La commanderie d'Argentens en Agenais
« Argentins, écrit l'abbé Expilly, dans le Bordelais, en Guyenne, diocèse, parlement et intendance de Bordeaux, est une commanderie de l'ordre de Malte, de la langue de Provence et du grand prieuré de Saint-Gilles, qui vaut 15,000 livres de rente à celui qui en est pourvu. »(Grand dictionnaire des Gaules)
C'est concis, mais erroné ; les modernes faiseurs de dictionnaires ne se trompent pas, eux ; rien, absolument rien.
Argentens mérite mieux, historiquement et topographiquement parlant ; mais la topographie n'étant plus qu'une affaire de cadastre et de fisc, nous n'avons rien à y voir ; et quant à la poésie locale du genre descriptif, nous l'aborderons d'autant moins que nous n'avons vu Argentens que de loin et à un âge où la musa pedestris se trouvait fort désintéressée par les agréments de la voie ferrée.
Nous n'avons pas à refaire l'histoire des ordres religieux et militaires du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem. Cette histoire est rapportée en maints endroits et, si imparfaite qu'elle soit, nous ne nous sentons ni assez d'étude, ni assez de vie, hélas ! Pour essayer même de mener à bonne fin son complément.
Cependant, depuis plus de quinze ans, nous avons avec un labeur ardu, des recherches sans nombre et des déplacements nécessités, nous avons, disons-nous, colligé pieusement, en quelque sorte, tous les noms des membres de ces deux confréries illustres qu'il nous a été possible de relever tant dans les manuscrits du passé que dans les annalistes modernes.
De cet immense travail, destiné à demeurer en feuilles volantes, demain jaunies et illisibles, nous n'avons pas à autrement parler ici.
Un répertoire de cent mille noms comprenant toute la chrétienté n'est pas chose facile à établir alphabétiquement, avec tous les accessoires qu'il comporte en fait d'indication de preuves, de sources, etc. ; et, dussions-nous y travailler d'arrache-pied, comme on dit, dix ans encore, nous ne serions peut-être pas au bout. Or, par le vent qui souffle, qui donc peut, en dehors de l'âge et des maladies, se flatter d'avoir dix ans de vie ?... Il suffit.
Pour ce qui est de cet article, il sera simple, en raison du peu de documents qui nous restent ; mais, dans son ensemble, il sera peut-être une conservation de ce qui ne sera plus demain. Le temps marche !
Les premières commanderies dites du Temple ou de l'hôpital de Jérusalem furent des hôpitaux ou plutôt des hôtelleries servant à recueillir les fidèles qui se dévouaient au pèlerinage de la Terre-Sainte. Dans la suite, de grands biens advinrent par donations à ces deux ordres. Le conseil de chacun d'eux décida d'envoyer en Occident pour les régir de vieux chevaliers qui prirent le titre de précepteurs ou de commandeurs. Ceux-ci ne furent donc d'abord considérés que comme des économes et de simples administrateurs d'une portion du revenu de leur ordre, et dont ils étaient responsables à la chambre du Trésor. Ces fonds, qu'une sage régie augmentait tous les jours, servirent alors à l'entretien des maisons de Jérusalem et ensuite aux armements et à la solde des troupes séculières que l'ordre de Malte dut prendre à son service.
