Commanderies du Gers
Livres Terriers et Dixmaires de Commanderies
Ils sommeillent incognito, depuis quelques vingt ou trente années, aux Archives municipales de la ville de Lectoure. Grâce à l'intelligente initiative de M. le docteur de Sardac, maire actuel de cette localité, ils furent légués aux dites Archives à titre gracieux ou onéreux, nous ne savons pas exactement, par Albert Descamps, ancien député de l'arrondissement de Lectoure. Celui-ci les avait recueillis dans la succession de feu Albert Soubdès, né à Condom en 1822, décédé en 1901, et qui en son temps se distingua comme artiste, historien, philologue. (1)Ce premier volume (70 x 45) in-folio de 602 pages de textes manuscrits, est relié en fort carton, recouvert de basane, avec main de même qualité, faisant office de fermoir, et se rabattant sur les deux bras du livre.
Le titre ci-dessus : Livres Terriers, qui nous est personnel, est faux apparemment, il porte en suscription sur les pages liminaires des feuillets de garde, ce qui suit, nous respectons l'orthographe :
« Apparemment et Bornage de la Commanderie de la Cavallerie divisée en vingt membres et dispersée dans le Ressort de deux Parlements, dans quatre évêchés, et cinq Sénéchaux, sur un cercle de 60 lieues.
« Lequel arpentement et Bornage contenant douze Verbaux et autant de plans géométriques collés sur toile qu'il y a de pièces de terre cultes ou incultes, étangs, marais ou moura, vignes, bois, prairies, châteaux, fermes, moulins, Eglises, cimetières dans la dépendance de ladite Commanderie, a été commencé en 1776, sous l'autorité de cinq sénéchaux, retenu par huit notaires et consommé en vertu d'un Arrêt du Grand Conseil du 10 septembre 1779, sous l'administration de Ben de Montazet, commandeur de la Cavallerie et par le ministère de M. Calviac Nozières, féodiste et arpenteur géomètre aux Eaux et Forêts en la Maîtrise de Castres. — En septembre 1782. — Ce registre est destiné pour les Vénérables langues. »
Voilà bien de sources de première main et sans qu'elles existent ailleurs en double exemplaire ; l'auteur a soin de nous avertir que ce registre devait prendre le chemin de la Provence ; nous verrons à la suite de quelles tribulations il est demeuré en notre possession. L'œuvre est d'importance capitale à en juger seulement par l'énoncé du titre qui tient exactement ce qu'il promet et satisfait pleinement notre curiosité. Les amis de l'histoire locale tant civile que religieuse, se réjouiront de cette trouvaille qui intéresse souverainement une douzaine de Commanderies de notre Gascogne, sans compter les Eglises, cimetières, châteaux, villages, fermes, etc., situés sur les territoires respectifs de ces biens appartenant à l'Ordre de Malte.
Le corps de bornage proprement dit est précédé d'une longue introduction comprenant :
1° La Table des douze procès-verbaux et autres pièces litigieuses.
2° Des notes explicatives sur tout ce qui est rapporté dans le corps du Verbal et destinées aux successeurs du dit Commandeur à toutes fins utiles. 3° Un mémoire justificatif (douze pages environ) de son administration où il se défend contre ses ennemis et nous apprend en même temps l'origine de ce Verbal.
1° Table des douze procès-verbaux
Procès-Verbal de bornage :a) Du membre de Nomdieu. (3)
b) Du membre de Goulard. (4)
c) Du membre de Sabathe. (5)
d) Du membre de Gourragne, anciennement dit de Tournaison. (6)
e) Du membre d'Abrin. (7)
f) Du membre de la Cavallerie. (8)
g) Du membre de Valadouse. (9)
h) Du membre d'Arpentian. (10)
i) Du membre de Saint-Jean-de-Sommeville. (11)
j) Du membre de Lagrange-Martin. (12)
k) Du membre de Barcagnères. (13)
l) Du membre de l'Hôpital Sainte-Christie. (14)
A la suite de cette Table : Procès-Verbal de bornage de la lande ou Barthe de l'Hôpital Sainte-Christie. Il y a 100 pages environ de textes manuscrits pour tout ce qui regarde la Commanderie de Sainte-Christie, avec plan des Eglises et cimetières de Barcagnères, l'Espitalet, et l'Hôpital.
