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Origines de l’ordre de l’Hôpital
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Origines de l'Ordre

Chapitre-XVIII — Le palais des grands maîtres

Le palais des grands maîtres. — La cathédrale de Saint-Jean. — Intérieur de l'île.

Le palais des Grands Maîtres
Le palais des Grands-Maîtres - Sources image :
http://www.greekislands.com/rhodes/home.htm

Cette noble voie, dans laquelle se trouvaient réunies les habitations des dignitaires de l'ordre de l'Hôpital, ainsi que le couvent des Chevaliers, devait être un quartier à part et réservé de la ville. Elle était, en outre, comme l'avenue du palais des grands maîtres ou de la cathédrale. L'accès devait sans doute pouvoir en être interdit par la clôture de ses extrémités; c'est ce qui semble démontré par une grande porte en ogive qui la termine à sa partie supérieure. Elle est surmontée d'un cadre au milieu duquel se reconnaît le blason de Jean de Lastic. Elle donnait entrée dans ce qu'on appelait la loge de Saint-Jean, ou salle du Conseil, où se réunissaient les membres composant le chapitre de l'ordre, et où se discutaient toutes les graves questions qui intéressaient la religion. Placée entre la cathédrale et le palais des grands maîtres, elle n'en était séparée que par un espace de quelques pas.

Tout cet ensemble d'édifices qui dominaient la ville date des premiers grands maîtres, Villaret, Villeneuve ou Lastic. Les efforts des Turcs contre la cathédrale et le palais, qu'ils criblèrent de boulets, ont atteint la loge de Saint-Jean, située entre deux. Ses voûtes se sont effondrées, leurs arceaux ont faibli; et M. de Chateaubriand, passant à Rhodes en 1806, dit n'en avoir trouvé debout que trois. La ruine continua; car un autre voyageur n'y vit, en 1819, que quelques pans de murs. En 1844 il ne restait plus rien que deux ou trois bases de pieds-droits enfouies dans les décombres.

Rue des Chevaliers
Rue des Chevaliers - Sources :
http://www.greekislands.com/rhodes/home.htm

Les deux monuments voisins s'étaient heureusement maintenus en partie. A droite, ce sont les restes du palais des grands maîtres. A la vue de ces murs, dont les uns sont presque rasés, et dont les autres sont lézardés, percés d'outre en outre, comment ne pas être saisi de respect ? Le palais des Villeneuve, des d'Aubusson ou des l'Ile-Adam, se dresse majestueux malgré ses nombreuses brèches, et fier au milieu des ruines qui l'entourent, offrant à l'admiration comme au souvenir du voyageur son enceinte entamée, ses embrasures noircies, ses créneaux édentés; et il se soutient en équilibre sur ses longues crevasses, comme pour attester aux siècles futurs ce que ses nobles blessures montrent depuis plus de trois cents ans déjà, l'héroïque défense des chevaliers de Rhodes.

En face de Saint-Jean ce palais présente deux tours fortement endommagées qui flanquent la porte d'entrée, au delà d'un pont jeté sur un ravin qui servait de fossé à cette demeure, forteresse aussi bien que palais. Au-dessus de la porte ogivale sont deux écussons : celui de droite porte en sautoir les clefs du Saint-Siège. Peut-être faut-il voir, dans cet écusson ainsi placé, le témoignage de la reconnaissance qu'Hélion de Villeneuve avait pour le pape à qui il dut son élévation. Dans le second écusson, les armes de Villeneuve prouvent que ce grand maître fut tout au moins le fondateur de cet édifice, en supposant qu'il n'ait pas eu le temps de l'achever. Il passe pour avoir été élevé sur l'emplacement d'un temple antique. Il dominait à la fois la ville, qu'il pouvait au besoin tenir sous son obéissance, et la campagne, où l'ennemi ne pouvait approcher sans être en vue. Il fut construit sur des caveaux voûtés qui servaient de magasins pour les provisions de bouche ou les munitions de guerre.

Blasons des Chevaliers de Rhodes
Blasons des Chevaliers de Rhodes. Sources:
http://dominicus.malleotus.free.fr/rhodes/rue_chevaliers.htm

A l'intérieur, un escalier de pierre, que ses degrés endommagés permettent encore de monter, conduisait aux appartements du grand maître, qu'il est assez difficile de reconnaître au milieu des pans de murs renversés ou déchiquetés par les boulets. On y voit cependant les restes d'une grande salle, au milieu de laquelle deux colonnes soutenaient la voûte écrasée et gisante à leur pied. Sur un des murs qui est resté debout, on distingue des traces de peinture qui paraissent avoir représenté des combats.