Chaque commandeur était obligé d'entretenir dans sa maison plusieurs chevaliers, vieux, malades ou infirmes, et d'instruire dans l'esprit de l'ordre un certain nombre de novices, stagiaires ou aspirants, vêtus de l'habit des Donnés, — « ce qui prouve, dit Vertot, que les commanderies de la Religion étaient comme autant de séminaires et en même temps d'Académies, où les chevaliers étaient régulièrement élevés dans la piété et dans l'exercice des armes ; deux qualités, ajoute Vertot, qui, quoique séparées parmi les séculiers, peuvent, à la vérité, former de grands hommes dans chaque espèce particulière, mais qui doivent être inséparables dans une chevalerie de l'ordre de Saint-Jean. »
Dès le principe, les précepteurs ou commandeurs d'Argentens paraissent avoir pris, indifféremment le titre nominal du membre — local — sur lequel ils résidaient, soit qu'il représentât la commanderie dans son ensemble, soit qu'il n'en fût qu'un démembrement bénéficiaire, Nous ne saurions préciser cette distinction, qui importe peu, d'ailleurs, au point de vue historique. Toutefois, nous croyons devoir, dans la liste qui va suivre, rappeler la qualification affectée à chaque commandeur, telle qu'elle se trouve mentionnée, dans les chartes ou dans les anciens registres de l'ordre.
Les divers membres composant la commanderie d'Argentens étaient :
— Avance, près Casteljaloux.
— Asque.
— Barbefère.
— Bouglon.
— Cazalis.
— Cours.
— Cardère.
— Puyfortaguille.
— Roumestang, et
— Saint-Arroman.
Argentens fut d'abord un bénéfice appartenant à l'ordre du Temple. Par suite de la suppression de cette religieuse milice, en 1313, l'ordre des Hospitaliers de Jérusalem, plus tard dit de Rhodes, puis de Malte, fut appelé à cette succession territoriale.
Le nom des premiers chevaliers du Temple investis de la préceptorie d'Argentens est inconnu. Du reste, à cette époque de simplicité superbe, où nul ne pouvait se douter qu'à sept siècles de là, on en arriverait, — en plein nivellement social, — à se parer, comme d'une distinction honorifique, d'une pauvre particule, la plupart du temps née de la fantaisie ou du hasard ;
à cette époque, disons-nous, où la valeur et le mérite étaient tout, — la pureté du sang restant incontestée, — les dignitaires des plus hautes fonctions, non héréditairement transmissibles, se contentaient de leur seul nom de baptême.
Voici donc la chronologie des précepteurs ou commandeurs d'Argentens, telle que nous l'avons relevée dans les registres de l'ordre de Malte :
1242, Arnaud-Ramon de la Mothe.
1262, Guillaume d'Aspect.
1267, Piene Barrau, qualifié précepteur de Roumestang.
1278, Pierre de Sombrun.
1287, Vital de Caupène.
1290, Sénebrun del Pin.
1291, Pierre-Arnaud de la Croix, précepteur de Cours.
1295, Guillern de Rovergne.
1298, Jean de la Roche ou de la Roque (de Rupe).
1299, Barrau de Grasillon.
1300, Bernard de Graigne.
1305, Jean de Caumont, précepteur de Cours.
1311, Arnaud de Noaillan, précepteur de Saint-Arroman.
1317, Jacques de Manas, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem.
1323, Pierre de l'Ongle (de Ungula).
1327, Inard de la Garde.
1333, Guillaume-Roger de Mirepoix, commandeur de Roumestang.
1334, Bernard de Salgues, commandeur de Cours.
1350, Gaillard de Moutégut, commandeur de Barbefère.
1351, Marquès de Gozon, commandeur de Saint-Arroman, puis grand prieur de Toulouse.
1361, Bernard de Bournac.
1383, Menaud Colom, commandeur de Cours et de Roumestang.
1405, Ossolon de Lescure, commandeur de Saint-Arroman.
1410, Raimond de la Vernède.
1412, Menaud de Gozon, commandeur de Cazalis et de Cours.
1419, Bertrand de Lat (de Lato), commandeur de Saint-Arroman.
1437, Jean Mersay.
1454, Forton de Lat, commandeur de Cours.
1462, Bernard Berenguier, commandeur de Cazalis.
1467, Forton de Lat, commandeur d'Argentens.
1481, Jean Daurios, commandeur d'Avance.
1485, Raymond de Valette.
1489, Pey de Campagne.
1497, Pierre Robert, commandeur d'Asque et de Barbefère.
1498, François de Goulard.
