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Etudes sur les Ordres des Hospitaliers, Malte et Rhodes
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Le Grand-Prieuré de Toulouse

En étudiant l'histoire des temps passés, il est impossible de ne pas se sentir attiré par un sentiment de sympathique curiosité vers le moyen-âge, et surtout vers ce XIIe siècle en qui il semble se résumer tout entier. C'est qu'on y sent la vie palpiter de toutes parts, sous son écorce encore rude et presque barbare, poussant les peuples dans ces entreprises follement héroïques, auxquelles notre époque, toute positive qu'elle soit, ne peut refuser son admiration. La foi vive de cette époque ne se contentait plus de bâtir des églises ou de peupler des cloîtres; il lui fallait des modes de manifestation plus actifs et plus énergiques. Le besoin de locomotion, qui avait jadis entraîné les hordes barbares vers l'empire Romain, semblait se réveiller de nouveau et allait ramener les peuples de l'Occident vers leur antique berceau, avec une impulsion d'autant plus grande, qu'à cette force inconnue venait s'ajouter l'élan des sentiments religieux, arrivés alors à leur efflorescence la plus pure et la plus vivace. Aussi à peine un appel à la guerre sainte est-il parti du haut de la chaire de Saint-Pierre, que les peuples se soulèvent en masse, et se jettent sur les chemins inconnus pour courir à la délivrance de Jérusalem.

A la tête de cette foule immense et enthousiaste, marchait un moine qui n'avait pas trouvé dans les austérités de son hermitage un aliment suffisant à sa foi et dont la parole ardente, avait été comme l'étincelle qui avait allumé ce vaste incendie. Ce fut le même sentiment qui donna naissance alors à de nouveaux ordres religieux, dont le caractère tout-à-fait particulier est la reproduction vivante de toute une époque. Voyez-vous marcher à la tête de l'armée des croisés ces deux troupes à l'aspect étrange, ces chevaliers, aux regards austères, à la figure brûlée par le soleil d'Orient, qui cachent sous des manteaux monastiques l'éclat sombre de leurs armures. La charge sonne; les deux phalanges se précipitent au plus fort de la mêlée, faisant des trouées sanglantes dans les masses de l'armée infidèle; elles luttent ensemble de fol héroïsme, et arrosent les sables du désert du plus illustre sang avec une admirable prodigalité. Ces moines-soldats, ces hommes voués à la croisade perpétuelle, ce sont les chevaliers de l'Hôpital et du Temple, maintenant animés entre eux d'une noble émulation de gloire et d'héroïsme, et dans quelques temps de là rivaux et même ennemis.

I. — Hospitaliers.

L'Ordre de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, qui devait dans la suite jeter un si vif éclat et jouer un rôle si brillant dans l'histoire, fut tellement humble dans ses commencements qu'on est encore peu fixé sur la date certaine de la fondation et les caractères primitifs de l'institution naissante. Suivant Guillaume de Tyr et, après lui, Mabillon, l'Ordre de l'Hôpital aurait dû son origine à des

marchands d'Amalfi, qui obtinrent, vers le milieu du XI » siècle, dans l'enceinte de Jérusalem, une concession de terrain, où ils élevèrent un établissement destiné à soulager et à recueillir les pèlerins,/acheminant vers les Saints Lieux et exposés à toutes sortes d'épreuves et de mauvais traitements. Cette opinion, malgré les attaques dont elle fut l'objet dans la suite, trouve sa confirmation dans les archives du Grand-Prieuré de Toulouse (1).

Toute respectable qu'elle pût être, cette ancienneté ne satisfit pas, paraît-il, les Chevaliers de Saint-Jean. C'était alors l'époque des généalogies fabuleuses où Francus, fils de Priam, était proclamé le père de notre race. Je ne puis résister au plaisir de citer la page suivante, extraite d'un manuscrit de 1493, qui nous fournira, à défaut de grands éclaircissements historiques, un spécimen de la littérature naïve et de l'imagination ardente des historiens de l'époque.

« Selon la vérité des anciennes et sainctes histoires, l'hospital et saincte maison, Religion de la Chevalerie des Hospitaliers de Saint-Jean-Baptiste de Jérusalem, a pris ce commencement. Après que Alexandre-le-Grand, roy de Macédoine, eust conquesté les Indes et son trespaz en Babylone, l'année de sa mort, les vaillans et valeureux chevaliers, les Machabées, par leur vertu boutèrent hors de Jérusalem les Gentils, profanes générations, et le peuple des Juifs, intentif au service divin, fut reduyct en sa franchise; despuys contre iceulx de Jérusalem les voysins firent de grans guerres; finablement quant le très noble chevalier et champion de la cognoissance divine et victorieux triomphateur, Judas Machabée, qui ung Dieu adouroit, eust deslivré de la thirannye des Gentils la saincte citée de Jérusalem, et de rechef appareillast armées contre les ennemys voysins payens, ordonnées en la saincte cité les choses nécessaires, deslibéra avec grant courage assaillir les Gentilz. En icelle bataille, plusieurs du peuple d'Israël furent tuéz, blesséz et faiz impotenz. Avant fust retourné en Jérusalem, considérant qu'estoit chose saincte et dévote prier pour les trespasséz en la bataille, ordonna et institua que èz Saincts-Lieux se fist continuelle prière pour ceulx qui estoient occis en la bataille, et que aux malades et impotens, fust donné subvencion. Soubs ceste institution passé aulcun temps, très dévôt Jehan Hircanus, prophète et généreux chevalier du peuple d'Israël, institua ung hospital, que on appelait Xénodoche, du résidu des deniers du trésor qu'il avoit prins de la sépulture du roy David; desquels avoit deslivré la saincte cité de Jérusalem, du siège que tenoit devant icelle le roy Antiochus, nommé Epiphanès, qui la combattoit, persécuteur des Hébreux pour le nom de Dieu, qui destruit le Temple de Salomon, lequel apprès fust réédifié et restauré par les Machabées. Auquel hospital, comme imitateur de Judas Machabeus, ordonna fussent faictes continuelles prières et les impotens et foibles pèlerins et malades, dévotement fussent receus recréés et nourrys. Par succession du temps, l'édification et institution de cet hospital dura jusqu'à l'Incarnation de Nostre Rédempteur et Saulveur; se doibt dévotement considérer que souventes foys, ledict hospital par corporelle présence, visita et plusieurs sainetes œuvres et miracles en icelluy, par sa divine clémence démontra et que ou dictlieu les saints apostres et disciples de Jésus-Christ, ont faict oeuvres de miséricorde. Certainement aulcung ne doibt doubter, veu que Nostre-Seigneur, Saulveur, Jésus-Christ, durant sa passion manifesté plusieurs prophanes lieux de Jérusalem, par sainctes œuvres que aussy par sa lumyère. Puys apprès la saincte Passion de Nostre-Seigneur Jésus-Christ, à occasion de peschéz et iniquitéz du peuple des Juifs, la saincte cité de Jérusalem souffrit grant désolation au temps de Titus et Vespasianus, qui firent la vengeance du sang de Nostre Seigneur Jésus-Christ, et par diverses coustumes des Gentilz, a esté poluée et de diverses nacions subjuguée et destruicte. Et par ces dictes destructions, le Temple de Salomon, restauré par les Machabées et ledict hospital, fondé par Jean Hircanus, ensemble les autres Saints-Lieux ont esté désoléz, ruynéz, destruictz, en manière que la religieuse observance de chevalerie et hospitalité, pour aulcuns temps a esté laissée. Et, apprès, restituée premièrement derechef la cité et le Temple de Jérusalem par Adrian, empereur. Et à ceste cause, estoit le royaulme d'Israël, destitué et privé de toute bellesse et de tout ornement, ouquel régnèrent en ce temps diverses générations de payons. Les Chrestiens de tout le monde tant d'Occident comme d'Orient et ailleurs, allèrent en grand foulhe en Jérusalem, pour visiter le sainct sépulchre et dévotz lieux. En laquelle cité les chrestiens latins, soubmis à l'Esglise romaine, n'avoient aulcung reffuge ni habitation et pour ceste cause, souffroient grantz enormités, périlz, domaiges, nécessitéz, pouretez de vivres et subventions corporelles, batus, blecéz, calumpinéz et maltraictéz des infidèles et habitans de ceste saincte cité, en manyère que plusieurs mouroyent par les chemins et rues, comme les bestes, non sans vergongne de la foi catholique; car n'y avoit homme qui les consollast pour la cruaulté et inhumaineté des habitans. Meu donc « par ces causes et induict du Saint-Esprit, un homme de saincte et vertueuse vie nommé Gérart, très dévot pèlerin, craignant Dieu et désirant le salut de son âme, qui peu de temps avant estoit pèlerin en Jérusalem, voyant et considérant la soubmission, domaiges et périls des dévotes personnes, qui là venoient, deslibéra faire et édiffier ung nouveau hospital, refuge et habitation des malades, pèlerins impotens et pouvres à l'exemple du premier Xénodoche et rénovant par imitation la saincte observance, du très vaillant chevalier Judas Machabeus et Jehan Hircanus très nobles combattans... »
1. Voyez à ce sujet le mémoire : Les Origines de l'Ordre de l'Hôpital, par G. Saige, archiviste (1864).