Ce n'était pas assez du canon pour dénaturer ce palais, où s'abritaient la gloire et l'honneur dans la personne des grands maîtres; il est destiné à disparaître sous une humiliante transformation. Ces débris illustrés par la guerre, cette noble poussière, se cachent aujourd'hui sous de vulgaires légumes que le Turc, gardien de ces lieux dont il ignore la grandeur passée, cultive dans la grande salle où se réunissait autour du grand maître la fleur de la chevalerie de ces siècles de foi et d'ardeur belliqueuse. Dans un autre coin du palais moins délabré, le pacha a installé les malades de sa petite garnison, et une infirmerie turque a remplacé le lit de d'Aubusson !

Blasons des Chevaliers de Rhodes
Blasons des Chevaliers de Rhodes. Sources :
http://dominicus.malleotus.free.fr/rhodes/rue_chevaliers.htm

Une chapelle particulière, où la messe se disait chaque jour pour le grand maître, était attenante au palais. Les chroniqueurs racontent « qu'on y conservait la couronne d'épines de Notre-Seigneur, et qu'elle fleurissait le vendredi saint à midi. En 1433, sa floraison fut avancée de trois heures, en présence du grand maître et de tous les seigneurs ou chevaliers assistants, de quoi le grand maître fit dresser un acte authentique conservé sur les registres de la chancellerie. » La chapelle est devenue une écurie.

La demeure des grands maîtres a un aspect plus imposant du côté du rempart, où elle se développe avec la double physionomie de palais et de citadelle que lui donnent ses fenêtres, ses restes de balcons, ses créneaux avec meurtrières et mâchicoulis. Sa base était protégée sur tout ce front par une forte muraille crénelée, qui a dû être construite par le grand maître Zacosta, si l'on en juge par ses armes, surmontées d'une figure de saint Jean, qui y sont incrustées. L'une de ses ailes était défendue par deux tours auxquelles aboutit un chemin couvert conduisant aux bastions les plus rapprochés : c'étaient ceux de Provence et d'Auvergne. Malgré ces défenses, sa proximité du rempart faisait du palais des grands maîtres l'un des points les plus vulnérables de Rhodes. C'est d'ailleurs ce que prouve l'état presque complet de dévastation dans lequel on le retrouve. A la nature même de ses ruines, on reconnaît les effets de l'artillerie. L'habitation des chefs de l'Hôpital était comme une sorte de poste avancé, d'où ils commandaient, mais où ils étaient exposés à recevoir les plus terribles coups.

La Cathédrale Saint-Jean

En face de l'entrée du palais, la cathédrale Saint-Jean se voit actuellement au delà des ruines de la salle du chapitre. On en attribue la fondation à Foulques de Villaret, en 1310, c'est-à-dire l'année même de sa conquête; mais il n'eut pas le temps de la terminer, et ce fut Villeneuve qui la continua, ce qu'attestent ses armes placées au-dessus de la porte. Elle fut élevée sur l'emplacement d'une petite église grecque qui elle-même avait, suivant la tradition, pris la place d'un ancien temple païen. On donna à l'église latine le caractère de celles d'Occident, et on l'orna, selon l'art architectonique du temps, de peintures murales, de vitraux et d'armoiries. Mais son plan n'avait pas été tracé suivant la croix latine, il avait simplement la forme rectangulaire.

Le caractère général de tous les monuments de Rhodes est une grande simplicité dans les lignes, unie à une sévérité qui n'exclut pas l'élégance. Une grande sobriété de détails en avait réglé l'ornementation, de même que l'exiguïté des proportions dénote chez les chevaliers de l'Hôpital la volonté de n'avoir que le strict nécessaire et de ne rien sacrifier à un luxe ou à une somptuosité qui eussent été en désaccord avec la vie austère de religieux. La ville de Rhodes est d'ailleurs peu spacieuse. Renfermée dans des fortifications qui lui interdisaient l'expansion, il avait bien fallu se restreindre, et ne donner, aux édifices comme aux habitations, que de petites dimensions. Cela même indique que la population de Rhodes ne devait pas être d'un chiffre élevé, et l'on s'étonne d'autant plus du courage et de la persévérance apportés dans le soutien des deux sièges.