1499, Pierre Ribon, commandeur de Barbefère.
1501, Jean de Bournazel, commandeur d'Avance.
1504, Raymond de Botet, commandeur de Puyfortaguille.
1507, Bertrand de Camp.
1512, Bernard de Goulard.
1517, François de Manas, commandeur de Cours.
1524, Guillaume de la Caze, commandeur de Gardère.
1525, Jacques de Manas.
1532, Guiot de Panat.
1544, Odet de Massas, commandeur de Cazalis.
1550, François de Gozon.
1564, François de Goulard.
1590, Bertrand d'Esparbès-Lussan.
1594, Octavien de Castellane-Salernes.
1603, Guillaume de Vassadel-Vaqueiras, commandeur d'Avance.
1627, Joseph d'Amalric d'Esclangon, commandeur d'Avance et de Roumestang.
1631, Jacques de Pichon-Pradelle, commandeur d'Avance.
1632, Christophe de Seytres-Caumont, plus tard bailli de Manosque (1636).
1649, Alexandre de Benque.
1662, François de Tressemanes-Chasteuil-Brunet.
1689, Paul-Antoine de Villages-la-Chassagne.
1729, Adrien de Langon.
1771, A cette date, la commanderie d'Argentens était sans titulaire.
1789, Louis-Augustin de Léaumont, grand prieur de Toulouse.
En lisant cette série, on ne saurait se défendre d'un sentiment triste. En effet, combien de ces noms ont disparu ! L'extinction des familles féodales est un fait qu'on ne saurait nier. Est-ce un arrêt d'en haut ? Peut-être. Ces familles ont vécu à leur heure, en splendeur magnifique, comparativement aux temps actuels ; et leurs descendants, déshérités, dépossédés pour la plupart, déchus de tous ces avantages qu'on a si improprement appelés des privilèges, feraient assurément triste figure au milieu de la société présente, qui ne s'incline plus que devant le sac, comme disent les intrigants réussis, et même (ô honte !) quel que soit le déshonneur qui ait gonflé ce sac ! Que si, toutefois, il reste encore, çà et là, quelques rejetons de ces vieilles races, soit ; mais leur tâche n'en est que plus ardue ; il leur faut, contre vent et marée, soutenir haut leur nom, auquel est rivé, pour ainsi dire, l'antique adage : Noblesse oblige ! Il leur faut être supérieurs en tout, au milieu de tous... Combien mourront à la peine, si peu que le coeur batte dans leur poitrine !...
D'autre part, cette nomenclature est sèche en soi : nous pourrions facilement apporter à l'appoint de ces noms bien de glorieux souvenirs, bien des actions héroïques et bien d'honorables alliances, en raison de ce dicton, rarement démenti : Fortes creantur fortibus. Ce serait peut-être sortir trop de notre sujet. Mais, nous ne croyons pas, néanmoins, devoir passer sous silence l'un de ces noms, celui de Gozon, qui figure trois fois sur la liste des administrateurs de la commanderie d'Argentens. Ce nom appartient à l'histoire et à la légende tout à la fois ; et les détails qui vont suivre sont presque tous puisés dans nos papiers domestiques.
Les Gozon sont originaires du Rouergue. Déodat de Gozon, seigneur de Melac, vivait à la fin du XIIIe siècle ; il avait épousé noble demoiselle Eléonore de Thezan, qui le rendit père de Bérenger de Gozon, qui a continué la postérité, et de Déodat de Gozon, dont nous n'allons dire que quelques mots. La vie accidentée de ce vaillant chevalier mériterait une biographie morale, si l'on nous passe cette épithète ; Déodat de Gozon fut une des grandes figures de son ordre, si fécond en hommes vraiment grands en toutes choses.
