La partie nord de ce quadrilatère entame le grand plateau granulitique de Dinan et constitue une zone de terrain pauvre, primitivement couverte de bois et de landes.
Aujourdhui même, bien que la lande soit trouée de cultures, le paysage est toujours rude et sévère. Le plateau, assez élevé, possède, au village du Haut Lanouée, le point culminant de la commune, à 131 mètres.
De ce fragment granulitique, la vue sétend au loin : au sud-est et au sud, vers le massif de Bécherel et la coupure de la haute Rance ; au sud-ouest vers le Mené et au nord-ouest vers les tertres qui bombent parfois le plateau.
Le mot noë, nouée (1), qui signifie lieu humide, marécage, étang paraîtrait sans doute mieux convenir à une dépression quà une hauteur. Mais remarquons quà Lanouée, leau étant partout retenue par le terrain imperméable, les mares ne manquent pas ; la lande et le bois même sont humides.
1. La Nouée a pris diverses formes : Lanhoe (charte de 1182), La Noneix (1394), La Nouaye (1416), Lanoée (1433), Lannoeix (1510). Dans le pays, on écrit Lanouée, comme dans les registres paroissiaux.
Le grand village de Lanouée, situé à langle nord-est de la commune, comprend aujourdhui trois parties principales : La Touche Lanouée, le Bas Lanouée et le Haut Lanouée. Il sest constitué près de rétablissement que les Templiers fondèrent au Haut Lanouée, probablement au XIIe siècle.
A, cette époque, évidemment, le paysage était encore plus austère que de nos jours et la lande y régnait en maîtresse. On peut se demander comment les Templiers furent amenés à sinstaller dans ce pays daspect sauvage, presque désertique et dapparence si peu abordable. Mais remarquons que des domaines du Temple se trouvaient non loin de là, notamment à Vildé-Guingalan, à Vildé-Goëllo en Quévert et à Dinan même. Dautres possessions existaient en Corseul, en Plorec, en Plénée Jugon et peut-être en Saint-Maudez.
De plus, Lanouée avait trois chemins à sa disposition :
1° Dabord, à deux kilomètres et demi, une voie traversière dorigine romaine, signalée par M. de la Messelière, réunissait par Brusvily et Plumaudan, le Temple romain du Haut-Bécherel, à Lauganou au nord de Caulnes. Cétait donc un raccourci de la voie de Corseul à Rieux et à Nantes par Léhon, Saint-Méen et Paimpont.
2° Le grand chemin de Broons à Dinan par Trémeur, Trédias, le nord du bois dYvignac, Brusvily et Bobital frôlait le village du Haut Lanouée et le mettait à 11 kilomètres et demi de Dinan.
3° Enfin, à louest, une bifurcation du chemin de Dinan, amorcée près de Trédias, gagnait par le prieuré de Saint-Georges et le village de Menubois en Trémeur, ensuite par un chemin suivant la route actuelle de Brest, une station dorigine nettement romaine, celle de Langouhèdre, sur la voie Corseul-Vannes (2).
2. La bifurcation en question rejoignait le Chemin pavé qui, de Langouhèdre, se dirige vers Trégomar et Lamballe.
Lanouée nétait donc nullement isolé, même au Moyen Age. Lessentiel sur lhistoire des Templiers et des Hospitaliers de Lanouée a été dit par Guillotin de Corson, aussi rappelons seulement, jusquau XVIIe siècle, quelques-uns des faits cités par lui. (3).
3. Guillotin De Corson : Les Templiers et les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en Bretagne.
En 1291, Pierre de Launay est reçu chevalier du Temple dans la chapelle de Lanouée par Pierre de Villiers assisté de quatre autres chevaliers. Guillotin de Corson profite de cette occasion pour protester contre les insanités attribuées plus tard aux Templiers dans ces réceptions. Après le procès fameux intenté par Philippe le Bel et la suppression de lOrdre du Temple au Concile de Vienne en 1312, Lanouée passe à lOrdre de Saint- Jean de Jérusalem, plus tard Ordre de Malte (4) et devient peu à peu une commanderie centrale comprenant cinq membres ou domaines : Lanouée, Le Creach ou Créhac en Plédran, La Caillibotière ou Montbran en Plurien et Pléboulle, Romillé (Ille-et-Vilaine), toutes anciennes possessions du Temple, enfin, lHôpital
4. Peut-être, dans lintervalle entre la suppression des Templiers et lentrée en possession de leurs biens par les Hospitaliers, le domaine de Lanouée, comme dautres, a-t-il été diminué par des usurpations de seigneurs voisins de Plumaugat. Au XIVe siècle, à cause de la baisse des revenus, la la commanderie de Lanouée est unie à celle de la Guerche (Ille-et-Vilaine).
