Commanderies de Lorraine
Des commanderies de lordre de Saint-Jean-de-Jérusalem en LorraineAprès la proscription des Templiers, quelques-unes de leurs maisons furent supprimées, et leurs biens donnés aux Hospitaliers : cest ce qui arriva pour Brouvelieures, Cercueil, Couvertpuits, et Dagonville ; les propriétés du Temple de Jezainville passèrent aux Antonistes de Pont-à-Mousson.
Quant aux autres préceptoreries elles continuèrent à subsister, mais après avoir changé de destination et être devenues des commanderies de lordre de Saint-Jean-de-Jérusalem ou de Malte. De ce nombre furent les maisons de Libdeau, Lunéville, Norroy, Virecourt et Xugney.
Il faut ajouter à ces établissements ceux que mentionne le Regestrum, savoir ceux de la Bouzule, de Cuitefève, de Jaillon, de Mazerules, de Robécourt, de Saint-Jean-du-Vieil-Aitre, de Toul et de Vennezey ; ce qui porterait à treize le nombre des commanderies situées dans le diocèse de Toul. Mais ainsi quon va le voir, le document en question a donné cette qualification à de simples chapelles, à des hôpitaux, voire même à des métairies appartenant aux Hospitaliers.
Je moccuperai dabord des cinq commanderies de lordre de Malte qui avaient été originairement des préceptoreries du Temple.
Celle de Libdeau eut pour premier commandeur frère Jean de Burei, qui mourut le vendredi après la Saint-Gengoult 1326 et dont la tombe se voyait autrefois dans la chapelle de la commanderie. Cette maison fut presque entièrement ruinée, en 1636, pendant les guerres qui désolèrent notre pays. On la rétablit dans la suite, et on répara la chapelle qui subsiste encore on conserve sur ses combles, une cloche fort ancienne sur laquelle sont gravés les mots Ave Maria gratia plena qui semblent indiquer quelle provient de loratoire des Templiers.
La commanderie de Saint-Georges, qualifiée de « maison forte dans des pieds-terriers du XVIIe et du XVIIIe siècles, était construite hors de lenceinte de Lunéville dans le faubourg de Viller.
En 1587, lorsque les troupes protestantes, conduites par le duc de Bouillon, traversèrent la Lorraine, ses bâtiments, de même que ceux de labbaye de Saint-Remy, qui en étaient voisins furent démolis, et on la transféra dans lintérieur de la ville.
Elle sétablit dans une maison qui lui appartenait, derrière léglise paroissiale de Saint-Jacques. Cette commanderie, originairement indépendante, devint ensuite un membre de celle de Saint-Jean-du-Vieil-Aitre, dont les commandeurs administrèrent les deux maisons à partir de lannée 1504.
Celle de Norroy-sur-Vair, vendue nationalement à la Révolution a conservé quelques vestiges de sa chapelle dans un des murs de laquelle se voit une statue de saint Georges terrassant le dragon (1).
1. Une statue en bois de ce saint, provenant de la commanderie de Saint-Georges, se voit au Musée lorrain.
La commanderie de Virecourt parait avoir été tour à tour indépendante de Saint-Jean-du-Vieil-Aitre, et unie à cette dernière. Elle était située dans lintérieur du village et se composait de lhabitation seigneuriale, qui servait de résidence au commandeur ou à son représentant dune grange, décuries et étables. Quant à la chapelle, probablement lancien oratoire des Templiers, elle tombait en ruines dès lannée 1529 ; il ne parait pas quelle ait été rétablie, et les services qui devaient sy célébrer furent transférés à la chapelle de Saint-Jean-Baptiste, érigée dans léglise du village.
La commanderie de Xugney, unie dabord à celle de Libdeau, puis détachée de celle dernière, et située entre Rugney, Savigny et Bouxurulles, était "circuite" de murailles, dans lenceinte desquelles sélevaient la maison dhabitation, les granges et écuries deux tours servant lune de colombier et lautre de prison enfin, « léglise », ou plutôt la chapelle sous linvocation de saint Jean-Baptiste. Cette dernière, ainsi que je lai dit précédemment, subsiste encore dans plusieurs de ses parties.
Telles sont les particularités les plus intéressantes relatives aux commanderies de lordre de Saint-Jean-de-Jérusalem qui avaient succédé à des maisons du Temple ; je vais maintenant parler de celles qui eurent, depuis lorigine jusquà la fin, la même destination. Le Regestrum en compte neuf, qui furent loin davoir toutes la même importance.