Toutefois, contrairement à l'opinion du naïf auteur de la page précédente, la suite de cette étude va nous prouver que les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, possédaient déjà plusieurs domaines dans le Midi longtemps avant la fin du XIe siècle et que par conséquent la fondation de l'Ordre est antérieure, à Gérard et à la première Croisade. Ce ne fut que plus tard, que Raymond du Puy, qui gouverna l'Ordre après lui, le transforma complètement et prescrivit à ses compagnons de ceindre à l'avenir, pour la défense des Saints-Lieux, sur leurs robes de moines, cette épée que beaucoup regrettaient d'avoir déposée (1118). C'est de cette transformation, que date la prospérité et l'immense développement de l'Ordre de Saint-Jean et peu de temps après, le second but de leur institution avait fait oublier aux chevaliers qui se pressaient dans ses rangs, les œuvres d'hospitalité que se proposaient uniquement ses premiers fondateurs.

II. — Templiers.

De l'Ordre de Saint-Jean se détacha bientôt après sa naissance, un rameau qui devait dans la suite rivaliser avec lui, et dont le but plus exclusivement militaire devait même lui attirer tout d'abord une grande faveur. A la tête de quelques compagnons, réunis pour servir d'escorte aux pèlerins et les défendre contre les agressions des Musulmans, Hugues de Payens, obtint en 1120, du Pape Honoré II et du concile de Troyes, l'approbation de son entreprise et Saint-Bernard fut chargé de dresser les statuts de l'Ordre naissant. Les nouveaux Templiers revinrent en Palestine, revêtus de leurs longues robes blanches à croix rouge, qui allaient être pendant longtemps la terreur des infidèles. Dès lors, les chevaliers se pressèrent dans les rangs de la nouvelle milice, apportant à l'Ordre, avec leurs personnes et leurs épées, de riches et importantes donations. Sa puissance devint en peu de temps si considérable qu'au dire de Brompton, historien anglais presque contemporain, la société naissante, fille de l'Ordre de Saint-Jean, sembla devoir éclipser sa mère (1). C'était certes un spectacle profondément civilisateur et grandement glorieux pour la religion, que la vue de ces fiers barons, qui, après une existence souvent consacrée à la violence, venaient s'agenouiller pour recevoir l'humble habit de l'Ordre et se consacrer sous sa bannière à l'exil et à la guerre sainte jusqu'à la mort, et dont Saint-Bernard pouvait tracer cet éloquent portrait : « Cheveux tondus, poils hérissés, souillés de poussière, noirs de fer, noirs de hâle et de soleil... Ils aiment les chevaux ardents et rapides, mais non parés, bigarés, caparaçonnés... Ce qui charme dans cette foule, dans ce torrent qui coule à la Terre Sainte, c'est que vous n'y voyez que des scélérats et des impies. Le Christ d'un ennemi se fait un champion, du persécuteur Saul, il fait un Saint-Paul. »
1. Abbé Vertot, Livre I.

Les deux Ordres se trouvaient partout en présence, en Palestine comme sur le continent. Dans bien des endroits, à Saint-Gilles, à Toulouse, à Agen, leurs établissements s'élevaient à peu de distance les uns des autres. Ce voisinage ne tarda pas à présenter des inconvénients. Distinctes dans l'origine, ces deux institutions étaient devenues, grâce à leurs transformations successives, trop identiques de but pour ne pas se porter réciproquement ombrage, et pour ne pas faire succéder à la noble émulation des premiers jours une sourde jalousie et plus tard même la guerre ouverte; la suite de cette étude permettra de constater dans leurs établissements du Midi le contrecoup des dissentiments qui se produisaient dans les champs de la Judée entre les chevaliers de l'Hôpital de Saint-Jean et ceux de la milice de Salomon. Nous pourrons du reste conclure de l'inégalité de la répartition des commanderies des deux Ordres qu'ils ne jouissaient pas tous les deux d'une faveur égale dans les différents pays. C'est ainsi que les Hospitaliers étaient prépondérants dans le Toulousain et les Templiers dans l'Agenais. En général les premiers rencontraient dans le Midi une sympathie qui dans le Nord s'adressait spécialement aux seconds. Le comté de Toulouse fut peut-être le pays où l'Ordre de Saint-Jean trouva le plus bienveillant accueil et se développa le plus rapidement. Les seigneurs de cette contrée entraient en foule dans les rangs de la milice de l'Hôpital, tandis que les chevaliers du Nord venaient se ranger de préférence à l'ombre de l'étendard du Temple. Aussi, lors de la croisade contre les Albigeois, quoique les deux Ordres soient restés simples spectateurs d'une lutte, politique autant que religieuse, surtout dans sa dernière partie, pût-on constater chez les Hospitaliers pour les comtes de Toulouse et leur cause une secrète sympathie que les Templiers semblent avoir témoignée aux guerriers du Nord. Nous nous contenterons de citer comme preuves, la sépulture donnée par eux au roi d'Aragon après la bataille de Muret, et la réception du malheureux comte Raymond VI dans leur Ordre, malgré la sentence d'excommunication qui pesait sur sa tête, et, de l'autre côté, les Templiers allant enlever le corps de l'infortuné Baudouin de Toulouse pendu par ordre de son frère et lui donnant un tombeau dans leur cloître de la Villedieu.

I. — Prieurés de l'Ordre de Saint-Jean dépendant du Grand-Prieuré de Saint-Gilles, avant l'érection de celui de Toulouse.

Les domaines que les Hospitaliers reçurent dans le principe, furent organisés par eux en commanderies confiées pour un temps plus ou moins long à des religieux de l'Ordre, qui étaient chargés d'en surveiller l'administration et d'en faire passer une partie des revenus au trésor commun. Mais l'éloignement de la Palestine, la difficulté des communications, amenèrent bientôt une modification dans cette organisation primitive. Dès les premières années du XII* siècle, nous voyons qu'à Saint-Gilles, une des plus anciennes et des plus importantes maisons de l'Ordre sur le continent, résidait un lieutenant du prieur de Jérusalem; et vers 1113, son autorité, complètement organisée, s'étendait sur tous les domaines de l'Ordre compris entre le Rhône et l'Océan. Le résultat de la création du Prieuré de Saint-Gilles, fut de provoquer immédiatement un développement très considérable de la puissance des Hospitaliers dans nos contrées. Les comtes de Toulouse leur témoignèrent depuis ce moment une faveur qui ne se démentit point dans la suite, exemple qui fut suivi par la plupart de leurs principaux vassaux. Comme preuve de l'immense développement que prit l'Ordre dans la contrée dès son origine, nous publions parmi les pièces justificatives, les extraits d'un vieux cartulaire de ses possessions datant des premières années du XIIe siècle. On y remaque que la plupart des donations consistent en églises dont les noms n'existent plus de nos jours, avec des espaces de terrains plus ou moins considérables pour y construire des villes ou salvetats. Ce cartulaire conservé dans les archives de Saint-Clar, concerne principalement la contrée avoisinante et surtout le pays de Comminges (1).
1. Pièces justificatives, nº 1.

Le Grand-prieuré de Saint-Gilles, fut divisé dans le principe en autant de prieurés partiels qu'il comprenait de contrées différentes. C'est ainsi que nous trouvons des prieurs du Carcasses, du Toulousain, du Rouergue, de l'Agenais, du Bordelais, du Quercy, du Périgord, etc., mesure décentralisatrice nécessitée par la difficulté des communications à cette époque. Chacune de ces circonscriptions était partagée en un certain nombre de préceptoreries (2), dont le nombre allait toujours en croissant, avec celui des villes ou châteaux donnés à l'Ordre et dont l'administration était confiée, comme nous l'avons dit plus haut, à des Hospitaliers; ces précepteurs étaient, ou des chevaliers revenus de leurs expéditions d'Outremer, ou des chapelains, ou des frères servants. Ces deux dernières classes étaient même les plus nombreuses dans les premiers temps; car la guerre Sainte réclamait un très grand nombre de bras, et les chevaliers étaient, immédiatement après leur entrée dans la sainte milice, envoyés rejoindre leurs frères de Palestine.
2. Le mot Préceptorie était synonyme de Commanderie. II était même employé plus ordinairement dans le principe et ne disparut qu'au XVIe siècle.

Dans ces temps de foi vive et de vitalité profonde, on dirait que la faiblesse est chose inconnue; tout y revêt un caractère d'énergie et de virilité qui peut surprendre à juste titre des siècles plus civilisés, mais moins forts. Dans cette foule que le désir de visiter les saints lieux, jetait sans cesse d'Occident en Orient, on pouvait compter un grand nombre de femmes, qui s'armaient elles aussi du bourdon des pèlerins et n'étaient arrêtées dans leur entreprise, ni par les fatigues ni par les périls qui semblaient devoir la leur interdire. Aussi, pendant que se fondait l'hôpital de Saint-Jean, une noble dame romaine du nom d'Agnès, créait dans son voisinage un établissement analogue et soumis au premier, pour servir d'asile aux femmes chrétiennes qui voudraient y chercher un refuge. Cet exemple avait été suivi sur le continent, et la plupart des maisons de l'Ordre comptèrent dans leur sein un certain nombre de sœurs Hospitalières. Elles étaient employées au service des pauvres femmes, et, sous l'autorité du prieur ou du commandeur, formaient une catégorie complètement distincte dans le personnel de l'hôpital. Elles faisaient en général partie de la classe des religieux de l'Ordre, qu'on désignait sous le nom de donats et sœurs données; c'étaient des personnes de l'un ou l'autre sexe, qui, en même temps qu'elles faisaient donation d'une certaine partie de leurs biens, promettaient de ne pas entrer dans un autre Ordre que dans celui de l'hôpital, à qui on accordait d'attendre dans une vie moitié séculière, moitié religieuse, le moment où elles désireraient revêtir le manteau d'Hospitalier et qu'on admettait dans la participation de tous les biens spirituels et temporels de l'Ordre en deçà et au-delà de la mer. Exceptionnellement les donats pouvaient parvenir aux dignités de l'Ordre; nous voyons même en certaines circonstances figurer à la tête des circonscriptions des sœurs commanderesses, quand leur illustre origine leur donnait une véritable influence dans le pays et que l'Ordre voulait témoigner sa reconnaissance pour les bienfaits qu'il en avait reçus.