Mémoire instructif sur les oppositions faites au Bornage de la barthe ou lande de l'Hôpital Sainte-Christie, et les deux instances pendantes au Grand-Conseil et au Parlement de Pau.
Indépendamment des plans partiels des deux membres du Nomdieu et de Goulard, on a relié à la fin de ce registre un plan en grand des terres et Seigneuries du Nomdieu et du Goulard, limité et borné par autorité de l'Arrêt du Grand Conseil, du 10 septembre 1779, par Me Calviac Nozières, féodiste et arpenteur, géomètre et commissaire, parce qu'on a jugé de convenance de joindre au Verbal de Bornage de la Commanderie, le plan des deux terres en justice qui en dépendent, avec cette circonstance de plus que les joutes et limites de ces deux justices ayant été reconnues et bornées lors du procès-verbal de 1780 par deux pierres marquées d'une Croix de Malte, et de la lettre initiale « J » Il a été placé depuis à côté de chaque borne frappée de cette double empreinte, des poteaux de six pieds de haut peints en rouge, armés de fer par le pied et investis par la tête d'une plaque de tôle, sur laquelle sont peintes en couleur pour imiter les émaux, (15) les armes du Commandeur avec la Croix de l'Ordre en chef. Au moyen de quoi, ajoute l'auteur de ces instructions, on se flatte de n'avoir rien omis pour répondre aux vieux de la loi et à la dignité qui doit caractériser l'opération d'un souverain qui fait borner des domaines.
Plan géométrique de la métairie bâtie depuis le présent procès-verbal dans le domaine de Labrone, dépendant du membre d'Abrin.
Procès terminé avec le procureur général de la Chambre des Comptes et Parlement de Pau pour saisie féodale jetée sur le membre de la Cavallerie, et par suite sur la terre du Nomdieu, pour l'hommage que ce magistrat prétendait être dû au Roi en raison de son avènement au Trône.
2° Notes explicatives
Toutes les terres et Bâtiments qui concourent à former les différents membres de la Commanderie de la Cavalerie dont on vient de donner la table ont été levés par autant de plans géométriques et bornés par des pierres de trois pieds de haut, sur un pied du carrissage, proprement taillée à quatre arêtes, sur une face desquelles a été gravée une Croix de Malte de huit pouces, en signe de propriété, et sur la face opposée, la lettre initiale « J » Pour exprimer Justice (sur les bornes seulement qui se trouvent placées sur les joutes et limites des terres en Justice), il a été dressé procès-verbal du tout par notaires, tous les seigneurs riverains, fonciers et intéressés dûment assignés et appelés. Les dits notaires sont restés détenteurs des originaux dont ils ont fourni l'expédition.Indépendamment de la Table qui donne le Folio des douze Procès-Verbaux et des plans rassembles dans ce Registre, il a été placé à la tête de chaque Verbal, un tableau non seulement indicatif du folio, des différents objets qui concourent à la formation de chaque membre, mais encore le nom de chaque objet, le membre dont il dépend, sa véritable contenance, les réparations et améliorations qui ont été faites, le nombre de bornes qui en détermine le confront, et le folio du présent registre où chaque objet se trouve rapporté avec le numéro de la carte qui en donne le plan. Les arpentages sont dressés dans la mesure (16) de chaque lieu, et le total des contenances est réduit à la mesure de la Cavallerie, comme chef-lieu de toutes les autres Commanderies qui en dépendent.
