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Origines de l’ordre de l’Hôpital
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Origines de l'Ordre

Chapitre-III — Les Hospitaliers décimés à la bataille de Tibériade

Les Hospitaliers décimés à la bataille de Tibériade. — Hommage rendu à l'ordre de Saint-Jean par Saladin. — Philippe-Auguste et Richard Coeur-de-Lion en Palestine. — Fondation de l'ordre Teutonique. — Les chevaliers de l'Hôpital administrent l'ile de Chypre.

 

Les Hospitaliers décimés à la bataille de Tibériade

L'état de santé du roi de Jérusalem, que la lèpre rongeait, et la minorité de son successeur, qui n'avait que cinq ans, en ouvrant de nouveau le champ aux discordes entre les chrétiens de Palestine, permirent à Saleh-ed-Din, vulgairement appelé Saladin, de commencer avec quelque avantage cette guerre acharnée qui devait être si fatale au royaume franc. La situation dans laquelle il se trouvait alors nécessita un appel aux princes d'Occident. Les chroniques rapportent que, dans la crainte de voir Jérusalem et le saint sépulcre tomber au pouvoir du sultan, et afin d'y attacher l'honneur du roi de France, les croisés avaient résolu d'en envoyer les clefs à Philippe II. Roger des Moulins et le patriarche de Palestine reçurent la mission de les porter au monarque français, comme au gardien des lieux saints, comme à celui dans lequel les chrétiens mettaient leur unique confiance. Les ambassadeurs arrivèrent à Paris en 1185, et y furent reçus avec les plus grands honneurs. Par la peinture qu'ils firent de la détresse dans laquelle gémissaient les défenseurs de la religion, ils décidèrent le roi à envoyer à leur secours l'élite de ses chevaliers avec un corps de troupes à sa solde. De France le grand maître et le patriarche passèrent en Angleterre, dans l'espoir d'entraîner également Henri II. Ils avaient prémédité d'agir sur l'esprit de ce prince, en invoquant sa parenté avec le roi de Jérusalem, dont il était cousin germain. Mais de tous leurs efforts ils ne retirèrent que quelques faibles secours, en hommes et en argent, et le stérile honneur d'être ramenés sur les côtes de Normandie par Henri en personne.

Le grand maître revint en Orient pour assister à la mort du jeune Baudouin V, et aux discussions qu'engendra la prise de possession de la couronne de Palestine par Guy de Lusignan. Dans ces conjonctures malheureuses, un des chefs de l'armée chrétienne, le comte de Tripoli, Raimond, blessé de voir les prétentions qu'il avait lui-même à cette couronne renversées par un prince qu'il traitait d'étranger à la Palestine, trahit à la fois la religion et ses compagnons d'armes. Il fit alliance avec les Sarrasins. Les historiens vont même jusqu'à dire que, séduit par les promesses de Saladin, qui lui faisait espérer le diadème, objet de son ambition, s'il voulait renier son Dieu et devenir son allié contre les chrétiens, il se fit mahométan. Quoi qu'il en soit, la défection de Raimond amena sur l'armée les plus grands malheurs, dont la conséquence fut la chute du trône de Jérusalem.

De ce moment Saladin fit une guerre sans relâche aux chrétiens; et, après un combat furieux où les chevaliers de Saint-Jean avaient exterminé un nombre considérable d'infidèles, leur grand maître fut relevé sous un monceau de cadavres, qui attestait l'égal acharnement des adversaires à l'endroit où Roger des Moulins avait combattu.

Son successeur fut un chevalier né en Syrie, dans l'ancienne Sichem de Cananée. Elevé au bruit des armes, il avait de bonne heure revêtu l'habit d'hospitalier : son nom était Garnier. Il ne resta pas longtemps au poste où l'avait appelé la confiance de ses frères en 1187. Dans la même année il assista à la funeste bataille de Tibériade, où l'armée chrétienne fut taillée en pièces. Voyant le roi prisonnier, tous les autres chefs pris ou tués, lui-même étant percé de coups, il se retira du champ de bataille, l'épée au poing, en traversant le cercle des ennemis qui l'entouraient, accompagné de quelques rares chevaliers de son ordre. Garnier se réfugia dans Ascalon, où dix jours plus tard il mourut de ses blessures, léguant à son ordre le château de Karac, qui lui appartenait par héritage.