Le précepteur était obligé de payer au Trésor de l'Ordre, une rente annuelle dont le taux était fixé proportionnellement aux revenus de sa commanderie, et qu'on désignait sous le nom de responsion; il était de plus chargé d'instruire dans les devoirs de leur profession les religieux nouvellement admis dans l'Ordre; au-dessous de lui, dans chaque maison un peu importante, nous trouvons d'autres dignitaires, dont les principaux étaient le chapelain et le chambrier.

Les principales questions d'administration étaient réglées dans des chapitres, ou assemblées de précepteurs, tenus tous les ans à époque fixe dans la maison prieurale de Saint-Gilles. Mais les distances trop considérables et la difficulté des communications empêchaient la plupart du temps les précepteurs de se rendre à ces chapitres. Aussi voyons-nous les Grands-Prieurs, occupés sans cesse à se transporter dans les différentes circonscriptions soumises à leur autorité, en faire la visite et convoquer sur divers points des chapitres partiels composés des précepteurs de la contrée.

La seule modification que nous ayons à signaler dans cette organisation jusqu'au XIVe siècle, est la suppression du titre de Prieur dans les provinces du Grand-Prieuré de Saint-Gilles, titre qui fut remplacé par celui de Vice-Prieur donné au précepteur le plus ancien ou le plus considéré dans chaque circonscription.

Devenus plus puissants, les Frères de Saint-Jean, cherchaient à augmenter leurs privilèges dans le domaine spirituel, et à se soustraire plus complètement à la juridiction épiscopale. L'évêque de Toulouse, après avoir essayé vainement de s'opposer à ces empiétements, porta ses plaintes au Saint-Siège. Une bulle d'Alexandre IV, vint ordonner à Féraud de Baras, Grand-Prieur de Saint-Gilles, et aux Frères de la Langue de Provence, de mettre un terme par une transaction, aux discussions qu'ils avaient déjà depuis longtemps, avec Raymond évêque de Toulouse et son chapitre (1). En conséquence, les deux parties remirent la décision de l'affaire à l'arbitrage de Guillaume l'Ecrivain, précepteur de Montpellier et vice-prieur du Toulousain, et de Guillaume d'Ysarny, archiprêtre de Rieux. Dans leur sentence rendue le 4 mai 1254, ces arbitres désignèrent les églises qui devaient être soumises à la juridiction ecclésiastique de l'Ordre; c'étaient: Sainte-Marie de Puysiuran, Saint-Martin de Pébrens, Gaulège, Saint-Antoine du Pin, Saint-Saturnin de Renneville, Saint-Etienne de Caignac, Saint-Jean de Caprescorjade, Rival, Saint-Remy de Toulouse, Saint-Jean de Garidech, Saint-Bibian, Saint-Thomas, Saint-Boisse de Bersac, Saint-Jean de Lèguevin, Sainte-Foy de Rozelaigue, Saint-Jean de Fronton, Saint-Saturnin de Noye, Saint-Jean de Montaigut, Saint-Pierre de Bousquet, Sainte-Marie de Reyniès, Sainte-Raffinie, Saint-Saturnin de Montpelerin, Saint-Jean de Vaysse, Saint-Pierre de Clermont, Saint-Jean et Saint-Thomas d'Orgueil, Saint-Saturnin de Verlhac, Saint-Jacques de Castelsarrasin, Sainte-Marie de Lima, Saint-Médard, Saint-Jean de l'Isle; Mauza, Fajolles, Saint-André de Cortibals, Saint-Léonard du Burgaud, Saint-Michel de Bociac, Sainte-Marie de Onez, Sainte-Marie de Belleserre, Sainte-Anastasie, Saint-Pierre de Pelleporc, Saint-Martin de Poucharamet, Sainte-Marie de Campbernard, Saint-Pierre et Sainte-Barbe près de Castelnau-de-Picampeau, Sainte-Marie de Plagne, Saint-Jean de Fonsorbes, Saint-Jean de Condomol, Serres, Saint-Martin de Marignac, Saint-Pierre et Saint-Jean de Cunans, Saint-Jean de Bolbonc, Saint-Vandille-d'Aignes, Saint-Laurent de Gabre, Saint-Sulpice, Saint-Etienne de Caumont (près de Saint-Sulpice); Sainte-Marie d'Aderulède (idème). Les Hospitaliers, possédaient en outre, des portions de la dîme dans les paroisses de Marienville, Sainte-Marie de Cortelles, Sainte-Colombe de Vecinac, Sainte-Boisse (sous Avignonet); Sainte-Marie de Venastville, Saint-André de Berelles, Graville, Saint-Julien, Saint-Michel de Lanès, Campferrand, etc. Les arbitres décidèrent que l'évêque ni ses successeurs ne pourraient prétendre à aucun droit canonique sur les paroisses de la première catégorie, conformément aux privilèges de l'Ordre mais que de leur côté, les Hospitaliers devraient renoncer à certaines de leurs prétentions contraires aux règlements ecclésiastiques, tels que l'institution des curés. » (2)
1. Archives de Toulouse, L. XL.
2. Archives de Toulouse, L X.


Ne terminons pas cet aperçu rapide, sur les Prieurés de l'Ordre de Saint-Jean dans le Midi, sans dire un mot d'une charte concédée par Alphonse de Poitiers comte de Toulouse. C'était au moment où ce prince, accompagné de sa femme la comtesse Jeanne, préparait à Aimargues, près d'Aigues-Mortes, son départ pour la croisade, où ils devaient finir leurs jours; voulant attirer sur leur expédition les bénédictions du ciel, il adressa à son aimé Guillaume de Villaret, Drapier de la maison de Saint-Jean de Jérusalem, et lieutenant du grand-maître dans le prieuré de Saint-Gilles, une charte dans laquelle il confirme les donations octroyées à l'Ordre, ou les acquisitions faites par lui dans le Toulousain, l'Agenais, le Quercy, l'Albigeois, le Rouergue et dans les autres parties du comté de Toulouse, ne se réservant sur ces possessions que l'Incours (Peine pécuniaire, confiscation) des biens des hérétiques, le droit de cavalcade, et le ressort c'est-à-dire, le droit de pouvoir recevoir les appels des causes jugés par les tribunaux, suprêmes du Prieuré. Le comte avait eu des discussions avec les Hospitaliers au sujet des juridictions de Renneville, de Fronton, de Noye et de Saint-Sulpice de Lézat. La dernière partie de la charte contient l'abandon que fait le comte de toutes ses prétentions à ce sujet. S'associant à la pieuse libéralité de son noble époux la comtesse Jeanne approuva toutes ses dispositions et son sceau fut appendu à côté de celui du comte. (Juin 1270). »

2. — Baillages de l'Ordre du Temple, dépendant de la maîtrise de Saint-Gilles, avant la suppression des Templiers.

Comme nous venons de le voir pour les Hospitaliers, les Templiers établirent le centre de leur autorité dans le midi de la France, à Saint-Gilles où ils possédaient une maison et qui leur présentait des avantages sous le rapport des communications avec l'Orient. Du reste leur organisation provinciale semble avoir été calquée sur celle des Hospitaliers. Ils partagèrent leur maîtrise de Provence en un certain nombre de baillages, à la tête desquelles se trouvaient placés les maîtres du Toulousain, de l'Agenais, etc. La même modification que nous venons de signaler pour l'Ordre de l'hôpital, se produisit précisément à la même époque dans celui du Temple : vers 1250, en même temps que les prieurs partiels des provinces de l'hôpital, nous voyons disparaître les maîtres des baillages du Temple, et être remplacés par des lieutenants du maître de Saint-Gilles.
1. Pièces justificatives, nº XXVIII.

3. — Grand-Prieuré de Toulouse (1315-1790).

Ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, les deux Ordres du Temple et de l'Hôpital étaient trop semblables, trop également puissants et trop en présence sur tous les points pour ne pas se nuire réciproquement. Tant que la guerre de Palestine avait duré, tant qu'il y avait eu des pèlerins à protéger et à recueillir, des croisés à seconder dans leur entreprise, tant qu'on avait eu l'espoir maintenant déçu de conserver à la chrétienté le berceau de sa foi, la reconnaissance pour les services rendus par ces chevaliers, avait empêché de mettre en question leur utilité. On voyait les deux milices se partager les postes les plus dangereux et lutter ensemble à qui s'exposerait d'avantage, à qui répandrait le plus de sang pour le service de la foi; on ne s'était pas demandé si une seule n'aurait pas suffi à la tâche. Mais les guerres saintes prirent fin; l'Europe avait dépensé un enthousiasme et une énergie incroyables dans ces expéditions immenses qu'elle avait jetées successivement depuis près de deux siècles en Orient; elle avait déjà beaucoup perdu de sa foi et paraissait se résigner à la perte de ses illusions sur la conquête de Jérusalem. Dès lors on sentit que pour contenir les Musulmans dans l'Orient, dont on renonçait à leur disputer désormais la possession, un seul des deux Ordres était bien suffisant; il devait arriver infailliblement que l'un d'entre eux fût absorbé par l'autre.

On a accusé les chevaliers de Saint-Jean, d'avoir intrigué pour obtenir la perte de leurs rivaux dont ils auraient convoité les dépouilles. Mais il me semble que beaucoup d'autres causes indépendantes de toute participation de leur part, devaient amener ce résultat et qu'il est complètement inutile, pour l'expliquer, de faire peser sur cet Ordre une accusation contre laquelle vient protester le noble caractère du grand-maître qui était alors à sa tête (1).
1. Foulques de Villaret avait même combattu dans un mémoire envoyé au Pape le projet de réunion des deux Ordres, réunion qu'il savait devoir se faire en sa faveur (Abbé Vertot, livre IV.)

Après avoir vaillamment arrosé de leur sang le champ de bataille de la Mansourah, les Templiers avaient considéré leur mission comme terminée en Orient. Laissant à peine quelques garnisons au-delà des mers, ils s'étaient retirés sur le continent, où, derrière les murailles de leurs nombreuses citadelles ils jouissaient des immenses richesses accumulées dans leurs trésors. Cette molle oisiveté, succédant brusquement à leur vie de luttes héroïques, avait fait dégénérer l'Ordre de sa pureté primitive.


« Soldats délaissés, sentinelles perdues; s'écrie Michelet, faut-il s'étonner si, au soir de cette bataille de deux siècles, les bras leur tombèrent. La chute est grave après les grands efforts. L'âme, montée si haut dans l'héroïsme et la sainteté, tombe bien lourde en terre... Malade et aigrie, elle se plonge dans le mal avec une faim sauvage, comme pour se venger d'avoir cru (2). »
2. Histoire de France, livre V, chap. III.

Quoiqu'il en soit le peuple était naturellement conduit à comparer ces chevaliers arrogants, qui faisaient servir à leur ambition ou à leurs jouissances les donations pieuses des fidèles et dont l'existence restait enveloppée d'un sombre mystère, aux Hospitaliers, à qui ils avaient abandonné presque entièrement le poids de la guerre contre les infidèles et que leurs luttes incessantes protégeaient contre les défaillances des Templiers. D'ailleurs soumis à l'autorité absolue de leur grand-maître et ne reconnaissant d'autre pouvoir temporel que le sien, ces derniers formaient en France, où avait été transporté le siège de l'Ordre, une puissance assez considérable pour inspirer de l'ombrage à la royauté.

Nous ne nous arrêterons pas sur cette sombre tragédie qui ne rentre pas dans le cadre de cette étude toute spéciale et dont les lugubres épisodes sont dans toutes les mémoires. Un grand nombre de Templiers échappèrent à l'immense holocauste de tout leur Ordre; ils furent, quand le calme se fut rétabli, repartis dans différents monastères. Nous trouvons en effet dans les archives, une bulle que le pape Jean XXII, adressa d'Avignon le 16e jour des calendes de janvier de la 3e année de son pontificat (15 décembre 1318) aux évêques de France, pour les avertir qu'un certain nombre de Frères de l'Ordre supprimé du Temple, « avaient repris les vêtements laïques et que quelques-uns, se plongeant dans les voluptés du monde, avaient pris des femmes avec lesquelles ils vivaient publiquement, et pour leur ordonner d'employer contre eux, s'ils ne se soumettaient pas au premier avertissement, la censure ecclésiastique, de supprimer la pension qu'on leur fournissait pour leur entretien et enfin de les faire entrer, soit comme frères, soit comme pénitents dans différents monastères (1). »
1. Archives de Toulouse. Bulles.

L'âpreté avec laquelle le roi, Philippe-le-Bel s'empara tout d'abord de l'argent contenu dans les trésors du Temple et le triste état de ses finances ont fait douter à beaucoup que, dans cette affaire, l'amour de la justice, la haine du crime et le zèle de la religion eussent été les seuls mobiles qui l'eussent déchaîné d'une manière si impitoyable contre un Ordre, que la veille encore il couvrait de sa plus éclatante protection. En 1310, nous le voyons dépêcher d'Avignon son chambellan, Enguerrand de Marigny, qui se rendit à Carcassonne, pour se faire remettre tout l'argent des trésors des maisons du Temple dans le midi et revint vers son maître avec cette riche proie (2). Mais ce n'étaient pas de simples revenus, c'étaient les domaines des Templiers qui faisaient l'objet de ses convoitises et il les avait fait mettre tout d'abord sous le séquestre royal. Aussi ce fut avec un désappointement, qu'il ne chercha pas à dissimuler, qu'il vit le concile de Vienne adjuger cette riche dépouille à l'Ordre de Saint-Jean. Ce ne fut qu'après bien des tergiversations et des pourparlers que les Hospitaliers purent en obtenir la remise par les employés royaux; encore furent-ils obligés pour cela de verser au trésor de la couronne de fortes sommes, sous le prétexte de l'indemniser des frais du long procès des Templiers. Ce ne fut guère, qu'en 1330, que la question fut définitivement conclue, et que l'ordre de Saint-Jean put jouir sans conteste des biens immenses qui venaient de lui être adjugés.
2. Dom Vaissette, livre XXIX.

Cet accroissement de possessions dût forcément amener une division dans les circonscriptions de l'Ordre de Saint-Jean. Le Grand prieuré de Saint-Gilles, trop considérable désormais pour être confié à une seule administration fut divisé en deux parties; la partie occidentale en fut détachée pour former le Grand prieuré de Toulouse (1315). Cette nouvelle circonscription comprenait les domaines de l'Ordre situés dans le haut Languedoc, la Guyenne, la Gascogne, la Bigorre, la Biscaye, le comté de Foix; tandis que la Provence, le bas Languedoc, l'Albigeois, le Rouergue, le Quercy continuaient à faire partie du Grand-Prieuré de Saint-Gilles (1).
1. La bulle d'érection du Grand-Prieuré de Toulouse n'existe pas dans ses archives.

Le premier Grand-Prieur de Toulouse fut Pierre de l'Ongle, chancelier de l'Ordre, un des membres les plus distingués et les plus dévoués de son conseil. Pendant toute la durée de sa charge, il eut à lutter de tous côtés pour faire rentrer dans le domaine de l'Ordre les biens des Templiers. Les administrateurs séculiers, à qui ils avaient été confiés pendant la durée du séquestre, n'oubliaient rien pour convertir en propriétés définitives les biens dont ils n'étaient que les fermiers temporaires. Forcé par les plaintes du Grand-Prieur de Toulouse et du Grand-Maître, Elyon de Villeneuve, de mettre un terme à des abus, qu'il tolérait sans peine en faveur de ses courtisans, détenteurs des principaux fiefs en question, Charles IV accorda le 31 mai 1324 des lettres patentes, ordonnant la remise de toutes ces possessions, notamment de la maison de Toulouse avec ses dépendances, régie par Raymond de Soubiran et celle de Vaours qui l'était par Bertrand de Roquenégade, chevalier (2).
2. Archives de Toulouse, L. I

Outre ces difficultés, les Hospitaliers en rencontrèrent bien d'autres, avant de jouir paisiblement de l'héritage qu'on venait de leur attribuer. Le procès des Templiers et son dénouement avaient excité bien des convoitises, tous ces seigneurs laïques ou même ecclésiastiques, qui avaient assisté au partage de la riche dépouille, étaient mis en goût. Ils trouvaient que la ruine d'un Ordre puissant était chose profitable, et n'auraient pas mieux demandé que d'étendre une opération qui avait paru si fructueuse. C'est ce qui peut expliquer le déchaînement de haines et de jalousies qu'il eut lieu à cette époque contre l'Ordre de Saint-Jean et qui se traduisit par des agressions de toute nature. Le pape Jean XXII, à la requête du grand-maître, s'empressa de porter secours aux Hospitaliers par une bulle datée du 27 septembre 1316 : « Ayant appris, dit-il, que quelques archevêques, évêques, clercs, personnes ecclésiastiques, tant régulières que séculières, ainsi que des marquis, des ducs, des comtes, des barons, des nobles, des chevaliers et des universités de cités, de villes, de villages et autres laïques, ont fait occuper les possessions, terres et droits des Hospitaliers, tuer les vassaux, les hommes et les personnes de cet hôpital ou les emmener prisonniers », le Souverain Pontife délégua l'évêque d'Agen, l'abbé de Moyssac, et le Prévôt du chapitre de Nîmes, pour protéger en son nom les chevaliers de la Langue de Provence et leur faire restituer ce qu'on leur avait enlevé; il enjoint, en terminant, à ses commissaires d'employer contre les récalcitrants l'excommunication et s'il était nécessaire, le recours au bras séculier (1).
1. Archives de Toulouse. Bulles.