Plan des chemins
Plan des chemins
En 1602 et 1603, le commandeur François de Lesmeleuc, originaire dAndel, préfère la résidence de Lanouée à celle de la Guerche.
Au XVIIe siècle, le domaine proprement dit de Lanouée comprend quinze journaux de terre. Daprès le procès-verbal dexpertise dressé pendant la Révolution, à la fin de lan VI, cette étendue était répartie en dix-neuf pièces de terre (5).
5. Archives départementales des Côtes-du-Nord. Biens de première origine, carton 20, contrat n° 169.
Au XVIIIe siècle, la commanderie forme toujours une véritable seigneurie, percevant dans ses fiefs les rentes et les droits féodaux.
Parfois, suivant lusage de lOrdre de Malte, des visites ou chevauchées de chevaliers inspecteurs viennent, comme en 1708, constater les « améliorissements » que linitiative dun commandeur a produits.
Les pièces de terre appelées « Grande et Petite Justices » rappellent les anciennes fourches patibulaires (6).
6. Le procès-verbal dexpertise de lan VI appelle ces terres « Les Jeustisses. »
Aucun commandeur ne réside à Lanouée, mais la seigneurie a sa juridiction et ses officiers, procureur fiscal, notaires, fermier général. Daprès un acte notarié du 20 décembre 1756 (7), le seigneur dYvignac, comte de Bruc et la comtesse son épouse, pour acquitter une dette contractée par la famille dEspinay, vendent une métairie près de Lanouée (8). « Sur le prix total de 3.500 livres tournois, 3.000 relèvent de labbaye royale de Beaulieu et 500 de la Commanderie par le bailliage de Lanouée en dépendant. »
7. Archives de létude Picquet du Méleuc, Yvignac.
8. Métairie du Bos.
A cette époque, le procureur fiscal Lohier et le fermier général Garnier résident à Dinan. Au début de la Révolution, le fermier général est Ducours-Frelaut, de Trébédan.
II
Chapelle de Lanouée
Chapelle de Lanouée
9. Archives des Côtes-du-Nord.
10. Notamment La Grange, située à louest. Le village du Haut-Lanouée est encore plein des souvenirs de la Commanderie. Il a conservé ses anciennes divisions ; on y trouve les groupes de maisons: de la « Haute ville, de la Basse ville, des Billettes et de Chez la Rue. » Le chemin qui traverse le lieu pour le relier à lancien chemin de Brusvily, porte, en effet, le nom de « Rue », cest-à-dire la rue du Temple. Lancien manoir du commandeur sappelle « la Métairie de la Salle » et des murs en ruine entourent son jardin. Le vieux puits de la Salle est, paraît-il, médiocre, mais la belle source des Billettes le supplée comme jadis et sourd en pleine Rue.
Le bâtiment dhabitation de la Salle, avec ses portes romanes, se compose toujours dune grange ou remise effondrée, dune écurie, dune ancienne cuisine, où loge le fermier, enfin de ce que les gens du pays appellent le « presbytère », cest-à-dire lancien logement du Commandeur et plus tard du chapelain, lorsquil y en avait un à demeure. Mais le « presbytère » est ruiné et ses pierres de taille ont été transportées à Trélivan, pour servir à une construction moderne.
Toutes ces bâtisses nayant quun rez-de-chaussee, avec greniers et chambres au-dessus, ne différaient guère des maisons de paysans. Leur êcusson a été martelé, comme celui de la chapelle. Elles paraissent sorties dune carrière située au nord, dans le voisinage.
Chapelle de Lanouée
Chapelle de Lanouée
La nef de la chapelle a disparu au XIXe siècle, employée pour une construction dans le village même et le choeur est converti en cellier. Cependant, malgré létat pitoyable de lédifice, on peut encore se rendre compte approximativement de ses dimensions et de ses caractères. La longueur totale était denviron 18 mètres (7 mètres 30 pour le choeur, 10 mètres 36 pour la nef) et la largeur denviron 8 mètres, mais les murs avaient près dun mètre dépaisseur.
La construction primitive a dû être purement romane, dans un style fruste et sans ornements. Le choeur, au chevet arrondi, possède encore deux fenêtres romanes et une plus petite, sorte de meurtrière. La nef est presque complètement séparée du choeur par un mur percé dune porte également romane, qui était autrefois accostée de deux autels. Cette séparation curieuse de la nef et du choeur existe également dans lancienne église romane de Saint-André-des-Eaux, près de la Rance moyenne ; on la retrouvait aussi dans une chapelle du XIXe siècle, aujourdhui détruite, celle de Saint-René, en Evran (11).
