Eudes des Pins. 30 septembre 1294 — 17 mars 1296
La famille des Pins (de Pins, de Pyns, de Piis ou de Pys) semble originaire du midi de la France. Les branches languedociennes (Pins-Montbrun, près de Muret, et Pins-Cancalières, près de Castres) et la branche de Guienne (Pins-Puybarban) croyaient toutes trois pouvoir compter parmi leurs ancêtres les dignitaires de l'ordre de l'Hôpital qui portaient leur nom, mais sans pouvoir, à la fin du XVIIIe siècle, en fournir les preuves absolues. Leur maison, en effet, avait fourni à l'Hôpital, outre le grand-maître Eudes, un vicaire-général de l'Ordre, Gérard des Pins, nommé par le pape vers 1318, et un second grand-maître, Roger des Pins (1355-1365). Il est fort possible que les prétentions de chacune de ces branches aient été légitimes, et que les trois personnages que nous venons de nommer se rattachent à des rameaux différents de cette famille. Mais, quelle que soit la vérité, Eudes des Pins appartenait très vraisemblablement à la langue d'oc et à la région du sud-ouest de la France actuelle (1).Eudes des Pins fut élevé au magistère à la fin de Tannée 1293 ou dans les premiers mois de 1294 (avant le 30 septembre) (2). Son passé nous est presque inconnu. Nous savons seulement qu'en 1273 (7 octobre) (3), il occupait déjà l'importante charge de drapier ; nous pouvons induire de cette indication qu'il devait être avancé en âge, — ce que les historiens affirment sans preuve, — lorsqu'il prit la direction de l'Ordre, et que sa carrière se passa en Terre Sainte, probablement sans grand éclat. La tradition veut qu'il se soit cantonné dans les exercices de la piété la plus sévère. En fait, en dehors de la tenue du chapitre général de 1294 (4), le passage d'Eudes des Pins au magistère a laissé peu de souvenirs, et- ceux qui nous sont parvenus ne sont pas à son honneur.
Il semble qu'à ce moment l'administration de l'Ordre ait laissé beaucoup à désirer. Nous en avons comme preuve un projet de réforme, adressé au pape en 1295 par les dignitaires les plus en vue de l'Hôpital, dont le grand-commandeur d'outremer, Boniface de Calamandracen, et le prieur de S. Gilles, Guillaume de Villaret, se firent les champions auprès du S. Siège. Les chevaliers demandaient qu'on instituât un conseil permanent, revêtu d'attributions étendues, composé de six membres, un par langue, et du grand-maître représentant la septième langue, celle à laquelle il appartenait. Ces sept « definitors », pour employer le nom donné par les réformateurs aux fonctionnaires dont ils préconisaient la création, devaient assister le grand-maître, contrôler ses actes et partager avec lui la responsabilité de la plupart des résolutions que jusqu'alors il prenait sous sa seule autorité. Tel était l'esprit général de la réforme proposée; elle était directement inspirée par le désir de limiter les pouvoirs du grand-maître, et il n'est pas difficile d'apercevoir qu'elle visait la conduite d'Eudes des Pins. Le projet n'eut pas de suite, mais il provoqua, de la part de Boniface VIII, une lettre comminatoire, dans laquelle le pontife enjoignait à Eudes des Pins de renoncer à ses errements antérieurs et de prendre désormais la défense des intérêts de l'Ordre (12 août 1295) (5).