Nous venons de voir que la succession des Templiers avait été chèrement achetée par l'Ordre de Saint-Jean, si chèrement même que son trésor s'en trouvait pour le moment complètement épuisé. Et pourtant il approchait alors d'une crise, qui allait nécessiter l'exercice, de toutes ses forces vives. L'invasion musulmane, arrêtée et réprimée quelque temps par l'effort des croisades, allait recommencer son mouvement formidable. L'Europe, déchirée en tous sens par des guerres incessantes, était hors d'état de prêter une oreille bien attentive au bruit de ce flot lointain, qui menaçait d'engloutir à la fois la chrétienté et la civilisation. C'est alors que commença le rôle héroïque et vraiment admirable des chevaliers de Saint-Jean. Jusqu'ici leur dévouement s'est trouvé perdu au milieu de tant d'autres, qu'il a pu passer inaperçu. Mais maintenant, seuls sur leur rocher, ces enfants perdus de l'Europe ne se laissent pas effrayer par la grandeur de la tâche. Constamment en lutte avec les forces écrasantes d'une puissante nation, ils ne cèdent qu'à la dernière extrémité. Chassés de leur poste avancé, ils ne se découragent pas et vont reformer en arrière leurs rangs éclaircis, mais sans cesse reconstitués, et soutiennent, pendant toute la durée du moyen-âge, une lutte héroïque, qui sauve le monde civilisé de la barbarie hurlant à ses portes.

A la vue de la pénurie du Trésor, le grand-maître de Villeneuve s'adressa à ses chevaliers pour augmenter les responsions (redevances) sur tous les biens de l'Ordre et au Pape, qui lui accorda l'autorisation d'aliéner une portion de ces domaines pour la somme de 193,000 florins d'or. Voyant la difficulté d'exécuter immédiatement ces mesures et la détresse de l'Ordre, Pierre de l'Ongle, Grand-Prieur de Toulouse, Emmery de Thurey, Grand-Prieur de Saint-Gilles, et Odon de Montaigut, Grand-Prieur d'Auvergne, offrirent généreusement en 1318 les revenus entiers de leurs Prieurés pendant 2 ans, ce qui permit au Grand-Maître de pourvoir aux dépenses les plus urgentes (1).
1. Naberat, Histoire des Grands-Maîtres de l'Ordre, livre III, chapitre III.

Ce fut peu de temps après que ce même Grand-Maître vint visiter le Prieuré de Toulouse et tint à son retour un Chapitre général à Montpellier (1330). Il y modifia divers statuts de l'Ordre au sujet de la discipline intérieure des couvents, et réforma un grand nombre d'abus qui s'étaient introduits chez les chevaliers de Saint-Jean. Un registre en langue romane conservé aux archives du Prieuré contient ces diverses ordonnances; il commence par ces mots: In nomine Domini. Amen. — Aïsso les establimens fayt et ordenat al Capitol de Montpellier per l'honorable Religios Helio de Vilanova e per lo cosselh delos prodes homes de la mayso. En Van de la Incarnacion de Nostre Senhor XIII cent et XXX, à XXIV jorns del mès de otobre (1).
1. Archives du Prieuré. Registres.

Le Grand-Maître profita aussi de la tenue du Chapitre général pour y organiser les circonscriptions et les commanderies du nouveau Grand-Prieuré. La commanderie de Puysubran fut déclarée Chambre magistrale; c'est-à-dire qu'elle appartenait au Grand-Maître, qui la faisait administrer par un procureur. Le Grand-Prieur n'eut dans son apanage primitif que la commanderie de Toulouse à laquelle on avait adjoint plusieurs dépendances du Temple de cette ville, et qui forma ainsi la première Chambre Prieurale. Dans la suite, on modifia cet ordre de choses en augmentant le nombre des Chambres Prieurales ainsi que nous le verrons dans le courant de cette étude.

Pour récompenser les services rendus par un homme qu'il aimait et estimait, Elyon de Villeneuve avait nommé Pierre de l'Ongle au Grand-Prieuré de Saint-Gilles, vacant par la mort d'Emmery de Thurey, de sorte que cette immense étendue de possessions se trouva de nouveau réunie dans les mains de Chancelier. Après la mort de Pierre de l'Ongle, arrivée en 1334, le Pape écrivit au Grand-Maître pour l'engager à ne plus réunir les deux Prieurés sous la même main, de peur des inconvénients qui avaient motivé leur séparation (2).
2. Naberat, Histoire des Grandi-Maîtres.

Ce ne fut que sous le successeur de Pierre de l'Ongle que fut complètement terminée l'affaire des biens des Templiers, car nous voyons le Grand-Prieur, Aycard de Miramont, déléguer le précepteur de la maison de Toulouse pour aller prendre possession de quelques fiefs du Temple détenus encore par les officiers royaux (1339) (3). Signalons, parmi les chevaliers qui gouvernèrent le Grand-Prieuré de Toulouse, Raymond de Lescure, qui joua un rôle important dans l'histoire de son Ordre. Doué d'une grande prudence et d'une bravoure à toute épreuve, il fut employé par le Grand-Maître dans plusieurs missions diplomatiques et se signala par de brillants faits d'armes. Ses services lui valurent les dignités de Grand-Commandeur, Grand-Prieur de Toulouse, lieutenant du Grand-Maître et administrateur du trésor de l'Ordre. Il signala son administration dans le Prieuré par les soins qu'il prit de faire élever ou réparer et agrandir les fortifications d'un grand nombre des villes soumises à son autorité. Se conformant à l'esprit de son Ordre, ce fut lui qui demanda et obtint, comme nous le verrons ailleurs, l'érection de l'ancien Temple de Toulouse en un hôpital destiné aux pauvres pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. Quelques années après, Raymond de Lescure terminait glorieusement sa carrière dans une expédition qu'il commandait contre la garnison turque de Macri (1411) (4).
3. Archives de Toulouse, L. VIII et L XL.
4. Bosio, Dell'istoria della Sacra Belipo.


Son successeur, Bertrand d'Arpajon, qui, malgré les prescriptions précédentes, réunit les deux Prieurés de Toulouse et de Saint-Gilles, s'occupa activement de faire respecter les anciens privilèges de l'Ordre. A sa requête, le nouveau Parlement de Toulouse rendit un arrêt qui déclara les Hospitaliers exempts de tous droits de péage, de leude et autres impositions, tant dans les villes que dans les ports de rivières ou de mer (13 mai 1429) (1).
1. Archives de Toulouse, L. XL.

Le 29 mai 1453, un événement formidable vint jeter le trouble et la stupeur parmi les nations européennes. Les Turcs, s'élançant des côtes de l'Asie, venaient de planter le croissant sur les murs de Constantinople. Désormais l'ennemi de la chrétienté avait pris pied sur son territoire et de sa nouvelle position il était une perpétuelle menace pour sa sécurité. Il semblait, du reste, qu'elle fût une proie bien facile à saisir dans l'état de déchirement où nous venons de la voir plongée. Parmi tous ses états ébranlés sur leurs bases, pas un ne pouvait se lever pour la défense de tous et offrir une barrière sérieuse à l'Islamisme vainqueur. Dans cette détresse universelle, tous les regards se tournèrent vers cette petite île, poste perdu au milieu des mers, où une poignée de chevaliers de toutes les nations, oubliant leurs querelles particulières pour ne plus songer qu'à la défense de la chrétienté, attendait bravement le flot terrible de l'invasion musulmane. Pour lui procurer les moyens de repousser l'ennemi, les Papes ne cessent à cette époque de prodiguer à l'Ordre de Saint-Jean les témoignages de leur faveur. C'est ainsi qu'Eugène IV, pour faciliter la rentrée des responsions dans le trésor de l'Ordre, charge les évêques de surveiller par eux-mêmes cette opération (1440), que Sixte IV accorda aux Français toutes les indulgences qu'on gagne à Rome l'année sainte, à la condition de donner à l'Ordre le quart des sommes qu'ils auraient dépensé pour faire ce pèlerinage (1). Charles VII, qui venait de reconquérir la plus grande partie de son royaume, voulut lui aussi, malgré l'épuisement de ses finances, contribuer à une œuvre dont il comprenait l'intérêt véritablement européen. Par ses lettres patentes du 1er avril 1445, il exempta les biens de l'Ordre de la taxe consentie à Bourges en 1440 par l'Assemblée générale du clergé sur toutes les possessions ecclésiastiques. — « Il fait cette concession, est-il dit dans l'acte, en considération les grandes pertes et dommages que nos bien aimés les Religieux de l'Ordre de Saint-Jehan, fondé en nostre Royaulme ont eu et soustenu à l'occasion des guerres et divisions d'icelluy nostre Royaulme, à l'occasion desquelles leurs rentes, revenus et possessions sont moult diminués et amoyndris et aussy leurs esglises, hospitaulx, maysons et métairies, tournées en grandes ruynes et désolation...  » Mais la véritable raison était le danger qui menaçait Rhodes dans ce temps-là plutôt que les désastres de la guerre qui avaient frappé les autres biens du clergé de France tout aussi bien que ceux de Saint-Jean (2). Au nombre des privilèges les plus précieux des religieux de Saint-Jean était le droit de n'être justiciables que des tribunaux de leur Ordre; faveur qui leur avait été concédée dans l'origine et confirmée plusieurs fois dans la suite, qu'ils conservaient avec un soin jaloux, mais qu'ils étaient souvent obligés de défendre contre les empiétements de la magistrature du royaume. Nous trouvons dans les archives de cette époque plusieurs témoignages de ces luttes. Ainsi en 1430, Durand du Faur, chevalier, viguier de Narbonne, Pierre d'Yssault, juge de cette même ville, Jean Spondelherii, bailli d'Ouveilhan, et Raymond Valentin, notaire et officier du roi, firent saisir frère Jean de Raymond, précepteur de Peyrusse (commanderie située dans leur juridiction et dépendant à cette époque du Prieuré de Toulouse), qui était accuse de certains crimes, et le firent enfermer dans la prison du roi; requis par l'Ordre d'avoir à le remettre à son tribunal, ils s'y refusèrent, s'empressèrent d'instruire son procès, et, après sa condamnation, de le faire suspendre à un gibet. Pierre de Rota, doyen de Saint-Agricole à Avignon, chargé par le pape de veiller aux intérêts de l'Ordre dans toute l'étendue de la Langue de Provence, enjoignit à ces officiers, sous peine d'excommunication et en requérant même au besoin le concours du bras séculier, d'enlever de leurs propres mains le corps du frère de Raymond du gibet, où il était resté attaché, de le faire ensevelir décemment et avec honneur et de faire satisfaction à l'Ordre pour cette offense. Le viguier et ses assesseurs, ayant refusé d'obtempérer à cet ordre furent frappés d'interdit par P. de Rota; ils en appelèrent au pape Martin V, qui évoqua l'affaire à son tribunal. Malheureusement les archives ne contiennent pas la sentence; mais il est à supposer que la Cour de Rome dut saisir avec empressement cette occasion de proclamer les immunités ecclésiastiques, si contestées à cette époque, et sanctionner les foudres de son délégué contre les juges récalcitrants (3). Quelques années plus tard, le Grand-Prieur Pons de Malevielle vit se renouveler ce débat sous une forme analogue et parvint à faire respecter ses privilèges. Il s'agissait d'un religieux, R. Gétule, qui, s'étant rendu coupable de quelques excès et violences à Fontenille en Périgord avait été traduit devant le Parlement de Bordeaux. Le Grand-Prieur réclama énergiquement contre la compétence de ce tribunal et obtint en effet la remise de l'accusé dans les prisons de l'Ordre; après quoi, cet accusé s'étant évadé et refusant de comparaître devant le chapitre provincial pour y être jugé, Pons de Malevielle ordonna à tous les frères de l'Ordre de s'emparer de la personne du fugitif, partout où ils le rencontreraient (4).
1. Archives de Toulouse, Bulles.
2. Archives de Toulouse, L. X.
3. Archives de Toulouse, Bulles.
4. Archives de Toulouse, Registres.