11. Même disposition à la chapelle Sainte-Croix, près de Montbran en Pléboulle (XIVe et XVe siècle). Une arcade ogivale sépare la nef du choeur.
Lépoque romane est encore rappelée à Lanouée par des restes de fresque rougeâtres très rudimentaires sur ce mur qui sépare le choeur de la nef (12) ; de même, des sortes darabesques enfantines ornent larcade de la porte, dans le même mur. Rien ici qui puisse se comparer aux belles fresques romanes de Saint-André-des-Eeaux, que nous a heureusement conservées un dessin de M. de la Messelière.
12. Ils ont à peu près disparu sous un badigeon de chaux....
Mais le XVe siècle a aussi laissé ses traces : dabord, des meneaux dogive dans une fenêtre romane et surtout, à droite du choeur, un arc ogival aveugle dont louverture a pu servir pour un enfeu ou un autel ; enfin une porte également ogivale a été percée au nord.
Quelques restes de la voûte en bois qui recouvrait la nef et le choeur subsistent au chevet. Une statue de saint Jean, provenant du maître-autel, se trouve toujours dans le village ; celle de saint Martin a disparu. La cloche de lédifice sert maintenant à la Chapelle frairienne de Saint-Firmin, située au village de Trélée, en Yvignac.
Chapelle de Lanouée
Longueur totale environ 18 mètres Choeur 7 mètres 50, Nef 10 mètres 36. Largeur 5 mètres 72 à lintérieur, et environ 8 mètres au total. Epaisseur des murs environ 1 mètre.
Plan de la chapelle de Lanouée
Plan de la chapelle de Lanouée
III
Comme nous lavons dit, Lanouée a été intimement mêlé, pendant de longs siècles, à la vie paroissiale dYvignac. Dabord, tous les ans, une assemblée ou fête, dite de la Saint-Jean, avait lieu autour de la chapelle. On y vendait et on y brisait aussi dans les jeux des vases grossiers provenant, dit-on, de La Poterie, près de Lamballe.Dautre part, avec lautorisation du recteur dYvignac, on mariait parfois à la chapelle, on y enterrait aussi, soit dans le petit cimetière à gauche de lédifice, soit même dans ce dernier. Quelques crânes humains, provenant du cimetière, ont été longtemps rangés sur une fenêtre du choeur.
Au mois de juillet dernier (1935), létablissement dune scierie mécanique a entamé, par une tranchée, la nef détruite de la malheureuse chapelle. Dans cette tranchée, on a découvert à 0 mètre 60 seulement de profondeur, huit squelettes placés côte à côte, parallèlement à laxe de lédifice. Ils étaient « bouche fêlée » disent les gens du village, cest-à-dire que les pieds de lun se trouvaient vers la tête de lautre et ainsi de suite. Dailleurs, aucune trace de cercueil ni dobjet quelconque. Il est fort probable que, toujours dans la nef, il y a dautres sépultures disposées de la même manière.
Doù proviennent ces restes humains ? Appartiennent-ils à des Templiers des XIIe et XIIIe siècles, à des Hospitaliers du début, du XIVe, alors que la Commanderie de Lanouée était encore autonome, ou bien, plus simplement à des habitants de Lanouée, peut-être tenanciers du Commandeur ? Impossible de répondre. Les registres paroissiaux dYvignac nous indiquent bien les inhumations pour le XVIIe siècle, mais nous ignorons celles des siècles précédents.
De 1648 à 1698, nous avons relevé 14 noms de personnes « ensépulturées » dans la chapelle et deux dans le cimetière. (Pendant la même période, trois mariages ont été célébrés).
1. 1648, 14 octobre : Jeanne Renault, confessée par dom Guy Lechevestrier.
2. 1650, 9 août : Laurent Métayer, confessé par le sieur recteur de Trébédan.
3. 1651, 10 mars : Françoise de Pouhal, confessée par dom Guy Lechevestrier.
4. 1651, 2 avril : Gilette Tiret ou Tirel ?
5. 1651, 1er may : Jean Bongard ?
6. 1651, 9 juin : Françoise D... ?
7. 1651, 23 juin : Olivier Lacousse ? confessé par dom Guy Lechevestrier.
8. 1651, 3 septembre : Guillemette Legendre.
9. 1666, 13 juin : Olivier Lefort, par permission de moi, recteur (Jean Guillou), confessé par le chapelain de la dite chapelle.