L'église Saint-Jean participe de ce double caractère d'austérité et d'exiguïté. Elle ne ressemble en rien à une cathédrale de France du même âge. Son vaisseau est très-petit. Elle n'a qu'une nef, avec des bas côtés formés par deux rangées de colonnes qui portent un plafond de charpente, peint de couleur azur, rehaussé d'étoiles d'or. Chacun des grands maîtres se fit un devoir de l'embellir, et de payer au patron de l'ordre le tribut de sa dévotion par quelque riche offrande. Ainsi on rapporte que d'Aubusson, entre autres, fut un de ses plus généreux donateurs. Il acheta en Europe de magnifiques orgues, qu'il y fit placer. Bajazet II, qui, à cause de son frère Djem réfugié à Rhodes, avait tout intérêt à plaire au grand maître, avait fait présent à celui-ci de la main droite de saint Jean, enfermée dans un reliquaire rehaussé de pierreries. D'Aubusson l'offrit à la cathédrale, et voici comment un chroniqueur raconte la cérémonie qui eut lieu à l'occasion de la réception de cette relique. « Le 25 mai 1484, jour anniversaire du débarquement des Turcs sur la plage de Rhodes, le clergé, les religieux et le peuple partirent en procession de l'église Saint-Jean, et allèrent à la chapelle du palais, où le grand maître les attendait avec les seigneurs de la grande croix. D'Aubusson remit au prieur de l'église la précieuse main; et de là ils marchèrent tous solennellement en procession jusqu'à la place, où s'élevait une estrade couverte d'un dais, en forme de trône ou d'autel, sur laquelle la sainte relique fut déposée dans un reliquaire d'ivoire enrichi de pierreries, placé sous un globe de cristal à travers lequel se voyait la dextre du saint. Un religieux augustin fit à cette occasion une prédication, après quoi le prieur de l'église prit la main, et la présenta à l'adoration de la multitude. On la porta ensuite, avec le même cérémonial, en l'église de Saint-Jean; et, après l'avoir fait baiser au grand-maître, aux chevaliers, ainsi qu'à tous les assistants, le prieur la déposa sur le maître autel, en entonnant des cantiques et au son des instruments qui les accompagnaient. »

Parmi les autres objets de prix que renfermait l'église Saint-Jean figuraient des tableaux dus à la libéralité du prieur de Saint-Gilles, « Charles Aleman de la Roche-Chinard, qui, en 1510, en envoya quinze valant chacun mille écus. Ils contenaient, en taille, toutes les paroles de la Salutation de l'ange, et les neuf mystères du Rosaire de Notre-Dame, avec une croix d'or de la forme que les religieux la portent cousue sur leur habit. Elle pesait trente marcs, qui avaient coûté deux mille deux cent soixante six écus. Tout cela avait été placé sur le grand autel. Seulement, en considération de la valeur de ces objets, le grand maître d'Amboise crut prudent de les déposer dans le trésor de l'ordre, et on ne les portait sur l'autel que le jour de la fête de saint Jean-Baptiste. »

« Le prieur de Saint-Gilles, au temps de d'Aubusson, avait déjà fait don à la cathédrale des statues des douze apôtres, en argent doré, pesant ensemble deux cents marcs. » Au XVIIe siècle, elles figuraient encore sur le maître-autel de Saint-Jean à Malte. « L'ordre doit encore à la libéralité d'Aleman de la Roche-Chinard des ornements sacerdotaux et une nappe d'autel en broderies d'or qui avaient coûté trois cent cinquante écus, avec un calice d'or, du prix de trois cent vingt-deux écus, ainsi qu'un magnifique missel avec enluminures, vignettes, etc. »

Les janissaires de Soliman, qui entrèrent les premiers dans Rhodes, se portèrent à des sacrilèges inouïs, et à des actes de barbarie que le fanatisme le plus sauvage pouvait seul inspirer contre ce temple chrétien. Ils raclèrent toutes les peintures à fresque représentant des saints ou des scènes religieuses ; ils ne craignirent pas de profaner même les tombeaux des grands maîtres; ils brisèrent toutes les statues, renversèrent l'autel, et, après avoir pillé les vases sacrés, traînèrent le crucifix dans la boue. Il va sans dire que, de toute la riche ornementation de Saint-Jean, il ne reste rien. Les murs et les colonnes sont blanchis à la chaux. Une mauvaise natte poudreuse recouvre le sol de ce temple absolument nu, et où rien ne rappelle Dieu.

Au temps des chevaliers, des revenus avaient été affectés à l'entretien de la cathédrale et de son clergé. A voir l'état de délabrement dans lequel les musulmans laissent aujourd'hui la mosquée qui a remplacé l'église, on pourrait croire qu'ils ne lui ont conservé aucune dotation. Cependant on assure qu'une partie des biens affectés par l'ordre à sa cathédrale reçoivent actuellement la même destination. Ce sont des maisons habitées par des Turcs ou des Juifs, dont le loyer est remis aux mains de l'administrateur de la mosquée.