A peine reçu dans la milice des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Déodat de Gozon se vit disgracier, pour n'avoir pas désespéré, à l'aide d'un stratagème ingénieux, de délivrer Rhodes de l'énorme crocodile qui frappait de terreur tous les habitants de cette île. Il le tua cependant ; mais bien des précédentes tentatives avaient coûté la vie à plusieurs chevaliers, et des plus braves, et le grand maître avait fait défense, sous peine de formelle désobéissance, à tout chevalier de tenter de nouvelle entreprise. Gozon fut privé de l'habit de l'ordre. Cependant l'opinion publique plaidait en sa faveur ; elle imposa, en quelque sorte, sa réintégration. Le grand maître eut, d'ailleurs, l'habileté de le comprendre, et bientôt, en retour de la fortune, Gozon fut pourvu de plusieurs commanderies et se vit appelé à la lieutenance générale du gouvernement de l'île.
Gozon était méridional ; le Rouergue confine à la Gascogne ; c'est assez dire que « le vainqueur du dragon, » comme on rappela dès lors, joignant à un grand courage le sentiment de son mérite, n'eut garde de s'oublier à l'heure propice. Etant l'un des commissaires, lors de l'élection d'un nouveau grand maître en 1346, il se donna sa voix, — « généreuse audace, dit Vertot, qui ne déplut pas au grand nombre. »
Hélas ! Gozon en eut bientôt assez. Contre les abus qu'il voulait déraciner il se brisa. A son époque — barbare, — on ne savait pas encore plier comme en notre temps de civilisation et de progrès. — « Ce brave chevalier, abreuvé de dégoûts, envoya sa démission au pape ; dans l'intervalle, il fut surpris, par une mort subite, s'il est permis de se servir de ce terme pour un si homme de bien. »
Déodat de Gozon expira au mois de décembre 1353.
Deux de ses neveux étaient alors dans l'ordre : Pierre de Gozon-Melac, grand-prieur de Saint-Gilles, et Marquès de Gozon, commandeur d'Argentens, puis grand-prieur de Toulouse.
Nous trouvons après eux : Audibert de Gozon, lieutenant du grand-prieuré de Toulouse, qui assista à l'assemblée tenue par l'ordre du pape, à Avignon, en 1396. Une de ses sœurs fut-mariée à Pons de Thezan, chevalier, qui, suivant une quittance originale que nous possédons, reconnut avoir touché la gratification que lui avaient votée les Etats du Languedoc pour être accouru faire lever le siège d'Albi par le capitaine Rodrigo de Villandrau, qui menaçait de porter la désolation dans tout le pays albigeois (1436).
Jean de Gozon fut admis dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem dans la première moitié du XVe siècle ; Pierre de Gozon-Saint-Victor et Pierre de Gozon-Melac furent reçus chevaliers de Rhodes en 1516 ; ce dernier se signala au siège de cette île en 1522. François de Gozon, admis dans l'ordre en 1521, était commandeur d'Argentens en 1554 ; cette même année il fut choisi par le conseil de l'ordre avec le commandeur Antoine de Thezan-Venasque, pour être les chevaliers d'honneur et lieutenants du grand-maître, nouvellement élu. Après avoir longtemps commandé la galère la Magdeleine, il devint bailli de Manosque (1569) ; il avait pour frère Pierre de Gozon-Melac, commandeur de Golfech en 1553, grand-prieur de Saint-Gilles en 1561, enfin général des galères de la Religion. Un autre Pierre de Gozon-Melac, commandeur de la Cavalerie et de Montsaunès, fut élu grand-commandeur en 1557. Cette dignité n'était primée que par celle de grand-maître.
Jean de Gozon-d'Orlonhac, reçu en 1559, fut un des chevaliers de Malte qui payèrent de leur vie la victoire remportée au fort Saint-Elme en 1565. Raymond de Gozon-Melac fut élevé à la dignité de grand-prieur de Toulouse en 1597. Citons encore Bernard, autre Bernard, Jean, autre Jean, Dieu donné et Jean de Gozon, reçus chevaliers de Malte en 1562, 1565, 1591, 1604, 1654 et 1688. Le premier de ceux-ci, Bernard de Gozon, était commandeur de Canabières en 1596.