L'administration du fisc faisait aussi des tentatives souvent renouvelées pour prélever des impositions sur les possessions de l'Ordre, malgré les privilèges concédés; et ce ne fut que grâce à la vigilance et à l'énergie des divers Grands-Prieurs, que les droits de l'Hôpital ne furent pas entamés. L'un d'entre eux, François Flotte, obtint du roi François 1er la confirmation des privilèges de l'Ordre par lettres patentes du 5 janvier 1518 (1).
1. Archives de Toulouse, L X.

Du reste toutes les ressources de l'Ordre de Saint-Jean allaient lui devenir indispensables. Après s'être relevés de leur premier échec contre Rhodes, les Turcs aspiraient à prendre leur revanche et à laver leur honte dans le sang de ces chevaliers. A la nouvelle de l'armement formidable qui se préparait, le Grand-Maître, Philippe de Villiers de l'Isle-Adam, appela tous ses chevaliers au poste d'honneur et de péril et on y vit accourir aussitôt tous ceux qui étaient en état de porter les armes. Nous n'avons pas à faire ici l'historique de ce siège mémorable, après lequel le Grand-Maître suivi des quelques survivants de cette lutte héroïque n'abandonna à l'ennemi qu'un monceau de décombres arrosés de sang. Nous dirons seulement que parmi les chevaliers dont les noms sont inscrits à cette belle page de l'histoire brille au premier rang le Grand-Prieur de Toulouse, Gabriel de Murat de Lestang-Pomeyrol, grand commandeur, lieutenant du Grand-Maître; on le distinguait toujours, soit dans le conseil, soit dans le combat; il pérît d'une chute dans une tranchée, le 4 septembre 1522 (1).
1. Bosio, Dell'istoria.

Son successeur fut frère Désiré de Tholon de Saint-Jal, bailli de Manosque, qui s'était grandement distingué comme chef de l'artillerie pendant le siège. Il gouverna le Grand-Prieuré de Toulouse jusqu'à sa nomination à la Grande-Maîtrise, qui eut lieu le 1er novembre 1535. Il était à Toulouse quand il reçut la nouvelle de son élection; il se mit en route pour se rendre à Malte, tomba malade à Montpellier et y mourut le 26 septembre 1536 (2).
2. Abbé Vertot, livre X

Si le courage des chevaliers avait été admirable pendant cette terrible période, il n'en est pas moins vrai que la discipline s'était relâchée de sa sévérité primitive. L'esprit d'indépendance s'était propagé parmi ces religieux que nous venons de voir si prodigues de leur sang et de leur dévouement, de nombreux abus s'étaient glissés, principalement parmi les Hospitaliers de la Langue de Provence, si nous en pouvons juger d'après une bulle adressée le 23 décembre 1526 à l'official de Saint-Etienne par le pape Clément VII, à la requête du Grand-Maître de l'Isle-Adam. Ce dernier s'était plaint de ce que, contrairement aux statuts qui défendaient aux frères et aux précepteurs de voyager sans la permission de leur supérieur, plusieurs Hospitaliers des prieurés de Saint-Gilles et de Toulouse, portant l'habit de l'ordre et jouissant de ses privilèges, « ne craignaient pas d'enfreindre cette prescription et de mener une vie fort éloignée de la religion, refusant d'obéir aux juges délégués par le Saint-Siège... » Le Pape, considérant que là où la discipline est méprisée, la religion est exposée au naufrage, ordonna d'employer l'excommunication contre les délinquants, chevaliers, chapelains, ou servants d'armes, quelque fut leur rang, fussent-ils même pourvus de bénéfices ecclésiastiques (3).
3. Archives de Toulouse, Bulles.

Diverses modifications dans les commanderies du Prieuré, opérées à cette époque, de nombreux membres détachés des circonscriptions existantes pour être affermés séparément et augmenter ainsi les revenus de l'ordre, témoignent du zèle des grands-prieurs et de la pénurie du trésor, alors épuisé par les dépenses du siège de Rhodes et un peu plus, tard par celles de la prise de possession de Malte et de la mise en état de défense de cette île, jusque-là complètement ouverte à toutes les attaques des ennemis. La nécessité de ces fortifications ne tarda pas à se faire sentir, car, en 1565, les Turcs vinrent mettre le siège devant le nouvel établissement des Hospitaliers. Grâce à la valeur du Grand-Maître de la Valette et de ses chevaliers, les infidèles furent forcés, après un siège long et meurtrier, de regagner leurs vaisseaux.

Ce fut du reste le dernier choc que les chevaliers eurent à supporter de l'invasion musulmane. Réduit à une décrépitude hâtive par ses mœurs, son gouvernement et sa religion, l'Empire turc, vit de jour en jour sa vitalité et ses forces s'évanouir et ne tarda pas à cesser d'être un épouvantail pour le reste de l'Europe. Dès lors le rôle de l'Ordre de Saint-Jean va se réduire beaucoup; son action se bornera désormais à capturer quelques navires turcs et à faire la chasse aux corsaires de la Méditerranée. Avec le sentiment de la haute mission qu'il avait à remplir, il n'est pas longtemps avant de perdre son ancien esprit. Pleins comme leurs devanciers d'une bravoure qui ne cherchait qu'une occasion pour se démontrer, les chevaliers ne trouvaient pas dans les luttes désormais insignifiantes de l'Ordre de quoi satisfaire leur activité. Après avoir passé quelques années de leur jeunesse à faire des courses sur les vaisseaux de la Religion, ils retournaient sur le continent pour jouir des revenus de leurs commanderies et n'avaient plus de rapports avec l'Ordre que pour obtenir de nouvelles faveurs. C'est alors que l'on vit les souverains de la chrétienté s'immiscer dans le gouvernement de Malte et faire distribuer les grandes dignités de l'Ordre à leurs courtisans ou aux membres de leurs familles.