La récente victoire de Saladin, la capture du roi, la mort des plus valeureux chevaliers du Temple et de l'Hôpital, tués les armes à la main ou décapités, avaient non-seulement rempli de douleur l'armée des croisés, mais l'avaient encore livrée au découragement superstitieux que leur inspira la prise de la vraie croix par les infidèles. A cette époque d'affaissement moral, il s'en trouvait peu, parmi les survivants du désastre de Tibériade, qui conservassent encore assez d'énergie pour ne pas désespérer de la cause chrétienne. Aussi fallut-il faire presque violence à Ermengard d'Aps pour le décider à accepter le magistère. L'ordre de l'Hôpital moissonné ne paraissait plus être en position de soutenir ni son rang ni la cause chrétienne. En effet, depuis cette époque, si ses destinées ne cessèrent pas d'être telles que l'honneur ne pût en être affecté, elles ne furent plus, sur le sol asiatique, aussi brillantes, quant aux résultats obtenus pour la gloire de la religion.

Le triomphe que les armes mahométanes venaient d'obtenir avait ouvert à Saladin le chemin de Jérusalem. Les chrétiens n'étaient plus assez forts pour le lui disputer, et il arriva bientôt au pied des remparts de la ville sainte, qui était presque sans défense. Cependant tous les habitants s'étaient armés, jusqu'aux moines et aux prêtres. Mais, dit un chroniqueur enfermé dans la ville assiégée, « les flèches des Sarrasins tombaient comme des gouttes de pluie, et l'on ne pouvait montrer le doigt au-dessus des remparts sans être atteint. » Le désespoir s'était emparé des défenseurs au point, raconte notre auteur, que chacun n'aspirait plus qu'à mourir « pour le Christ, et à ne conserver des saints lieux que la portion de terre nécessaire pour l'ensevelir. » Cependant il en était dans la ville qui pensaient à autre chose qu'à faire le sacrifice de leur vie. Un grand nombre de pèlerins, « poussés par le désir criminel de sauver de « belles femmes, de l'or et leurs enfants, » préférèrent entrer en arrangement avec Saladin pour en obtenir une capitulation. Tous les chrétiens d'origine latine, dont, suivant Bernard le Trésorier, les Hospitaliers payèrent la rançon, durent sortir à la suite de la reine et des autres princesses éplorées, « robes et bagues sauves. »

 

Hommage rendu à l'ordre de Saint-Jean par Saladin

Là on vit encore quel pouvait être, même sur un coeur musulman, l'effet des vertus tant vantées des Hospitaliers. — Saladin, touché de la bienfaisance qu'exerçaient ces religieux dans leur hospice, leur accorda, par exception, l'autorisation de rester dans Jérusalem jusqu'à l'entière guérison de ceux qu'ils soignaient. On prétend même que « le sultan, ayant entendu dire des merveilles de leur piété, voulut en juger par lui-même en se présentant à l'hôpital comme malade. » On ajoute « que l'épreuve dépassa l'opinion avantageuse que le chef des croyants avait de la charité des chevaliers de Saint-Jean. » Il paraît, néanmoins, qu'à côté du respect qu'ils inspiraient à Saladin, la crainte qu'il en avait s'était fait une place assez grande; car, après leur avoir accordé un sursis pour évacuer la cité sainte, il crut prudent de l'abréger.