Comme on le voit, au point de vue de l'histoire des Chevaliers de Malte et de la commanderie d'Argentens en particulier, cette digression, bien qu'un peu longue, a sa place ici ; elle justifie en outre le dicton rappelé plus haut : Fortes creanlur fortibus !
L'importance de la commanderie d'Argentens nous est attestée par le grand nombre de gentilshommes qui, dans le cours du XIIe siècle, sollicitèrent leur admission dans cette sainte maison, avec la permission de prendre l'habit religieux et la grâce d'être enseveli dans le cimetière de l'ordre.
Parmi les donnés d'Argentens nous trouvons :
Arnaud d'Andiran.
Arnaud d'Anglade.
Forton d'Arconques.
Arnaud d'Argentens.
Jean d'Artigue-d'Arné.
Raymond Benach.
Guillaume-Arnaud de Benquet.
Pierre Bernard.
Guillem del Bosc.
Gaston de Calabé.
Raymond-Guillem de Gasapugrone.
Arnaud de Coustau.
Garcie d'Espiens et son fils.
Pierre de Gajac.
Bruet de Lami.
Raymond Lartigue.
Bernard de Lusignan, qui apporta aux Templiers le lieu de Balarc.
Arnaud-Guillem de Miran.
Rostang de Padiern.
Hugues de Pardaillan.
Guillaume-Raymond de Pausit.
Arnaud-Sans del Pin.
Guillem-Arnaud del Poy.
Guillem de Sainte-Gemme.
Arnaud-Aner de Tournet.
Constantin de la Veyre.
Pour être reçu confrère ou donné des ordres du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem, certaines formalités étaient à remplir ; par exemple, le postulant devait justifier qu'il n'était point issu de parents juifs, qu'il appartenait à une honnête famille, qu'il n'avait été prévenu d'aucun crime et qu'il n'avait jamais fait « de métier sordide ou mécanique. » Il s'engageait ensuite par serment à défendre la Religion « de toutes ses forces, » et à faire, chaque année, à la fête de saint Jean-Baptiste, un don à la commanderie à titre de reconnaissance de la confraternité. En raison de quoi, le récipiendaire déclarait au donné « recevoir son âme et celles, de ses ancêtres à la participation de tous les offices divins, bonnes œuvres, oraisons et messes qui se diraient à l'avenir dans la commanderie, et qu'après sa mort son corps serait enterré dans le cimetière de la maison. »
En corollaire de ce que nous avons dit plus haut, la plupart des noms de ces donnés, issus de races nobles, se rencontrent encore, non plus comme noms de familles, mais simplement comme noms de localités ; il est à ajouter que celles-ci sont presque toutes destituées de leur ancienne splendeur, c'est-à-dire de leur titre de paroisses, soit que leurs édifices aient été, dans le cours du XVIe siècle, renversés par cette furie de rénovation que les protestants, encore si incertains de leur durée, mettaient à détruire églises et manoirs ; soit que, par leur peu d'importance et en raison des instincts du temps, elles aient été supprimées en 1791. Pour retrouver ces noms, il faut consulter la carte de Cassini, dressée, pour ainsi dire, en un temps intermédiaire, notant ce qui n'avait pas été tout à fait détruit et que devait mettre en oubli absolu l'ère révolutionnaire.
Quant aux bienfaiteurs d'Argentens, nous n'en rappellerons que quelques-uns appartenant à la maison de Lusignan, d'Agenais, fondue plus tard dans la famille des du Lau, connue en Gascogne depuis Amanieu du Lau, croisé en 1248.
Ainsi, nous voyons, sous l'année 1242, un contrat de cession de la moitié des moulins de Betpaumes et de Sourbat, en la juridiction de Nérac, avec toutes leurs appartenances, faite, moyennant la somme de cinquante-cinq francs morlas, au commandeur du temple d'Argentens par Honors de Lusignan, file de Vital de de Lusignan et femme de Pierre de Lamarque.