La maison de la Bouzule existait dès lannée 1231 (2) ; il y attenait une chapelle sous le vocable de saint Jean-Baptiste lune et lautre furent brûlées, en 1636, par les gens de guerre. Un pied-terrier de 1713, auquel jemprunte ces détails ne qualifie pas la Bouzule de commanderie, mais simplement de ferme ; et il est assez probable que ce ne fut jamais autre chose quune métairie appartenant à lordre de Malte, destinée peut-être surtout en raison de sa situation sur un chemin public, à recevoir les pèlerins et les voyageurs.
2. Voyer : Ma notice sur quelques établissements de lordre de Saint-Jean de Jérusalem situés en Lorraine, page 84.
La commanderie de Cuite-Fève, près de Rosières-aux-Salines, était lun des plus anciens établissements des Hospitaliers dans nos contrées. Dans la seconde moitié du XIIe siècle, un nommé Brunon de Rosières et son frère, doyen de léglise de Toul, firent à cette maison (hospitali dominico apud Roserias) (3) diverses donations qui furent successivement confirmées, par Albéric fils de Brunon par Othon comte palatin de Bourgogne (1197), et par Simon II, duc de Lorraine (1176-1205).
3. Il semble ressortir de différents titres quil y avait aussi, dans le faubourg de Rosières une maison avec une chapelle appartenant aux Hospitaliers.
Les termes employés dans ces chartes et dans plusieurs autres (4) ne laissent aucune incertitude sur la destination spéciale quavait la maison de Cuite-Fève : cétait un hospice où lon recevait les pauvres passants et les malades et auquel attenait une chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste. Cette dernière était desservie par un chapelain que nommait le commandeur de Nancy ; en 1657, un ermite résidait dans son enclos et lhôpital avait été probablement détruit durant les guerres. Les bâtiments furent reconstruits dans la seconde moitié du XVIIe siècle ; il en fut de même, sans doute de loratoire, qui subsiste encore mais transformé en grange, et dont larchitecture atteste des travaux exécutés à plusieurs époques ; dans le mur est encastrée une tête de chevalier, en pierre, qui provient, très-vraisemblablement, dun des monuments qui décoraient la chapelle.
4. Voyer : Ma notice sur quelques établissements de lordre de Saint-Jean de Jérusalem situés en Lorraine, page 36 et 37.
La maison de Cuite-Fève était un membre de la commanderie de Saint-Jean-du-Vieil-Aitre ; aussi navait-elle point de commandeur, mais seulement un régisseur (rector) ou procureur qui administrait ses biens.
Celle de Jaillon ne semble pas remonter au-delà de la fin du XIIIe siècle : le plus ancien titre où il en soit fait mention est un échange passé en 1291, entre Conrard évêque de Toul, « frère Renaut, maistre du Pont à Jaillons et les frères de lospital de Jaillons. »
En 1656 cet hôpital nétait plus quun simple ermitage consistant en une chapelle, dite de Saint-Jean-de-Jérusalem et en un petit logement pour lermite lermitage avait même disparu au siècle dernier.
Lexistence de la commanderie de Mazerules nest attestée que par un pied-terrier de 1658 (5), énumérant les biens et les droits seigneuriaux dont le commandeur de Saint-Jean jouissait dans ce lieu : on y voit quil percevait des cens sur plusieurs maisons, notamment dans la Grand-Rue et dans celle de la Commanderie. Ces maisons se trouvaient alors réduites en maziéres pour avoir été ruinées pendant les guerres. Il en avait été de même, sans doute, des bâtiments appartenant aux Hospitaliers, lorsque les habitants de Mazerules sétaient enfuis pour échapper à la contagion et au fer des ennemis (6).
5. Un titre de 1283 parle de la cession faite à titre déchange, par le duc Ferry III aux frères des maisons de Robécourt et de Saint-Jean, de tous les hommes, et femmes quil avait à Maizerucles.
6. Voyez : Communes de la Meurthe, tome II, page 27 et 28.
Suivant la Notice de la Lorraine et le Pouillé du diocèse de Toul, la commanderie de Robécourt aurait remplacé une maison de lordre du Temple et cette assertion serait, jusquà un certain point, corroborée par la tradition locale, puisquune rue du village porte encore le nom de rue des Templiers. Néanmoins ni Dom Calmet, ni le Père Benoît ne donnant de preuves à lappui de leur opinion, je suis porté à croire quils se sont trompés en effet le titre de 1283, que jai rappelé dans une des notes qui précèdent, contient ces expressions, qui ne permettent aucun doute Li frère de la maison de Robercourt et de la maison dou Viez Aitre devant Nancei, qui sunt de lhospitaul de Saint-Jehan doutre-mer (7).
7. Cette commanderie possédait, à Epinal, dans le faubourg Saint-Michel, une chapelle dite de Saint-Jean ; elle en avait également une, sous le vocable du même saint, avec une maison, dans la ville de Neufchâteau. (Voyez, Statistique des Vosges, tome II, page 196, et Pouillé de Toul, tome I, page 407.)