Depuis que les Turcs foulent le pavé de l'église, leurs pieds ont usé les dalles ; ce qui n'empêche pas de retrouver çà et là des traces d'inscriptions et d'armoiries sur de grandes dalles qui accusent des caveaux funéraires. On sait d'ailleurs que la plupart des grands maîtres étaient inhumés dans Saint-Jean. Mais de toutes les épitaphes gravées sur les pierres sépulcrales de ces illustres morts, la seule encore lisible est celle de Fabrizio Carretto, l'avant-dernier grand maître. On a vu précédemment les obsèques faites à Pierre d'Aubusson, dont le corps fut déposé dans la cathédrale avec une pompe inusitée, bien due à l'héroïque champion de la religion, au généreux défenseur de Rhodes. Quelques-uns des grands maîtres reçurent, selon leur voeu, la sépulture dans d'autres églises, où, comme à Saint-Jean, elle fut indignement violée. Les profanateurs en turban n'ont pas craint d'arracher à ces asiles sacrés les restes qu'on leur avait confiés, et de répandre sur les chemins les débris des tombes, après avoir jeté au vent les cendres qu'elles recouvraient. C'est ainsi qu'on trouve, adossé au mur de l'ancienne église des franciscains, devenue un bain turc, le sépulcre en marbre dans lequel avait été déposée la dépouille mortelle de Robert de Julliac, qui porte encore ses armoiries mutilées, et sert aujourd'hui de réservoir ou d'abreuvoir.

La cathédrale Saint-Jean avait un campanile isolé. A en juger par la largeur et l'épaisseur des murs de sa base, qui seule est restée, ce clocher devait être élevé. Mais on sait que, pendant le siège de 1522, les batteries de Soliman parvinrent à l'abattre, en dirigeant leurs coups sur ce point, où les chevaliers avaient établi un observatoire qui leur faisait connaître les travaux d'approche des Turcs. Ce clocher a dû être construit primitivement en même temps que la cathédrale; mais, de même qu'il a servi de point de mire aux coups des Ottomans de 1522, il a dû également attirer l'attention de leurs artilleurs en 1480, et il est probable qu'à cette époque déjà il a eu beaucoup à souffrir. C'est au moins ce qu'on peut inférer des tablettes armoriées que portent ses faces. L'une renferme le blason de Pierre d'Aubusson; sur l'autre, on lit la date de 1509 au-dessus du blason d'Emery d'Amboise. On doit penser qu'elles ont été placées là en souvenir d'une restauration faite par ces deux grands maîtres. Aujourd'hui cette large base, solide, revêtue du sceau de l'Hôpital, semble soutenir avec dédain le petit minaret blanc qui a remplacé la flèche et les cloches chrétiennes dont il portait autrefois le poids avec fierté.

Il y avait encore à Rhodes beaucoup d'autres églises. Les unes ont été transformées en mosquées, et sont difficiles à reconnaître; les autres sont ruinées, ou ont totalement disparu. Mais les anciens écrivains nous en ont conservé quelques noms. Le maître surintendant de l'arsenal, en 1456, en fonda une qu'il dota et plaça sous l'invocation de saint Michel archange. Une autre, dont sainte Marie et saint Dimitri étaient les patrons, avait été élevée par Louis Scalongne, prieur de Lombardie. Il y avait encore les églises Saint-Marc et Saint-Bernard, toutes deux attribuées par le grand maître Jacques de Milly à des religieux de l'ordre de Saint-François. La première était la paroisse delà ville basse, qu'habitaient surtout les artisans, près du quartier juif. Elle fut ruinée par une des batteries qui attaquèrent ce côté de la ville, que l'on voit encore aujourd'hui jonché des énormes boulets de granit lancés par les gros canons turcs appelés basilics. On a retrouvé sous les décombres quelques armoiries.

Un de ces sanctuaires dont il a été souvent parlé, et qui paraît avoir été un lieu de grande dévotion, quoiqu'il fût le moins ancien, est l'église de Sainte-Marie ou Notre-Dame-de-la-Victoire. D'après les chroniques, on doit penser que c'était plutôt un oratoire qu'une église ; et voici comment elles racontent son origine : « Après la levée du siège, en 1480, d'Aubusson acheta, de ses deniers propres, plusieurs maisons du quartier où avait été livré le combat décisif qui avait amené la retraite de l'ennemi. Il les fit raser, et ordonna à leur place la construction d'une chapelle dédiée à sainte Marie de la Victoire. » Ce patronage rappelait la vision miraculeuse qui frappa de terreur les infidèles, croyant voir accourir au secours des chrétiens une légion d'anges que guidait la sainte Vierge. Plusieurs commandeurs et de simples chevaliers voulurent contribuer à la fondation de ce sanctuaire commémoratif.