Cette possession était encore dans l'ordre de Malte au dernier siècle, comme il conte d'une transaction du 5 avril 1785, passée entre le grand-prieur de Léaumont, en qualité de commandeur d'Argentens, et le marquis de Lusignan, relativement au mouhn de Betpaumes. Par l'arrangement intervenu, M. de Lusignan se désista de ses prétentions, moyennant la somme de trois mille livres.
En 1270, nous lisons une donation faite au temple par Bernard de Lusignan de cent sols sur ce qu'il avait en la paroisse d'Asque.
En 1282, autre donation faite par Raymond de Lusignan, écuyer, et Arnaude de Monlong, sa femme, d'un bois avec terres y attenant, sis en la paroisse d'Auzac.
En 1290, une autre donation faite par Savary de Lusignan.
Nous croyons inutile d'allonger cette nomenclature. En résumé, comme on l'a vu, le bailli de Léaumont fut le dernier commandeur d'Argentens. On était en 1789.
Ici, nous pourrions, à titre d'historien, avouer un médiocre enthousiasme pour cette France moderne, si inconsciente de ses intérêts ; si ingrate envers ses plus nobles enfants ; si oublieuse, en son orgueil du jour, des grandes œuvres séculaires du passé ! Pour cette France moderne, nous le répétons, à laquelle un de ses fils, les plus accrédités d'elle, a eu la franchise de dire cette vérité : « C'est la Noblesse qui a fait la carte de France ! » Encore quelques années de vie, et Armand Garrel eût pu ajouter avec non moins de vérité : « Et cette carte n'eût jamais été amoindrie, si la révolution avait respecté la Noblesse ! » Ne sont-ce pas ses derniers représentants qui se sont fait tuer pour la France dans nos récents malheurs ? Nous défions qui que ce soit de s'inscrire en faux contre ce fait.
C'est ainsi que les plus florissants empires s'élèvent et croulent sous l'inscrutable volonté de Dieu ! Toute nation a son heure de suprématie. La France a eu la sienne. Inclinons-nous, tout en déplorant l'aveuglement de ceux, qui ne la voient pas, cette noble France, misérablement décroître à chacun de ses bouleversements périodiques.
Ainsi, la chevalerie religieuse et militaire de Saint-Jean de Jérusalem avait fait son temps ; et, disons-le, au XVIIIe siècle, elle n'avait plus guère sa raison d'exister, si ce n'est par le respect de sa glorieuse origine et de sa longue série de services rendus à la chrétienté. Bientôt allaient apparaître les sauvages de l'Occident laissant loin derrière eux les barbares de l'Orient. Le Coran, lui-même, se trouvait biffé par l'athéisme, et Mahomet n'eût rien compris à l'invention d'un ... Etre suprême !...
Toutefois, la vieille chevalerie restait ferme dans son île, qui eût dû être inviolable.
On était en 1797. Et ici, nous le redisons, nous pourrions être sévère, comme annaliste, devant un inqualifiable procédé. Mais nous préférons donner la parole au savant historiographe des Commanderies du Grand-Prieuré de France, M. E. Mannier :
La Révolution, dit-il dans un style sobre qui n'ôte rien d'ailleurs à la sévérité de son jugement, l'a Révolution, qui avait confisqué en France tous les biens du clergé, s'empara également de ceux des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. L'île de Malte tomba elle-même au pouvoir du gouvernement républicain. Le général Bonaparte, en se rendant en Egypte, passa devant Malte et, sous prétexte d'y faire de l'eau, voulut faire entrer dans le port tous ses vaisseaux. Sur le refus du grand maître d'en laisser pénétrer plus de deux, ainsi que les règlements le portaient, le général français s'emporta, fit aussitôt débarquer ses troupes et attaqua la ville (1). Les chevaliers, pris à l'improviste, se défendirent mollement. Leur répugnait-il de se battre contre des soldats qui étaient en grande partie leurs compatriotes, ou sentaient-ils l'inutilité de leur résistance devant une attaque si imprévue et qui devenait par cela même irrésistible ?