10. 1678, 3 novembre : Georges Thébaut et sa femme ont été.
et ....................par la permission de messire Urbain dEspinay.
11.....................recteur dYvignac, inhumés dans le cimetière de Lanouée. Confessés par messire Bertrand Plessix (13).
12. 1680, 23 février : Perrine Robert, confessée par messire Julien Jeuneu, de Trébédan.
13. 1698, 14 mars : Josselin Johier, inhumé par le sous-recteur.
14. 1698, 20 may : Jacques Bardoul, inhumé par moi, recteur (Nicolas le Guellec).
13. Octobre, novembre et décembre 1678 semblent à Yvignac une période dépidémie (30 morts)
Chapelle de Lanouée
Chapelle de Lanouée
Toutefois, les recteurs dYvignac, notamment Jean Guillou, Urbain dEspinay, puis Nicolas le Guellec trouvaient pénible le voyage de Lanouée et, depuis 1652 (juste après les six inhumations de 1651), ils essayèrent de sen affranchir. Mais, les commandeurs de La Guerche et de Lanouée, Hardouin Le Voyer de Paulmy (1642-1667), Lancelot de Chouppes (1657-1667) et René de Menou (1667-1702) ne lentendaient pas ainsi. Justement le dernier, René de Menou, dans un cas analogue, soutenait un procès contre le chapitre de Notre-Dame de la Guerche et le fit condamner (14). Il actionna les recteurs dYvignac et triompha sur toute la ligne en 1698 (15).
14. Pour une fondation du XVe siècle dont le chapitre voulait éluder les obligations.
15. De 1652 à 1698 voici la liste des recteurs dYvignac :
1° Jean Guillou (1646-1665)
2° Urbain dEspinay (1666-1690)
3° René de Breil-Houssoux (1691-1693)
4° Reslou (1694-1695)
5° Julien Boullier (1696)
6° Nicolas Le Guellec (1697-1717)
(Registres paroissiaux dYvignac)
M. labbé Lemasson nous fournit le texte du jugement : « Les recteurs devraient célébrer ou faire célébrer en laditte chapelle de Lanouée, tous les dimanches de chacun an, une messe matinalle, avec les annonces des festes de la semaine et prières nominalles pour le commandeur de Lanouée et autres chevaliers de Malte, fondateurs de la dite chapelle et pour ceux qui y sont enterrés et au simetierre dycelle et outre dadministrer en cas de besoin les sacrements aux habitants du dit lieu qui souhaitteroient y estre enterrés et de conduire la procession de la ditte paroisse dYvignac à la ditte chapelle la seconde férié de Pasque et autres exercices de dévotion ; ce qui se pratique de tout temps immémorial. » (16).
16. Chanoine Lemasson : Histoire du pays de Dinan, Tome II, page 227.
Voilà nos recteurs condamnés à franchir, en suivant les mauvais chemins de lépoque, les 4 kilomètres et demi de montée lente, mais à peu près continue, qui séparent le bourg dYvignac du Haut Lanouée (17).
17. Le chemin du bourg dYvignac au Haut Lanouée suivait à peu près la route actuelle dYvignac à Trébédan jusquau Bas Lanouée ; de là on montait à la chapelle en empruntant le chemin de Brusvily. Un raccourci, par le village de la Favrie et la rive Est de létang de Villeneuve, permettait darriver plus vile au Bas Lanouée.
Les inhumations vont donc, semble-t-il, continuer. Mais surprise ! A partir de 1698 jusquen 1789, on nen relève aucune dans les registres paroissiaux. Les recteurs ont-ils opposé au jugement une force dinertie victorieuse, ou bien, une transaction que nous ignorons, est-elle intervenue ? Quoiquil en soit, ils ont obtenu en partie gain de cause.
Les cérémonies du dimanche ont sans doute continué à Lanouée au XVIIIe siècle et la chapelle est restée une station paroissiale pour les missions, comme celle de 1752 ; quelques mariages ont été célébrés en 1759, 1764, 1769, 1780, mais lère des inhumations a été close. En somme, bien quil y ait de fortes présomptions pour que les sépultures récemment découvertes concernent des habitants de Lanouée, soit du XVIIe siècle, soit des siècles antérieurs, le problème reste obscur. On peut affirmer toutefois, daprès ce qui précède, quaucune tombe ne peut être postérieure à lannée 1698.
Sources: Th. Plessix. Société démulation des Côtes-dArmor, bulletins et mémoires, pages 229 à 239, tome LXVII (1935). Saint-Brieuc 1936. Bnf
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