Un autre écrivain dit que le pape Innocent VIII, pour perpétuer le souvenir de la victoire des chevaliers de Rhodes, ordonna qu'une église placée sous l'invocation de Notre-Dame des Victoires fût érigée, à ses frais, dans l'enceinte de la ville qui avait été si efficacement protégée. On lui choisit pour place celle où, le jour de la plus terrible attaque, le grand maître, suivi de ses chevaliers, avait arrêté l'irruption des janissaires, qui, ayant déjà franchi la première enceinte, se croyaient maîtres de la ville. Le même auteur ajoute que, pour montrer toute l'estime qu'il portait à son illustre chef, le conseil de l'ordre décida que le bref du Saint-Père qui conférait à d'Aubusson la dignité de cardinal, serait gravé en lettres d'or sur une tablette de marbre placée dans le choeur de la nouvelle chapelle, à droite de l'autel de la sainte Vierge. Dans le même quartier, le grand maître d'Aubusson avait fait encore élever une autre chapelle, dédiée à saint Pantaléon, dont la fête était le 23 juillet, jour du mémorable assaut.

Indépendamment des églises qui se trouvaient dans l'enceinte de Rhodes, il y en avait encore au dehors et dans le voisinage de la ville. La plus remarquable avait été placée sous le double vocable de saint Antoine et de saint Etienne. Le nombre des autres était fort grand; car, si l'on en croit certaines chroniques, d'Aubusson, toujours préoccupé des défenses de la place, avait fait démolir dix-huit églises ou chapelles qui par leur proximité des remparts auraient pu gêner les assiégés, ou favoriser les assiégeants; et, pour lever les scrupules de sa piété, ce grand maître fit édifier un nouveau sanctuaire dédié à tous les saints patrons de celles qu'il avait dû renverser.

L'église Saint-Antoine fut d'abord respectée comme n'étant pas assez voisine des remparts pour offrir un point d'appui à l'ennemi. Néanmoins, après la levée du siège, en 1480, d'Aubusson, ayant reconnu qu'elle avait offert aux Turcs de grandes facilités pour s'y loger, et y établir à couvert la batterie qui causa de si grands dommages à la tour Saint-Nicolas, ce grand maître en ordonna la destruction. Il n'en conserva qu'une chapelle, afin de pouvoir célébrer l'office des morts pour les religieux de Saint-Jean, dont l'inhumation se faisait en ce lieu. Mais, plus tard, la fin inattendue de Mahomet II ayant rassuré d'Aubusson sur les entreprises que pourraient renouveler les Turcs, il fit élever au même endroit une autre église plus grande et plus belle que la première. Aujourd'hui on n'y trouve plus que des décombres.

Sur le plateau du mont Saint-Etienne il existait aussi un sanctuaire en grande vénération dédié à Notre-Dame de Toutes les Grâces. Ses ruines se voient encore au milieu des maisons et des jardins qui l'entourent On le croit antérieur à l'établissement des chevaliers à Rhodes, et on le fait remonter jusqu'au VIe siècle. Des chroniqueurs assurent qu'il était même abandonné déjà par les Grecs lors de la conquête de Villaret, et que ce fut le grand maître Hélion de Villeneuve qui le fit restaurer pour le consacrer au culte catholique.

On se rappelle que c'est au pied du mont Saint-Etienne, dans un lieu marécageux appelé Maupas, que Dieudonné de Gozon combattit le monstre dont il délivra le pays, au grand contentement des gens de la campagne. Le chevalier avait fait une donation à cette chapelle pour y fonder une messe en l'honneur de la sainte Vierge, s'il sortait vainqueur de son horrible duel. La tradition rapporte qu'en outre Gozon y fut inhumé, selon le voeu qu'il en avait formé.