La maison du Temple de Norroy était devenue, comme je lai dit plus haut la propriété des Hospitaliers qui lavaient unie à leur maison de Robécourt. Cette dernière était une des cinq grandes commanderies que lordre possédait en Lorraine ce nétait pas, comme plusieurs de ses établissements un hôpital ou une simple métairie mais un château fort qui subsiste encore, après avoir subi de nombreuses transformations.
Le plus ancien et le plus important de tous ces établissements est la commanderie de Saint-Jean-du-Vieil-Aitre, près de Nancy, qui a donné son nom à un faubourg de cette ville et à létang, maintenant couvert dhabitations et de jardins, au milieu duquel périt Charles-le-Téméraire, le janvier 1477.
Les historiens qui ont parlé de la commanderie de Saint-Jean, ne la font pas remonter, comme maison dHospitaliers, au-delà du XIVe siècle, et, suivant M. Lionnois, elle aurait été, dans lorigine, une dépendance de lordre des Templiers. Ces deux opinions sont également erronées ainsi quil résulte de plusieurs chartes, des années 1147, 1158, 1244, 1247, 1283 et 1286 (8).
8. Voyez : Notice sur quelques établissements, etc., page 16-20.
La maison du Viel Astre ou du Viez Aitre devant Nancei comme on lappelait, eut le sort de presque toutes celles du même ordre, cest-à-dire quelle fut vendue nationalement à la Révolution mais plus heureuse que beaucoup dautres, elle ne fut pas démolie à cette époque, et ses bâtiments subsistent encore à peu près tels que les représente une charmante gravure de Collin, faite au siècle dernier sa chapelle est restée debout, ainsi que sa tour, qui doit remonter à lorigine même de la commanderie.
Parmi les biens que celle-ci possédait, je dois mentionner lhôpital de Laxou, qualifié de commanderie dans quelques titres. Il était régi par le maire de ce village nommé par le commandeur de Saint-Jean, et qui prenait le titre de gouverneur. A cet hôpital attenait une chapelle, qui fut probablement ruinée au XVIIe siècle.
Nonobstant la mention expresse contenue dans le Regestrum, il ne parait pas que les Hospitaliers aient jamais eu détablissement proprement dit dans la ville de Toul la maison de Libdeau y avait, seulement un hôtel où ses commandeurs faisaient ordinairement leur résidence.
La commanderie de Vennezey, mentionnée encore dans le Recueil des bénéfices du duché de Lorraine, rédigé à la fin du XVIe siècle (9), nest rappelée dans aucun ancien titre.
9. Trésor des Chartes, registre coté D. 281, folio 13 v.
Les documents que lon possède parlent seulement dune maison seigneuriale et dune chapelle, sous le vocable de sainte Catherine, situées près du village, et dépendant de la commanderie de Saint-Jean. La chapelle fut brûlée par les gens de guerre en 1635, et les services religieux qui sy célébraient, transférés dans léglise paroissiale de Vennezey.
Enfin, les titres de lordre de Malte, conservés dans nos Archives, parlent de deux autres maisons dHospitaliers qui auraient existé dans des villages du département des Vosges, à Hardancourt et Villoncourt (10), et qui furent toutes deux ruinées pendant les guerres du XVIIe siècle. La première, qui avait succédé à un établissement de Templiers, était un membre de la commanderie de Saint-Jean-du-Vieil-Aître ; la seconde était tour à tour régie par les commandeurs de Robécourt et de Virecourt.
10. La carte de Cassini indique aussi la commanderie de Saint-Jean-de-Leucourt près du village de Pagny-la-Blanche-Côte.
Des commanderies dont il vient dêtre parlé quatre seulement étaient gouvernées par des chevaliers de justice, savoir celles de Saint-Jean, Robécourt, Virecourt et Xugney ; les autres nétaient que des membres de ces maisons, lesquelles dépendaient de la langue de France et du grand prieuré de Champagne.
Les ducs de Lorraine, à lexemple de plusieurs souverains, et notamment des rois de France se montrèrent jaloux dattirer dans leurs Etats les chevaliers de lordre de Saint-Jean-de-Jérusalem : ils leur accordèrent de nombreux privilèges (11), leur firent beaucoup de donations et plusieurs princes de leur Famille tinrent même à honneur de senrôler dans la milice de Malte (12).
11. Voyez : Rogéville, Dictionnaire des Ordonnances, tome II, page 25.
12. Voyez : Notice sur quelques établissements, etc., page 6-9.
Cet ordre ne senrichit pas seulement de la dépouille des Templiers ; ses biens, déjà considérables, saccrurent encore, vers la fin du siècle dernier, après que lédit de Versailles du 25 juillet 1777, lui eut uni lordre de Saint-Antoine, qui possédait, dans le diocèse de Toul, deux établissements que je ne crois pas devoir passer sous silence.