Du reste, l'utilité de cette institution ayant ainsi diminué, on ne tarda pas à vouloir lui retirer une partie de ses privilèges concédés précédemment. Mais la noblesse était tout entière trop intéressée à la conservation d'un Ordre qui n'ouvrait ses portes que pour elle, pour ne pas prendre énergiquement sa défense. Elle préférait pour ses fils le manteau à la croix rouge de chevalier de Malte, fort peu gênant du reste à cette époque, à la robe de bure de moine. Les considérations, les honneurs et les riches commanderies attendaient le pauvre cadet de famille dont le plus clair du patrimoine consistait en parchemins suffisants pour lui donner entrée dans la milice de Saint-Jean. Aussi dans le cahier présenté par les députés de la noblesse du Languedoc aux Etats généraux de 1614, pouvons-nous lire une supplique très-pressante à ce sujet avec l'exposé naïf de leurs motifs : « Votre Majesté est aussi très-humblement suppliée de vouloir bien maintenir et conserver ceux de l'Ordre et Religion de Saint-Jean de Jérusalem en la jouissance de leurs biens et privilèges et faire lever et cesser tous les troubles et empêchements qui leur sont donnés au préjudice de leurs dits privilèges, successivement confirmés par les Rois vos prédécesseurs et même par Votre Majesté, tant pour les grands et signalés services qu'ils rendent à la République chrétienne, comme aussi par la décharge d'une infinité de maisons nobles de votre royaume, qui se trouvent grandement décorées et relevées par les grandes et belles charges, à quoi la piété et la vaillance font arriver journellement leurs enfants et avec un grand avantage sur toutes les autres nations (1). » Cette requête fut couronnée de succès puisque nous trouvons les privilèges de l'Ordre confirmés par Louis XIII, en 1621 et plus tard par Louis XIV en 1651 (2).
1. Dom Vaissette, P. CLXIV, Livre V.
2. Archives de Toulouse, L. X.


A cette époque le Grand-prieuré de Toulouse était passé par une crise très agitée. La terrible période des guerres religieuses, si désastreuse pour toute la France, l'avait èl6 surtout pour nos provinces du Midi, où les protestants avaient leurs principaux centres. Naturellement les chevaliers de Saint-Jean étaient les champions les plus dévoués de la grande cause catholique et les places fortes de l'Ordre jouèrent un rôle important dans cette période tourmentée. A la tête du Grand-prieuré, nous trouvons un homme qui s'est conquis une place dans l'histoire. C'est Antoine-Scipion de Joyeuse, dont la famille était à la tête du parti catholique et qui avait lui-même inspiré la terreur aux huguenots du Languedoc. Après la mort de son frère aîné Anne duc de Joyeuse, à Coutras, pour empêcher l'extinction d'une race illustre et chère à l'Eglise, le pape Sixte V le délia de ses engagements dans l'ordre de Malte, et le rendit à la vie séculière et au commandement des armées catholiques du Midi.

La Ligue rencontrait de vives sympathies parmi les Hospitaliers. Nous en donnerons comme preuve le passage suivant que nous traduisons dans la relation latine de la mort du président Duranti (1589), publiée par un témoin oculaire et citée par Dom Vaissette. « Ayant résolu de le faire périr misérablement dans un bref délai et ne pouvant accomplir assez commodément leur dessein chez les Dominicains, ils résolurent de le conduire dans la grande tour (immanem turrim) de Saint-Jean, appartenant aux chevaliers de Malte, pour le soumettre à une garde plus sévère et plus sûre..., ils disaient pour prétexte qu'il vivait trop librement chez les Jacobins, qui, touchés par le malheur de ce grand homme, le visitaient plus fréquemment qu'il ne convient à des geôliers. (1) »
1. Dom Vaissette, Pr. CXLI, tome V.

On comprend sans peine avec quel acharnement les Huguenots tâchaient de nuire aux chevaliers de Saint-Jean et dévastaient leurs possessions, quand les circonstances le leur permettaient. Aussi la désolation était-elle générale dans les domaines de l'Ordre, surtout quand dans le voisinage s'élevait quelque place protestante. Les villages étaient brûlés les moissons saccagées, les habitants massacrés. C'est ce lugubre tableau que vient dérouler devant nos yeux messire André de Puylobrier, chevalier de Saint-Jean, Commandeur de Condat et receveur de l'Ordre au Grand-Prieuré de Toulouse, dans les réclamations qu'il adresse à Jean de la Valette-Cornusson, sénéchal de Toulouse, le 14 mars 1588. — L'Assemblée générale du clergé de France avait voté dans sa séance du 3 juin 1586 un subside de 1.300.000 livres tournois, impôt dans lequel les Rhodiens figuraient pour 37.857 livres. Le Receveur demanda un dégrèvement pour la commanderie de Condat, dévastée par les garnisons de Turenne, Bergerac, Sainte-Foy-la-Grande et Castilhon; pour la commanderie d'Argenteins, ravagée par les protestants de Nérac et de Casteljaloux; pour celle de Caignac, ruinée par les hérétiques de Pamiers, Mazères et Saverdun; pour celles de Golfech, de Renneville, de Caubins et Morlas, de Gouts, de Gabre et de Capoulet, qui avaient été aussi mises à sac par les garnisons des environs. Cette réclamation, dont la vérité fut affirmée par un grand nombre de témoins, fut accueillie favorablement et un jugement rendu le 16 mars 1588 par MM. les Trésoriers généraux de France déchargeait les commandeurs de ces circonscriptions de leurs parts dans cet impôt. (1)
1. Pièces justificatives nº II.

Citons parmi les Grands-prieurs de Toulouse, Alexandre de Vendôme, fils d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrée, prince doué, comme son frère César, d'un esprit inquiet, de talents assez remarquables et d'une ambition qui fit son malheur; sa naissance et ses mérites l'avaient fait revêtir malgré sa jeunesse des premières dignités de l'Ordre. Il avait été nommé général des galères de la Religion et envoyé, en 1615, comme ambassadeur d'obédience auprès du pape Paul V. En 1619, il échangea le Grand-Prieuré de Toulouse contre celui de France, dignité qui lui permettait le séjour de la cour de son frère, qu'il croyait devoir être favorable à ses desseins ambitieux et qui devait emmener sa perte quelques années plus tard.

C'étaient du reste de riches et puissants seigneurs que ces Grand-Prieurs de Toulouse, appartenant tous aux principales familles du royaume, ils exerçaient leur juridiction sur une grande province et jouissaient d'énormes revenus. Petit à petit, le nombre des fiefs, qui, sous le nom de chambres prieurales, composaient leur domaine particulier, s'était augmenté et avait atteint des proportions si considérables que le Conseil de l'Ordre s'en préoccupa vers le milieu du XVIIIe siècle et en détacha quelques commanderies.

Le Grand-Prieuré de Toulouse était possédé par le baron de Sade au moment de la révolution française dont le flot niveleur emporta cette institution avec un si grand nombre d'autres. Cet Ordre, français par son origine, tirant de la France son lustre et ses revenus, fut mortellement frappé par ce coup; il sentait ses destinées liées à celles de la monarchie et de la noblesse française. Retirés sur leurs rochers de Malte, les chevaliers attendaient avec un sombre découragement leur fin qu'ils sentaient approcher. Elle ne se fit pas longtemps attendre. Quand en 1799, Bonaparte, en allant en Egypte, voulut s'emparer de Malte et porter le dernier coup à ce respectable vestige d'un passé héroïque, il y eut un simulacre de résistance contre cette inqualifiable tentative. Après en être sorties pour la forme, toutes ces épées rentrèrent dans le fourreau; tous ces fronts se courbèrent sous le coup qui les frappait avec une résignation qu'ils n'auraient point connue dans les siècles précédents.
Auteur: M. Du Bourg, Antoine — Histoire du Grand Prieuré de Toulouse et des diverses possessions de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem dans le sud-ouest de la France. Toulouse 1883 — Sources: Bnf

Liste des Prieurs du Toulousain (1113-1315).

1106-1121. Gerard, diacre.
1134. Bernard Hugo.
1145-1146. Forton.
1147-1148. Bernard de Puysiuran.
1154-1161. Bernard d'Azillan.
1162-1163. Pons de Lordat.
1163-1165. Guiraud de Corneillan.
1166-1168. Raymond Petit.
1168-1169. Foulques de Nesse.
1169-1170. Guiraud de Saint-André.
1170-1171. Raymond de Clavel.
1172-1173. Raymond de Verdun.
1174-1175. Pierre de Saint-André.
1177-1180. Pierre d'Alsen.
1181-1183. P. de Saint-André. (2e fois).
1184-1185. Raymond Garsie.
1185-1183 Pone de Lordat (2e foi).
1186-1188. R. Garsie. (2e fois).
1188-1191. Guillaume Raymond.
1193-1194. Sicred de Léran.
1194-1195. Aymeric. (2e fois).
1195-1198. Pierre d'Hélie.
1198-1199. Guillaume Raymond. (2e fois).
1199-1201. Sanche Garsie d'Aure.
1201-1202. Aymeric. (3e fois).
1202-1203. Guillaume Raymond. (2e fois).
1204-1205, Sanche Garsie d'Aure. (2e fois).
1206-1207. Bertrand de Saint-André. 1207-1209. Pierre Barravi.
1210-1211. Sanche Garsie d'Aure. (3e fois).
1212-1215. Bernard de Capoulège.
1215-1219. Guillaume l'Ecrivain.
1219-1225. Bertrand de Cobirac.
1227-1236. Sanche de l'Epée.
1233-1240. Pierre de Cayrane.
1240-1244. Guillaume de Barége.
1245-1246. Pierre de Cayrane (2e fois).
1217-1248. Jourdain de Saint-André.
1250 (Etablissement des Vices-Prieurs du Toulousain).
1250-1255 Guillaume L'Ecrivain, précepteur de Montpellier.
1256-1260. Pierre de Montbrun.
1260-1266. Bernard d'Aure, précepteur de Rayneville.
1267-1272. Pierre du Port, précepteur de Saint-Sulpice.
1272-1278. Albert de Roset, précepteur de Poucharamet.
1278-1280. Pierre de Corneillan, précepteur de Bolbone.
1280-1232. Guillaume Arnaldi, précepteur de Toulouse.
1232-1309. Pierre de Florence, précepteur de Toulouse.
1309-1310. Bernard de Maurin précepteur de Toulouse.
1310-1311. Aymerie de Tarin, précepteur de Toulouse.
1311-1313. Pierre de Caylus.
1313-1315. Guillaume de Rotbald.