Les débris de ce petit monument portent des lambeaux de fresques qui sont attribués à un élève de Cimabue, Sebastiano de Florence, devenu frère servant de l'ordre. Dès le premier siège de 1480, ces peintures murales furent endommagées par les Turcs maîtres de la campagne. Mais le cadre le plus précieux que renfermait ce sanctuaire était, d'après les chroniqueurs, le fameux tableau dit de saint Luc, qui représentait la Vierge et l'enfant Jésus. Cette peinture ne saurait être attribuée à l'évangéliste, comme l'a cru le vulgaire. Une foi trop aveugle a pu seule l'en croire l'auteur ; mais on sait actuellement qu'elle est due au pinceau de Luca, peintre florentin du IXe siècle, qui se fit religieux, et se distingua tellement par sa piété, qu'on le surnomma il santo Luca. Néanmoins ce tableau était d'un si grand prix pour les membres de l'ordre, qu'il fut solennellement transporté à Rhodes lorsque cette ville se prépara à soutenir les sièges qui la menaçaient ; et Villiers de l'Ile-Adam, lorsqu'il s'éloigna du rivage conquis par Soliman, l'emporta avec les autres objets qu'il put dérober aux sacrilèges de la soldatesque mahométane. Les fresques, qu'on ne put enlever et qui furent détruites avec l'église, se laissent encore distinguer à travers les enlacements des lierres dont les pans de murs sont tapissés, et sous les guirlandes de clématites des jardins voisins qui retombent par-dessus. Les monuments ont, comme les hommes, de singulières destinées : ce jardin, dont les plantes envahissent les restes de la chapelle latine, appartiennent à une mosquée qui porte le nom de Soliman.

Les chevaliers avaient fortifié le mont Saint-Etienne, bien que l'escarpement de ses flancs dût leur en garantir l'inaccessibilité. Ils en avaient fait comme une espèce de petite place secondaire, entourée de murs flanqués de tours, dont deux se dressent encore, et dominent les abords du côté de l'Occident. Mais ce poste isolé, en cas d'investissement de Rhodes, ne pouvait que diviser les forces des défenseurs, en compromettant ceux commis à la garde du plateau de Saint-Etienne. Aussi les deux grands maîtres qui eurent à soutenir les efforts des armées ottomanes ont-ils abandonné cette position impossible à conserver. Soliman, en 1522, s'y établit et en fit sa demeure pendant tout le temps que dura le siège, et lorsque Villiers de l'Ile-Adam gravit les flancs abrupts de la montagne pour porter au sultan les clauses de la capitulation, il put, dès ce moment, juger avec douleur de quelle façon les mahométans accueilleraient celles qui avaient pour objet de faire respecter par eux les édifices du culte : il dut, en voyant le sanctuaire de la sainte Vierge transformé en harem, prévoir le sort qui attendait les autres églises.

Blasons des Chevaliers de Rhodes
Blasons des Chevaliers de Rhodes. Sources :
http://dominicus.malleotus.free.fr/rhodes/rue_chevaliers.htm

Des hauteurs de la ville, si l'on descend dans la partie basse, vers le port, on trouve le bazar. Au milieu du fouillis des boutiques où s'enchevêtrent celles des Grecs et des Juifs, on découvre un petit édifice qui, malgré ses dimensions restreintes, a un très-grand caractère. Sévère dans son ensemble, il offre de charmants détails à l'oeil qui l'étudié. Il est percé de trois grandes fenêtres carrées, encadrées de feuilles d'acanthe, avec des croisillons fleurdelisés, et surmonté de gargouilles qui s'allongent sous la forme de dragons ou crocodiles. On y monte par un large escalier de pierre, en face duquel est un superbe cadre à colonnettes torses, où sont sculptés deux guerriers armés de toutes pièces, qui supportent l'écusson blasonné d'Emery d'Amboise. Sur la terrasse qui précède la façade s'ouvre une porte dont les chambranles sont ornés de sculptures, au milieu desquelles serpentent les flammes emblématiques de l'enfer; c'est l'ancien Châtelet. C'est là que siégeait le grand justicier de l'ordre. C'est dans cette salle, où conduit cette porte de funeste présage, que fut condamné à une mort ignominieuse le médecin juif qui trahit les défenseurs de Rhodes, et ce fut encore en ce lieu qu'avant qu'on prononçât, à Saint-Jean, la sentence qui déclara criminel le commandeur d'Amaral, son valet Blas Dias fut appliqué à la question avant d'être traîné au supplice.

Près de là sont les restes endommagés d'un édifice plus vaste, dont il reste une longue rangée d'arcades surmontées par des salles basses voûtées. C'était la caserne de la milice qui était à la solde de l'ordre de Saint-Jean. Les chambres étaient au premier étage, au-dessus des écuries où étaient logés les chevaux des frères de l'Hôpital.