Si le sens des termes sévères, mais volontairement vagues, dont se servit la chancellerie pontificale en rédigeant cette admonestation, fut compris par l'intéressé, il nous échappe à peu près complètement, et ne nous permet pas de déterminer, d'une façon précise, les griefs qui motivèrent la colère du pape. Les historiographes officiels de l'Hôpital (6) notent que la conduite inconvenante du grand-maître (inconveniens portamentum) avait amené une dépression considérable dans l'Ordre, et s'indignent surtout qu'elle ait obligé le S. Siège, — chose qui ne s'était jamais vue, — à s'immiscer dans les affaires des Hospitaliers. Quelle pouvait être cette conduite? Eudes des Pins se désintéressa-t-il simplement, par humilité chrétienne, par faiblesse de caractère et d'âge, du gouvernement de l'Hôpital pour s'adonner exclusivement à la prière, et laissa-t-il par suite s'enraciner des abus sans chercher à les détruire ? Prit-il au contraire une part personnelle et coupable au relâchement de la discipline ? Si la première hypothèse coïncide assez bien avec ce que nous savons de la piété d'Eudes des Pins et avec le projet de réforme dont nous venons de parler, en revanche la sévérité du souverain pontife et le refus d'obéissance aux ordres du pape, que les historiographes prêtent au grand-maître, semblent justifier la seconde supposition.
Eudes des Pins, ne tenant aucun compte des reproches de Boniface VIII, fut sommé de comparaître devant la cour pontificale pour fournir des explications. Il était sur le point de se mettre en route lorsque la mort le surprit à Limisso, le 17 mars 1296 (7). Son magistère, succédant aux tristesses de celui de Jean de Villiers, au lieu de relever le prestige amoindri et la situation affaiblie de l'Hôpital, ne fit qu'accentuer la décadence de l'Ordre, à un moment où plus que jamais une direction énergique et une activité intelligente s'imposaient. Il est hors de doute que l'énergie et l'intelligence manquèrent à Eudes des Pins; mais il serait peut-être injuste de porter sur lui, comme on l'a fait, un jugement plus sévère encore. On ne doit pas perdre de vue qu'on est toujours porté à augmenter les responsabilités de quiconque a été malheureux. Qu'Eudes des Pins ait été au-dessous de la tâche qui lui incombait, qu'il ait été impuissant à réorganiser à Chypre l'Ordre expulsé de Terre Sainte, que cette insuffisance ait amené dans la discipline le relâchement dont les historiens se sont fait l'écho, rien n'est plus vraisemblable. Mais faire au grand-maître un crime de ces abus, qu'il n'a pas, il est vrai, su enrayer, mais qui ont pris naissance en dehors de lui, c'est assurément aller trop loin. L'impartialité exige qu'en constatant les funestes conséquences de son administration, on s'abstienne d'en faire retomber sur lui tout le poids, et qu'on fasse, en la jugeant, la part des circonstances aussi bien que celle de l'apathie et de l'insuffisance d'Eudes des Pins.
Sources : Joseph Delaville Le Roulx. Les Hospitaliers en Terre Sainte et à Chypre (1100-1310). Paris, E. Leroux, 1904. In-8º, XIII-440 pages.
— Vous pouvez voir le livre dans son intégralité à cette adresse : Archives.Org
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Les Notes
1. Précis général sur la maison des Pins, 3. S. Allais (L'ordre de Malte, 31) fait descendre Eudes des Pins de la maison de Pinos en Catalogne. Pauli, au contraire (Cod. dipi., II, 461), rattache le grand-maître à la Provence par sa naissance et à la Catalogne par son origine. Ces assertions ne sont ni absolument contradictoires ni absolument incompatibles avec la filiation que nous assignons à Eudes des Pins, la famille des Pins ayant, semble-t-il, essaimé au XIIe siècle de Catalogne en Guyenne et en Languedoc.
2. V. plus haut, p. 245.
3. Cartulaire, III, nº 3519.
4. Cartulaire, III, nº 4259.
5. Cartulaire, III, nº 4267 et 4293.
6. Dugdale, Monast. Anglic, VI, 797. Voir plus haut, p. 34, note 3.
7. Amadi, Chronique, 233. La date de 1295, qui figure en manchette dans cette édition et émane de l'éditeur, doit être rectifiée en 1296, l'année ne commençant que le 25 mars à Chypre.
Sources : Joseph Delaville Le Roulx. Les Hospitaliers en Terre Sainte et à Chypre (1100-1310). Paris, E. Leroux, 1904. In-8º, XIII-440 pages.
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