1. Qu'on nous permette de rappeler ici que ce fut un de nos oncles maternels, le commandant Emériau, qui eut le triste honneur d'entrer le premier dans le port de Malte sur le vaisseau le Spartiate.
Lieutenant de vaisseau de la marine royale sous Louis XVI, décoré de l'ordre de Cincinnatus, en 1787, pour sa brillante conduite en Amérique sous MM. de Lafayette et d'Estaing, le vice-amiral comte Maurice Emériau de Beauverger (mort pair de France et issu d'une noble famille écossaise venue en France avec les Stuart) était capitaine de vaisseau en 1794. Il n'avait que trente ans. Il fut nommé chef de file de l'armée, lors de l'expédition d'Egypte. Que de fois l'auteur de cet article a entendu le brave amiral déplorer amèrement ce fait impolitique de la France républicaine. — « J'entrai dans le port, le coeur serré, racontait-il, et j'eus quelque peine à maîtriser mon émotion à l'aspect de ces chevaliers, presque tous Français, fiers, dignes, résignés, qui, n'était notre traîtreuse surprise, eussent pu se défendre longtemps. Je savais, ajoutait-il, que trente-cinq membres de la famille de ma mère (les Pourcelets), avaient porté l'habit de cette illustre chevalerie, que, par un pli cacheté du gouvernement de Paris, le général Bonaparte avait mission de supprimer et de décimer... »
Ils auraient pu prendre à l'avance leurs précautions et se mettre à l'abri d'une surprise. Ils ne pouvaient ignorer combien le gouvernement républicain leur en voulait pour le bon accueil que recevaient chez eux les émigrés français. Il n'en fallait pas davantage pour faire décider le sort de Malte. On avait besoin d'un prétexte pour s'emparer de l'île ; on le trouva dans les prétentions injustes soulevées par le général Bonaparte. Toutefois, les chevaliers de Malte, en capitulant et remettant l'île aux Français, dictèrent leurs conditions. Ils demandèrent pour renoncer à tous leurs droits sur ce dont on les dépouillait si perfidement, une indemnité de six cent mille francs, plus une pension annuelle de trois cent mille francs pour leur grand Maître et une autre de sept cents francs pour chaque chevalier. Cette proposition fut acceptée et un traité fut signé par le général Bonaparte au nom de la République française et les principaux dignitaires de l'ordre, le 12 juin 1798.
Mais ce traité ne reçut jamais son exécution ; c'est ce qui fit toujours considérer la prise de Malte comme un acte aussi déloyal qu'impolitique. En effet, à quoi servait-il d'arracher cette île des mains de ses légitimes possesseurs pour la laisser passer ensuite en celle des Anglais !
L'ordre de Malte n'existe plus comme corps constitué ; il est devenu une simple distinction honorifique, dont le ruban, très-recherché, n'est accordé qu'avec beaucoup de réserve par l'Espagne, l'Allemagne et Rome — avant l'absorption des Etats de l'Eglise. Ajoutons que cette décoration n'est pas autorisée par la chancellerie française. A quoi bon ? — Dans la Méditerranée, autrefois gardée au plus grand profit de la France par la vaillante marine des chevaliers de Malte, se promène en souveraine la flotte d'Angleterre... ; de la vieille commanderie d'Argentens il ne reste plus rien ; nos géographes ont rayé son nom d'entre les hameaux de l'ancienne France ! C'est ainsi que le temps inscrit chaque jour sur quelque chose : Finis !
Sources : Denis de Thézan-Gaussan. Revue de Gascogne : bulletin mensuel du Comité d'histoire et d'archéologie de la province ecclésiastique d'Auch, pages 120 à 133, Tome XX. Auch 1879 - BNF