A droite de la place où s'élève cette caserne est le quartier juif. Une grande rue le traverse, bordée de plusieurs maisons armoriées, parmi lesquelles la plus remarquable passe pour avoir été le palais de l'amirauté.

On se rappelle que ce quartier fut un des plus exposés aux coups des batteries turques. La facilité des approches de ce côté en avait favorisé l'établissement, et elles y firent de grands dégâts. On y retrouve encore de tous côtés les traces des terribles combats qui y furent soutenus par les assiégés, sous la forme d'énormes boulets de granit qui ont plus de deux pieds de diamètre. Ces singuliers projectiles, restés dans les rues où ils étaient tombés, sont aujourd'hui rangés contre les maisons, et y servent de bornes ou de sièges pour les habitants. Ce n'est pas seulement à Rhodes que se retrouvent les créneaux blasonnés par les grands maîtres de l'Hôpital. L'intérieur de l'île offre aussi, de divers côtés, des vestiges intéressants de l'époque des chevaliers.

 

L'intérieur de l'île

C'est d'abord, à l'orient, Zimboli, qui signifie en turc jacinthe, nom qui lui a été donné à cause de la quantité innombrable de ces fleurs qui croissent spontanément sur son sol. Les Grecs l'appellent aussi Rhodini, à cause de ses roses. C'est un village très-rapproché de Rhodes, qui conserve, comme traces de son antiquité, un grand nombre de petits autels ou cippes, décorés de têtes de béliers et de guirlandes de fleurs qu'accompagnent des inscriptions grecques. Eschine, exilé d'Athènes, fonda à Rhodes une école d'éloquence, et il avait fait choix de Zimboli pour y réunir ses nombreux disciples. A cette école, restée florissante pendant plusieurs siècles, il se forma des rhéteurs si célèbres, que Cicéron lui-même vint y étudier sous un maître dont il se plaisait à se reconnaître l'élève.

L'occupation des chevaliers de l'Hôpital est attestée en ce lieu par les travaux qu'ils firent pour entretenir et consolider un bel aqueduc antique, destiné à porter en ville la meilleure eau du pays, recueillie dans des canaux qui la prennent à une source située dans cette localité.

Du côté opposé, vers le couchant, les souvenirs de l'ordre de Saint-Jean se pressent ; et, bien qu'ils soient à l'état de ruines, ils permettent d'apprécier l'importance que les grands maîtres attachaient à fortifier cette partie de l'île. Nous avons vu que le mont Philermo ou Saint-Etienne avait, à côté de son église, son poste militaire. Près de là est le village de Trianda, où les chevaliers avaient leurs villas, blanches, carrées, à deux étages terminés en terrasse, souvent crénelés. Devant eux s'ouvrait le vaste horizon de la Méditerranée. Il y existait un château fort. Mais, le jugeant incapable de se défendre, et plus propre à servir d'abri à l'ennemi que de refuge aux habitants, Jean-Baptiste des Ursins le fit raser.

Plus loin est Cremasto, où l'on doit croire que le grand maître d'Aubusson avait sa maison de plaisance, qu'indique encore son blason resté sur un pan de mur. Ce village descend jusqu'au rivage que protégeait un fort construit par Hélion de Villeneuve.

Ce grand maître fonda un bourg qui porte encore son nom et se rencontre à peu de distance de Cremasto, en suivant la côte. Au milieu il avait élevé un palais d'été dont quelques arceaux, des fenêtres et des portes sont encore debout, montrant l'écu de son illustre possesseur. Ce château, par sa position, commandait le rivage occidental ; et, comme toutes les demeures de ces religieux guerriers, il pouvait en même temps servir d'habitation ou de défense. Assez fort pour opposer une résistance sérieuse à une attaque de surprise, il était un point stratégique qui avait sa valeur. Aussi son occupation ou son abandon furent-ils l'objet des hésitations du grand-maître d'Aubusson, dont la première idée fut de s'en servir pour protéger cette partie de la côte, et mettre à l'abri la population groupée autour. Dans ce but, il y mit une forte garnison. Se ravisant plus tard, et craignant que les défenseurs de Villeneuve ne fussent enveloppés et que le château ne fût emporté, d'Aubusson prit la résolution de l'abandonner. Il en avait même fait le sacrifice complet, et était sur le point de le raser pour qu'il ne servît pas à loger l'ennemi, lorsqu'il revint à sa première pensée et se décida à le faire occuper fortement, en confiant sa garde à un chevalier énergique, Antoine Duillas. L'histoire ne dit pas ce qu'il en advint ; mais il est probable que les Hospitaliers, marchant au-devant de l'armée ottomane, jusque dans les flots, emmenèrent avec eux la garnison de Villeneuve, lorsqu'ils virent qu'il n'y avait aucun moyen d'empêcher leur multitude d'inonder le rivage. Peut-être même le firent-ils sauter pour qu'il ne tombât pas aux mains des Turcs, et les ruines que l'on y retrouve aujourd'hui ont tout l'air d'être le résultat de ce sacrifice volontaire.