Il y avait quatre-vingt-huit ans que le royaume de Palestine avait été fondé par Godefroy de Bouillon. A côté, de petits Etats s'étaient formés sous l'autorité des princes croisés qui, mus par une ambition moins pieuse et plus humaine que celle de délivrer le saint sépulcre, avaient fait des conquêtes que n'avait pas toujours justifiées la nécessité de défendre la Palestine. Cette ambition ou ce zèle démesuré avait entraîné les soldats de la croix à des expéditions éloignées des lieux saints, et auxquelles la milice de l'Hôpital fournit toujours un contingent important. Depuis l'an 1099 jusqu'à 1188, elle ne s'était pas démentie un instant; au moyen de ses revenus elle avait participé constamment aux frais de la guerre, et n'avait cessé d'entretenir son hospitalité envers les pèlerins de toute nation. Toujours au premier rang des défenseurs de la croix, elle avait, dans mainte occasion, sauvé l'armée chrétienne et raffermi le trône de Jérusalem. Les autres principautés de la Syrie lui devaient également leur conservation. Non moins habiles dans la politique que courageux à la guerre, les Hospitaliers, par leur haute sagesse, s'étaient rendus utiles en toute circonstance. Leur sagacité dans les conseils, aussi remarquable que leur courage était éclatant sur le champ de bataille, fait comprendre que les successeurs de Godefroy se soient toujours adressés à eux pour les négociations difficiles. Quand ils avaient une mission délicate à donner auprès du souverain pontife ou de quelque autre prince d'Occident, c'était à un des membres de l'Hôpital qu'ils la confiaient de préférence.

S'ils étaient éprouvés dans la diplomatie, ils n'étaient pas moins impétueux sous leur cotte d'armes. La bravoure qui distinguait ces vaillants champions de la croix, « armés de foi au dedans et de fer au dehors, » selon l'expression de saint Bernard, faillit plusieurs fois causer la destruction de leur ordre. Leur dévouement les emportait toujours au plus fort des mêlées, où souvent leur milice eut à soutenir seule le choc d'armées entières. Aussi les ravages étaient-ils grands dans leurs rangs, et l'on peut dire que la Terre-Sainte a été jonchée de leurs cadavres. Mais cet ordre renommé avait de si fortes racines dans toute la chrétienté, et jouissait d'une vitalité telle, que, semblable au chêne qui pousse plus de rejetons chaque fois qu'on le coupe, il voyait accourir de toutes parts sous sa bannière un plus grand nombre de guerriers, à mesure que ses rangs s'éclaircissaient.

Après la prise de Jérusalem, Saladin, profitant de son avantage et de la situation désespérée des chrétiens, s'était fait livrer Ascalon par la reine, à titre de rançon du roi et de quelques-uns des croisés restés au pouvoir des Sarrasins; et, comme si la déchéance de la couronne ne devait s'arrêter devant aucune capitulation, si humiliante qu'elle fût, Guy de Lusignan s'abaissa jusqu'à renoncer solennellement au titre de roi de Jérusalem. Cette renonciation, bien qu'arrachée par la force et imposée au chef d'une armée décimée et hors d'état de résister, n'en fut pas moins aux yeux des chrétiens un acte honteux qu'ils ne pardonnèrent pas à Lusignan. Avoir consenti, c'était d'ailleurs avouer que l'avenir des lieux saints était désespéré.

L'étendard de la croix ne flottait plus que sur les murailles entamées de Tyr, de Beyrouth, de Tripoli et d'Antioche. Le croissant l'avait remplacé sur presque toutes les autres villes ou citadelles; et encore les croisés, divisés entre eux, pouvaient-ils à peine compter sur l'appui les uns des autres. C'était bien le cas de faire un nouvel appel au zèle et au courage des chrétiens d'Europe. Le pape s'adressa aux rois de France et d'Angleterre, auprès de qui il envoya deux légats dont les exhortations ne furent point vaines. Philippe-Auguste et Henri II instituèrent ce qu'on appela la dime saladine, dont l'objet était de faire face aux frais de la guerre contre l'ennemi de la foi.

Dans ces conjonctures, les Hospitaliers avaient transféré le siège de leur ordre à Margat ou Markap, château situé au sommet d'une montagne, entre Tripoli et Laodicée. Ils observaient de là les événements, tout prêts à combattre, espérant que Dieu, pour la gloire de qui ils avaient versé leur sang, les aiderait à chasser les profanateurs de son saint temple.