Chaque carte est dressée à l'échelle de la mesure du lieu, et figure toutes pièces de terre, bois, landes, chemins, Eglises, villages, etc., avec un luxe de détails inouïs et les plus minutieux ; il n'est pas jusqu'aux arbres fruitiers qui n'y soient représentés avec les lignes du dessin qui varient chacun suivant son espèce.
Des cartes polychromées sont parfois de vrais monuments, celle par exemple du dîmaire de la Commanderie de Saint-Jean de Sommeville, qui s'étend sur près de quatre mètres carrés ; et toutes en bon état de conservation, et sur papier fort, collé sur toile.
Ce registre nous fait connaître encore les titres de propriété, les oppositions s'il en a été fait dans le cours de l'opération, dires des parties intéressées, désistements, arrêts relatifs à la propriété de l'ordre, procès pendants ou terminés, titres de concession, cartulaires, récupérations, amodiations, transactions, reconnaissances et déclarations des droits utiles, honorifiques ou patronages ; les réparations, reconstructions et décorations de précepte ou destinées à perpétuer la notoriété publique et à prévenir les entreprises des ordinaires qui ont été l'occasion de tant de procès entre l'Ordre de Malte (17) et le Clergé de France, et généralement de tout ce qu'on a pu se procurer de titres et documents propres à porter quelque lumière sur la partie relative à la propriété des objets bornés.
3° Mémoire Justificatif
En douze pages in-folio d'observations préliminaires, le commandeur de Montazet nous donne ici l'historique de ce Verbal de bornage. Le Verbal de Bornage de la même Commanderie fait sous le commandeur de Rouquette Buisson, par le notaire Robert, en 1742, ne contient que 44 pages ; il fut rédigé en 30 jours.Peut-être, continue-t-il, en un langage de légitime fierté mais légèrement grandiloquent, « se sentira-t-on pressé d'enchérir sur les censures dont la Vénérable Langue (18) m'a frappé pendant plusieurs années sur des vociférations anoblies du caractère sacré des délibérations capitulaires lorsqu'on apprendra que ce même Verbal consommé par un mois a resté dans mes mains depuis 1776 jusqu'en décembre 1782, c'est-à-dire six ans, pour recevoir sa pleine exécution. » Ce fut en 1768, comme il nous l'apprend lui-même, que le chevalier de Montazet fut pourvu de sa commanderie. En 1775, des amis le préviennent que les procureurs de la Vénérable Langue l'ont porté sur la liste des administrateurs négligents.
Il se présente alors au Vénérable chapitre suivant pour demander des commissaires. Les commandeurs de Valence et de Barsac sont désignés pour remplir cette mission et dans l'intervalle, l'inculpé rédige un Verbal.
Nouvelle déception, en récompense de ses pénibles travaux et de sa fidèle administration, un des commissaires délégués, le commandeur de Valence est effrayé du temps qu'il lui faudra pour lire et juger son volumineux manuscrit. Aussi, lui demande-t-il, ce semble avec raison, de le refondre et d'élaguer le superflu.
De Montazet est un homme entier, peu flexible, qui ne sait pas s'adapter aux mœurs de son entourage et de son temps, les arcanes de la diplomatie lui sont fermés, en bref, c'est l'homme de principes. Il refuse de se plier aux exigences du commissaire en s'appuyant sur le texte de loi qui ordonne de semblables rédactions.
Entre temps, le commandeur de Valence meurt. Plusieurs chapitres se tiennent sans qu'il soit question du décès du commissaire et de nommer un nouveau délégué pour le remplacer. De Montazet réclame un nouveau juge à ses supérieurs qui désignent le commandeur de Catellan. Mais voilà que celui-ci meurt à son tour sans qu'il ait pu exercer sa charge.
D'un autre côté, ses ennemis ne désarment pas, ils sont nombreux, puissants, la commanderie dont jouit le chevalier est riche, très convoitée. On se rue à l'envi à la curée pour la ravir à son légitime détenteur. Il ne tarde donc pas d'être dénoncé derechef pour incurie et incapacité. C'est alors qu'en désespoir de cause, la Vénérable Langue choisit dans son propre sein deux commissaires, qui, ô cruelle fatalité, se récusent et se dérobent à leur tour.