Blasons des Chevaliers de Rhodes
Blasons des Chevaliers de Rhodes

Tels sont les points intéressants qui sont les plus rapprochés de la place. En s'avançant dans l'intérieur de l'Ile, on en rencontre beaucoup d'autres qui attestent la prudence des chefs de l'Hôpital, et l'excellente organisation qu'ils avaient su apporter dans les défenses qui devaient contribuer à la protection des postes avancés qu'ils occupaient au milieu du cercle des ennemis de la religion et des Francs. Le village d'Archanghelos est encore dominé par les ruines du château que Jacques de Milly ordonna d'y élever, et qui ne fut achevé que sous le magistère de des Ursins, comme le prouve l'écusson de ce grand maître.

A l'extrémité sud de l'île était le château de Catavia, sentinelle avancée sur le promontoire qui forme le cap de ce nom. Au centre et sur le mont Artamiti, l'antique Atabiris, où Jupiter avait un temple, était le fort de Feracli ou Fando, qui servait de prison aux chevaliers privés de l'habit. Chaque point du rivage, chaque sommet qui permettait de s'y établir fortement était défendu par un castel, et tous ces postes, à peu de distance les uns des autres, se reliaient entre eux en protégeant les populations.

Château et village de Lindos à Rhodes
Sources image :
wikipedia

De tous ces lieux fortifiés, le plus important était Lindos. La ville antique, l'une des trois premières fondées dans l'île, dont les débris informes jonchent le sol de toutes parts, a fait place à une bourgade habitée par des cultivateurs et quelques pêcheurs. Les maisons sont groupées au pied d'un rocher fort élevé qui porte à son point culminant, comme un nid d'aigle, une forteresse à laquelle servent de racines les fondations plus que séculaires de l'antique acropole que couronnait un temple de Minerve. Par les marches de plusieurs escaliers longs et rapides, on arrive à des salles encore entières, avec de grandes cheminées fleurdelisées. Des anges, peints à fresque, sur leurs larges manteaux y soutiennent la croix ancrée et le chapeau de cardinal de Pierre d'Aubusson. Plusieurs salles se succèdent, et à côté se voient les restes d'un oratoire pour lequel la religion n'avait pas dédaigné de se servir des matériaux arrachés au temple païen. Aucun point de cette côte n'offrait un lieu aussi propice à l'établissement d'une fortification, du haut de laquelle la vue pouvait s'étendre au loin vers les rivages de l'Egypte, et dont l'escarpement présentait une défense inexpugnable à l'ennemi. Aussi les chevaliers de l'Hôpital avaient-ils profité de ces avantages ; et des raisons analogues à celles qui avaient décidé l'emplacement du temple antique s'offrant de loin à l'adoration des païens, engagèrent l'ordre de Saint-Jean à élever au même lieu une citadelle dont les créneaux menaçaient à l'horizon les ennemis du nom chrétien.

Tels sont les souvenirs qu'ont laissés derrière eux les chevaliers de Rhodes, en remettant cette île aux mains des Turcs. Les religieux de l'Hôpital n'y ont résidé que deux cent douze ans; mais les monuments qu'ils y ont élevés, témoignages vivants de leur possession, leur ont survécu près de trois siècles déjà; espérons qu'ils pourront longtemps encore montrer aux générations futures les signes de leur force et de leur grandeur. Quant à leur gloire, qui est impérissable, elle se transmettra d'âge en âge, comme un exemple immortel de ce que peuvent la foi, le courage et le dévouement, et c'est un grand honneur pour la France, représentée à Rhodes ou en Palestine par les grands maîtres les plus illustres, d'avoir été en Orient, dès le XIe siècle, le bouclier et l'épée de l'Europe chrétienne et civilisatrice, comme elle s'efforce de l'être, de nos jours, sur tous les points du globe.
Sources : Histoire des Chevaliers de Rhodes, depuis la création de l'Ordre à Jérusalem, jusqu'à la capitulation à Rhodes. Par Eugène Flandrin. Editeurs Alfred Mame et fils, Tours. 1873. Sources Archives.org
Archives.org
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