 

Philippe-Auguste et Richard Coeur-de-Lion en Palestine

Des secours étaient arrivés d'Europe. Le roi de France le premier, plus tard Richard d'Angleterre, qui venait de succéder à son père Henri II, avaient amené des troupes enflammées du désir de délivrer les lieux saints une seconde fois, et, en effaçant la tache faite par Guy de Lusignan à sa propre couronne, de rétablir le trône de Jérusalem. Les deux souverains réunis commencèrent par attaquer la ville d'Acre, et, après un siège de deux années, forcèrent Saladin à une capitulation dont il dut subir les dures conditions. Le sultan s'engageait à livrer Acre avec les armes, les munitions et les richesses qu'elle renfermait, ainsi que les navires qui étaient dans le port. La sainte croix prise à Tibériade serait restituée avec quinze cents chrétiens et deux cents chevaliers encore captifs. Les assiégés devaient, en outre, payer une somme énorme pour leur rançon. Il y avait là de quoi relever les courages abattus et rassurer les chrétiens. Les croisés entrèrent dans Acre le 13 juillet 1198. Après avoir fait purifier les églises souillées par les musulmans et relever les autels, les deux rois ordonnèrent de réparer les murs, dont les nombreuses brèches leur avaient facilité cette conquête.

 

Fondation de l'ordre Teutonique

L'armée venue d'Occident ne se composait pas seulement des troupes de Richard et de celles de Philippe. Les soldats d'Angleterre et de France avaient vu leurs rangs se grossir d'un contingent allemand commandé par le duc de Souabe, fils de Frédéric Barberousse qui avait trouvé la mort dans les eaux du Cydnus, une année auparavant. Quelques gentilshommes allemands conçurent, à l'imitation des Hospitaliers, l'idée de fonder une institution en vue des secours à offrir aux pèlerins de leur patrie. Dans ce but ils commencèrent par organiser une sorte d'hôpital dont ils firent les frais. Cet établissement se popularisa parmi les chevaliers de leur nation, et ce fut l'origine d'un nouvel ordre militaire qu'on appela l'ordre Teutonique. Le pape le reconnut et le consacra sous l'invocation de sainte Marie de Jérusalem, en lui imposant une règle et des statuts analogues à ceux auxquels obéissaient les deux ordres aînés de Saint-Jean et du Temple. Pour se distinguer de ceux-ci, les chevaliers Teutoniques portaient un manteau blanc avec une croix noire aux quatre extrémités de laquelle le roi de France les autorisa à ajouter une fleur de lis. La nouvelle confrérie ne tarda pas à prendre une extension que le patriotisme allemand favorisa en lui fournissant ses meilleures lances, et en lui octroyant de grands honneurs avec des biens considérables. Mais cet ordre, engendré dans une excursion passagère de l'Allemagne sur la Terre-Sainte, n'y demeura pas longtemps le soutien de la croix ou des pèlerins venus des bords du Rhin ou du Danube. L'Allemagne l'absorba, et ce fut bientôt exclusivement dans les guerres intestines de ce pays que les chevaliers Teutons trouvèrent à exercer leur humeur plus belliqueuse que dévouée à la cause de la religion.

De Markap, les Hospitaliers avaient transporté leur principale résidence à Acre, où ne tarda pas à mourir le grand maître Ermengard d'Aps. Godefroy de Duisson lui succéda, et mit tout en oeuvre pour entraîner les deux rois à la conquête de Jérusalem; mais ce fut en vain. La division qui ne cessait de régner dans cette armée, composées de soldats de toutes nations, et la lassitude de plusieurs chefs qui n'aspiraient qu'à quitter une terre où le climat et les privations avaient altéré leur santé, ne permirent pas de tenter l'enlèvement de la ville sainte aux mains des infidèles. Le roi de France fut le premier à donner le signal du retour en Occident, et, laissant cinq cents hommes d'armes avec dix mille fantassins sous le commandement du duc de Bourgogne, il partit suivi par beaucoup d'autres chefs.