Sources : M. LEPAGE Henri. Mémoires de la société darchéologie de Lorraine. Seconde série cinquième volume. Nancy 1863. BNF
Des commanderies de lordre de Saint-Antoine
Cet ordre fut fondé on le sait en 1095 par deux hommes charitables qui dévouèrent leurs personnes et leurs biens au soulagement des infortunés atteints du mal que lon appelait feu sacré, feu infernal ou feu de Saint-Antoine.
Du Dauphiné, où elle avait pris naissance cette institution, qui ne fut, à lorigine, quune société pieuse se répandit bientôt dans dautres parties de la France et dans plusieurs pays de lEurope.
Urbain II lapprouva dans un concile tenu Clermont en Auvergne, sur la fin de lannée 1095, et, en 1218, Honoré III lérigea en ordre religieux hospitalier.
Le premier établissement des Antonins ou Antonistes dans nos contrées, est antérieur à cette dernière époque cest à Pont-à-Mousson et dans la partie de cette ville qui dépendait du diocèse de Metz, quils se fixèrent dabord, sur la fin du XIIe siècle (1).
En 1217, Henri, comte de Bar, donna aux religieux de lordre de Saint-Antoine de Viennois une maison quil avait au Pont sous Mousson, sur la rive droite de la Moselle. La commanderie que ces religieux y fondèrent, acquit rapidement de limportance et devint bientôt célèbre : « On la nommait commanderie de Liège, parce que tous les établissements des Amonistes dans ce pays et les autres parties des Pays-Bas, en dépendaient immédiatement ; elle était fille de la maison de Saint-Antoine de Viennois dont elle reconnut toujours lautorité mais on la considérait comme mère de plusieurs autres. »
Elle fut dotée de grands biens et de privilèges considérables. Elle se soutint avec éclat sous des commandeurs particuliers jusquau commencement du XVIe siècle, que les princes ecclésiastiques de la maison de Lorraine convoitèrent ses revenus. Les cardinaux de Lorraine et de Guise les possédèrent successivement en commende ; puis, le cardinal, « oncle du grand-duc Charles, les donna aussi en commende et malgré les réclamations de tout lordre un certain Jean Ulric, prêtre séculier. Celui-ci de son autorité privée, traita avec le même cardinal et lui fit labandon de la maison de la commanderie, avec léglise (2), tous les bâtiments claustraux enceintes et jardins attenants, pour y établir lUniversité que ce prélat venait de fonder (1572), et y loger les pères Jésuites, qui en demeurèrent en possession jusquà leur destruction. »
Les Antonistes furent alors transférés à lhôpital, situé sur la rive gauche de la Moselle, dans la partie de Pont-à-Mousson qui dépendait du diocèse de Toul. Leur maison perdit ainsi beaucoup de son importance, et, dans la suite, elle neut plus même à sa tête un commandeur, mais seulement un prieur conventuel.
La commanderie de Bar ne fut fondée quen 1385, par le duc Robert, qui par lettres datées du 26 juin de cette année, donna aux abbé, couvent et religieux de Saint-Antoine de Viennois, sa maison-Dieu ou hôpital située au vieux bourg de Bar, sa maison-Dieu de Briey, ainsi que tous les hôpitaux, maisons-Dieu et maladreries de ses Etats, dont les donation, collation et provision lui appartenaient, avec leurs revenus, prérogatives, etc., excepté la maison de Popey, la maison et la chapelle des Malades de Saint-Mihiel, etc. Il voulut que ladite maison de Bar, désormais commanderie générale ne fût sujette quau pape et à labbé de Saint-Antoine de Viennois ; quil y eût, dans cette maison, huit prêtres religieux dudit ordre, pour y célébrer loffice divin, garder lhospitalité et pratiquer la charité, etc.
La commanderie de Bar, dont les biens saugmentèrent par suite de donations pieuses fut plus heureuse que celle de Pont-à-Mousson : elle subsista paisiblement jusquà lépoque où, en vertu des lettres patentes du roi, du 30 mai 1777, portant union de lordre de Saint-Antoine à celui de Saint-Jean-de-Jérusalem, elle fut remise à ce dernier, qui en prit possession le 18 juillet de cette année.
1. Vers lan 1198, daprès les Bénédictins, dans leur Histoire de Metz.
— Voyez : aussi Communes de la Meurthe, tome II, page 303 et 374.
2. Aujourdhui Saint-Martin, que René Ier leur avait fait bâtir.
Sources : M. LEPAGE Henri. Mémoires de la société darchéologie de Lorraine. Seconde série cinquième volume. Nancy 1863. BNF
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