Liste des Prieurs de l'Agenais et du Bordelais.

1155. Etienne Ayquilin.
1202. Wilhelm de Montmaureu.
1215-1220. Wilhelm Amanieu de Bouglon.
1220-1221. Hélie de Marinhac.
1223. Hélio de la Rivière.
1225-1228. Pierre de Loupe.
1235-1236. Sans-Arcis.
1243-1231. Jourdain de Saint-André.
1257. Arnaud de Botenac.
1265-1284. Ermengaud des Aguilhiers, vice-prieur.
1288-1289. Raymond Prévost.
1301-1306. Bertrand de Savinhac, vice-prieur.


Maîtres du Temple dans le baillage de Toulouse.

1134. Gérard de Nocura.
1148. Deusde Hugo.
1150. Guillaume de Verdun.
1162. Dieudonné de Girbert.
1164. Durand.
1165-1167. Pierre d'Astugue.
1167-1179. Pierre de Toulouse.
1180-1183, Pierre Bérenger.
1184-1191. Raymond Oalric.
1192-1198. Guillaume de la Mothe.
1201-1204. Fourtanier d'Astiage.
1204-1205. Bermond.
1205-1208. Bertrand de la Salle.
1211-1212. Pierre de Castelnau.
1212-1213. Bermond. (2e fois).
12J3-1214. R. Guizoard ou Chézoard.
1214-1215. Guillaume de la Roque.
1215-1218. Guillaume Catel.
1218-1219. Bertrand de la Roque.
1221-1224. Arnaud de Toulouse.
1225-1228. Raymond Focald.
1228-1229. Pierre de Dieu.
1229-1230. Hugues Carbonnel.
1230-1232. Rigald des Roches.
1233-1236. Martin de Nesse.
1237-1244. Guillaume de Bruguières.
1244-1245. Hugues de Marmande.
1245-1250. Guillaume de Bruguières (2e fois).
En 1250 suppression de la maîtrise de Toulouse.


Maîtres du Temple dans le baillage d'Agen.

11... Fort Sans de Vidalhac.
1155-1158. Augier de Bédeisan.
1159-1165. Hélie de Focald.
1165-1170. Pierre de Stugues.
1170-1175. Jourdain de Corbarrieu.
1176-1180. Gaston de Castelmaurou.
1230-1236. Forlamer de Seados.
1235-1243. Arnaud-Raymond de la Mothe.
1245-1262. Guillaume-Bern, d'Aspet.
1233-1275. Arnaud d'Auron.
1276-1285. Pierre de Sombrun.
1286-1290. Cenebrun de Pins.
1290-1295. Bertrand de la Selve.

Lieutenant du maitre.
1298-1300. G. de Bernard.
1305-1306. Ratier de Lemosin.


Maîtres du Temple dans la baillage du Périgord.

1228. Hélie de la Barthe.
1240. Raymond Ayz.
1275-1306. Géraud de Lavergne.


Maîtres du Temple dans la baillage du Bordelais.

1170. Wilhelm Panet.
1264. Guy de Basemville.
1269. Jean Le Français.


Liste des Grands-Prieurs de Toulouse.

1315-1332. Pierre de l'Ongle, chancelier de l'Ordre, grand-prieur de Saint-Gilles.
1332-1339. Aycart de Miramont.
1340-1346. Marquiot de Gozon (1e fois).
1346-1347. Esconte de Ryaterio, grand-prieur de Navarre.
1347-1360. Marquiot de Gozon (2e fois).
1360-1368. Raymond de Savin.
1371-1380. Gaucher de la Bastide-Rolland.
1380-1390. Pierre d'Hauterive.
1391-1395. Jean de Lautur.
1395-1411. Raymond de Lescure, grand commandeur.
1412-1427. Pierre du Tilleuil, grand commandeur.
1427-1431. Galhot de Montet.
1432-1435. Hugues Ricard.
1436-1448. Bertrand d'Arpajon, grand prieur de Saint-Gilles.
1448-1453. Bérenger de Gozon.
1453-1475. Pierre de Montlezun.
1475-1476. Pierre de Raffin.
1476-1484. Pierre de Ferrand.
1484-1489. Pons de Malavitulœ, grand commandeur.
1490-1512. Jean de Ranguis, grand commandeur.
1512-1520. Franeois Flotte.
1520-1521. Jean de Johanis.
1521-1522. Gabriel de Murat de Lesting de Pomeyrols, grand-commandeur.
1523-1536. Didier de Tholon de Saint-Jal, Grand-Maître en 1536.
1536-1541. Pierre de Grâce.
1544-1552. Foulques de Charitad.
1552-1555. Claude de Gruel de la Bourelh.
1555-1569. Pierre de Beaulac-Tresbons.
1570-1575. Baltbazar des Comtes de Vintimille.
1575-1581. Mathurin de Lescur-Romegas, Prieur d'Irlande, général des Galères.
1581-1589. Antoine-Scipion de Joyeuse.
1591-1595. Jean-Pierre de Montauban Viguedenar.
1595-1597. Jean de Soubiran Arifat.
1597-1610. Raymond de Gozon Melac.
1613-1619. Alexandre de Vendôme, frère naturel de Louis XIII.
1620-1622. Jean de Mars Livière.
1622-1630. Joachim de Montaigut-Fromigières, Gouverneur de Metz et du pays Messin.
1630-1645. Georges de Castellane d'Aluys.
1646-1655. Henri de Merles-Beauchamp.
1656-1662. Denys de Polastron-la-Hillière.
1664-1668. Horace de Blacas d'Aups.
1668-1672. Antoine de Roubin-Granson.
1673-1688. François Paul de Béon-Masses-Cazaux.
1689-1701. Frédéric de Berre-Collongue.
1702-1708. Gaspard de Pontèves-Bargène.
1719-1731. Octave de Galléan
1732-1734. René du Pré.
1735-1743. Charles d'Ayguières-Frignand.
1744-1746. Antoine de Robin Barbentane.
1747-1748. Charles de Roquefort Marquein, général des Galères.
1749-1756. Henri-Louis de Chalvet-Rochemontès.
1757-1767. François-Antoine d'Albertas, dauphin de Saint-Mayme.
1768-1772. Louis-Hippolyte de Varagne-Belesta-Gardouch.
1773-1786. René de Léaumont.
1783-1792. Richard Jérôme, baron de Sade.


Liste des Receveurs Généraux de l'Ordre dans le Grand-Prieure de Toulouse (1).

Trésoriers
1315-1330. Bernard de Gironde.
1330-1350. Jean des Affaires.
1351-1360. Pons de Raffaud.
1360-1375. Arnaud-Bern. Ebrard.
1377-1380. Bernard de Lupia.
1380-1388. Pierre de Salinier.
1400-1410. Arnaud de Vise.
1419-1420. Durand de Maljean.
1421-1438. Etienne de Raffin.
1440-1450. Arnaud de Piton.
1451-1452. Pierre du Puy.
1453-1464. Antoine de la Font.

Receveurs Généraux
1477-1490. Oddet de las Graulas.
1497-1502. Bertrand d'Esparvès de Lussan.
1511-1514. Bernard de Goulard.
1524-1530. Géraud de Massas.
1537-1545. Philippe du Broc.
1547-1548. P. de Beaulac Tresbons.
1553-1582. Francois de Doncet Massaguet.
1563-1566. Hugues de Loubens-Verdalle.
1569-1570. Etienne d'Arzac.
1570-1579. Jean de Maignant-Montégut.
1586-1588. A de Martin Puylobrier.
1600-1605. René de Chabaud-Tourette.
1614-1615. Pierre de Blancard Naites.
1618-1620. Georges de Castellane.
1626-1627. Denis de Polastron la Hillière.
1628-1638. Philippe-Emmanuel de Chabaud Tourette.
1640-1646. Melchior de Barras-Clamens.
1648-1650. Jacques de Pichon.
1653-1656. J. Paul de Béon-Masses-Cazaux.
1661-1663. J. Paul de Cardailhac d'Ouzon.
1664-1665. François des comtes de Vintimille.
1671-1673. L. d'Estuard de Besaure.
1678-1694. J. F. de Robin Barbentane
1696-1712. Claude de Seignoret de Fabrezan.
1730-1733. Octave de Galléan.
1740-1750. Joseph de Chalvet Rochemontés.
1750-1775. J. Sébastien de Varagne Gardouch Bélesta.
1780-1789. J. Gabriel de Lordat.
1. Ces dignitaires jouaient un rôle important dans l'administration du Prieuré, jusques vers le milieu du XVe siècle, on les désignait sous le nom de Trésoriers.
Auteur: M. Du Bourg, Antoine — Histoire du Grand Prieuré de Toulouse et des diverses possessions de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem dans le sud-ouest de la France. Toulouse 1883 — Sources: Bnf

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