Richard resta. Son caractère chevaleresque laissait encore aux chrétiens de Syrie l'espoir qu'il entreprendrait d'arracher à Saladin la couronne de Jérusalem ; mais cet espoir fut déçu. Le roi d'Angleterre émit, à ce sujet, un avis dicté par une prudence qui, bien qu'inattendue de sa part, n'était que trop justifiée d'ailleurs par la faiblesse numérique de l'armée chrétienne. Ce prince disait à ceux qui insistaient : « Si vous voulez aller à Jérusalem, je vous y accompagnerai; mais je ne vous y conduirai pas. » Cependant Richard comprenait que le haut rang qu'il occupait parmi les croisés faisait peser sur sa tête une responsabilité qui pourrait bien lui attirer des reproches amers de la part de guerriers brûlant d'une foi ardente, qui n'avaient qu'une seule chose en vue, la délivrance du tombeau du Christ. Afin de se mettre à couvert, ou du moins de ne pas porter seul le fardeau de cette responsabilité, il prit le parti d'assembler un conseil composé de cinq hospitaliers, cinq templiers, cinq chevaliers français, autant d'anglais et de syriens. La situation de l'armée y fut nettement exposée; la question de marcher contre Jérusalem y fut discutée; et le résultat de cette solennelle délibération fut qu'on ne tenterait pas cette entreprise, « parce qu'on ne pourrait y endurer les privations de la saison chaude dans laquelle on était, et surtout le manque d'eau. » — Ainsi fut abandonné, ou du moins indéfiniment ajourné, le projet de reconquérir les lieux saints.

L'impuissance qui paralysait l'armée chrétienne, lorsqu'il s'agissait pour elle d'une grande entreprise, n'arrêtait pas toutefois les chevaliers venus d'Occident, toujours disposés à guerroyer avec les Sarrasins. Si rien de décisif ne se prononçait de part ni d'autre, on n'en escarmouchait pas moins, et les rencontres entre musulmans et chrétiens étaient assez fréquentes pour satisfaire l'humeur batailleuse des plus impatients. Parmi eux, Richard se distinguait par son bouillant courage et sa témérité personnelle, et ses exploits avaient produit sur les infidèles une telle impression que, longtemps après son départ de Syrie, son nom seul était un objet de terreur. Joinville raconte que de son temps, c'est-à-dire soixante ans plus tard, il avait encore entendu des Sarrasins dire à leurs enfants qui pleuraient : « Tais-toi, voici le roi d'Angleterre... » A leurs chevaux même, leur reprochant quelque écart, ils disaient: « Crois-tu que le roi Richard soit caché dans ce buisson ?... » — Commentaires pittoresques qui montraient, mieux que la narration des hauts faits de celui qu'on avait surnommé Coeur-de-Lion, à quel point le souvenir de sa bravoure et de la force de son bras était resté dans la mémoire des ennemis de la croix.

Le monarque anglais avait fini par s'embarquer aussi, mais non sans avoir enlevé aux infidèles Jaffa et Ascalon, qu'il remit aux croisés. Guy de Lusignan reçut également des mains de ce prince l'île de Chypre, dont il avait fait la conquête en venant. Elle resta près de trois siècles aux membres de cette famille, qui au titre de roi de Chypre ajoutèrent le vain nom de roi de Jérusalem.

Lors du départ des souverains de France et d'Angleterre pour l'Occident, plusieurs des chevaliers qui les avaient accompagnés voulurent rester en Terre-Sainte. Remplis d'admiration pour les vertus et le dévouement des Hospitaliers, ils en prirent l'habit en abandonnant à leur ordre tous leurs biens d'Europe. Presque tous ces gentilshommes préférèrent l'ordre de Saint-Jean à celui du Temple, dont les membres éloignaient d'eux par leur arrogance.

Godefroy de Duisson était mort. Jusqu'à lui, comme on l'a vu, tous les grands maîtres de l'Hôpital avaient été choisis parmi les chevaliers français; dans cette circonstance on fit une exception à ce qui semblait être une règle invariable. D'ailleurs l'extension qu'avait prise l'ordre, qui comptait un nombre considérable de frères de plusieurs nationalités, partagés entre les établissements situés en différents pays d'Europe, lui faisait une loi de l'impartialité dans le choix de son chef, et il lui sembla qu'il était de son devoir de ne pas le prendre exclusivement dans les rangs des chevaliers de la langue de France, quoique leur nombre fût incomparablement supérieur à celui des autres nations. C'est sans doute à cette cause qu'il faut attribuer l'élection du grand maître Alphonse, d'origine portugaise. On pourrait encore ne voir, dans cette dérogation à l'usage, qu'un hommage rendu au sang royal; car ce chevalier passait pour être le fils naturel du roi de Portugal. Ce nouveau chef de l'Hôpital, rigide et hautain, voulut introduire dans le sein de l'ordre plusieurs réformes qui portaient principalement sur le luxe, qu'il accusait les chevaliers de faire dégénérer en une mollesse indigne de religieux, de soldats du Christ, réformes dont il donna, d'ailleurs, le premier l'exemple. Il voulait faire revenir l'austérité des moeurs de ses chevaliers à ce qu'elle avait été au temps de Raimond Dupuy, leur disant qu'ils ne devaient être ni plus délicats, ni moins esclaves de leurs voeux que ne l'avaient été leurs devanciers. Mais la hauteur des remontrances d'Alphonse et l'aigreur qu'elles firent naître, même au sein du chapitre de l'ordre, y engendrèrent la désobéissance. Le grand maître dut abdiquer pour se retirer en Portugal, où il périt dans une guerre civile.

Profitant sans doute d'un avertissement qui devait leur faire regretter de s'être éloignés d'une sorte de règle qui avait jusque-là fait la gloire de leur ordre, les chevaliers de l'Hôpital revinrent, dans une des langues de France, chercher un nouveau chef, et ils firent élection de Geoffroy le Rat. On pourrait croire que ce choix fut inspiré par des dispositions de caractère entièrement opposées à celles qui avaient aliéné à Alphonse, non-seulement l'affection, mais encore l'obéissance des chevaliers. Geoffroy était, en effet, aussi doux, affable et peu entreprenant, que son prédécesseur s'était montré fier, hautain et novateur.

La trêve de « trois ans, trois mois, trois semaines, trois jours et trois heures, » que Richard avait signée avec les infidèles, et la mort de Saladin survenue pendant ce temps, faisaient des loisirs aux croisés. Mais à ces hommes habitués aux combats, pour qui la guerre était en quelque sorte la seule existence possible, ce repos était insupportable, et ils éprouvaient le besoin de rencontrer des ennemis à combattre. Du moins est-ce là qu'il faut chercher la cause ou l'occasion qui fit revivre leur ancienne animosité entre le Temple et l'Hôpital. Elle eut alors un caractère tel, que les deux ordres en vinrent aux mains. Les premiers incidents de cette nouvelle querelle, d'abord peu sérieux, ne tardèrent pas à prendre les proportions les plus désastreuses. Les Hospitaliers et les Templiers ne se rencontraient plus sans se charger avec une rage qui pouvait faire croire que l'un des deux partis combattait sous l'étendard de Mahomet. Ces luttes fratricides se renouvelèrent souvent, et eurent pour résultat fatal d'envenimer de plus en plus la haine que les deux ordres nourrissaient l'un contre l'autre, au grand scandale de l'armée croisée et de la chrétienté tout entière. Il ne fallut rien moins qu'une bulle du pape Innocent III, en 1198, pour apaiser ces discordes, qui tendaient à compromettre de plus en plus le sort des croisés, et calmer cette humeur trop belliqueuse pour des religieux, « si l'on peut, disait le souverain pontife, appeler religieux des gens qui ne procèdent que par voies de fait et violences. » Sur un ordre venu de Rome, les deux ordres militaires furent cités à la barre d'un tribunal composé de croisés qui leur étaient étrangers, et qui décida que les torts n'étaient pas du côté des Hospitaliers. Les Templiers s'inclinèrent devant le verdict qui les condamnait, et pour quelque temps la paix fut en apparence rétablie.

 

Les chevaliers de l'Hôpital administrent l'ile de Chypre

Sous le magistère de Geoffroy le Rat, le roi de Jérusalem et de Chypre eut recours à l'ordre de l'Hôpital pour raffermir son autorité dans cette ile. Quelques chevaliers choisis y passèrent avec des troupes, et prirent en main le gouvernement de ce petit Etat, qu'ils surent diriger avec cette habileté à la fois énergique et sage dont ils avaient donné tant de preuves.
Sources : Histoire des Chevaliers de Rhodes, depuis la création de l'Ordre à Jérusalem, jusqu'à la capitulation à Rhodes. Par Eugène Flandrin. Editeurs Alfred Mame et fils, Tours. 1873. Sources : Archives.org
Archives.org

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