Malgré l'âpreté de la lutte, l'affaire devenait sans issue. Et c'est à cet endroit que de Montazet clôt son long mémoire justificatif en affirmant une dernière fois son exactitude à envoyer les « Responsions », (20) qu'il a exécuté tous les « améliorissernents » réglementaires, soutenu et terminé de nombreux procès contre tous seigneurs, ecclésiastiques, roturiers, et tous autres riverains de son domaine pour défendre les droits et les biens de l'Ordre. Après l'exposé de sa défense et son éloquent plaidoyer, il conclut en ces termes pleins de modestie, témoignage irrécusable de sa pureté de conscience : « Qu'on juge, dit-il, si j'ai été réfractaire, insubordonné ou enfant soumis et fidèle. »
Après de telles péripéties, on s'explique aisément que ces Livres Terriers, œuvre inestimable du chevalier commandeur de Montazet, soient demeurés parmi nous, ne soient pas arrivés aux archives des Vénérables Langues de Provence auxquelles ils étaient destinés, et, en juges impartiaux et indubitablement désintéressés, nous reconnaissons l'injustice des accusations portées contre lui, en même temps que son zèle et son dévouement à toute épreuve à l'Ordre de Malte dont il était un des plus dignes et des plus illustres représentants.
Au reste, ses Supérieurs finirent bien par apprendre les bons services de ce loyal serviteur et lui rendre justice, puisque, comme il le note lui-même au Folio XV des observations liminaires du Procès-Verbal du Dixmaire, le 22 novembre 1788, le grand-Maître de l'Ordre le nomma à Toulouse pour y rester chargé, comme son nonce et son ministre, nostrum mincium specialem, des affaires de l'Ordre, dans la haute et basse Guyenne et partie du Languedoc, et le suppléer dans toutes celles auxquelles son éloignement ne lui permettait pas de vaquer, per presentiam facere nequeamus ubique adesse non possumus, et investi en même temps des pouvoirs de la Vénérable Chambre pour l'administration des finances du Vénérable et commun Trésor dans l'étendue du même département.
Notes
1. C. f. R. de G., mars 1901, page 137.2. Ce fut sous le Gouvernement du Grand Maître de l'Ordre Hugues de Revel, en 1260, que l'administration des biens fut modifiée. Jusqu'alors tout le temporel de la Religion était géré par des Religieux comptables qui, après avoir pris ce qui était nécessaire pour leur subsistance, devaient faire passer le reste au chef de l'Ordre. Mais comme la dépense de ces administrateurs consommait souvent la récolte, on arrête un rôle des sommes que chaque maison enverrait à la Terre-Sainte et au Trésor, et parce que dans les obédiences et les commissions qui furent depuis données aux Chevaliers chargés de cette administration, on se servit de cette expression : Nous nous recommandons ces biens, etc. « Commendamus », cette administration particulière de chaque maison prit le nom de « Commendataria », d'où est venu le nom de Commanderie, et le titre de Commandeur.
— Ce titre fut substitué à celui de précepteur. On réduisit ensuite ces Commanderies sous différente Prieurés. Le Prieur était chargé d'en faire la visite et d'envoyer à la Terre-Sainte en troupes et en argent les contributions ordinaires de chaque Commanderie de son Prieuré, appelées « Responsions », qui pouvaient être augmentées selon les besoins de l'Ordre et en conséquence des Ordonnances et des Décrets du Chapitre général.
— C. f. Histoire de Malte, par l'Abbé de Vertot, 1742, tome I, page 503.
3. En Bruilhois (Lot-et-Garonne).
4. En Bruilhois (Lot-et-Garonne).
5. En Albret (Lot-et-Garonne.)
6. Juridiction de Condom (Gers).
7. Dans le Condomois (Gers).
8. Paroisse de Larroque-Saint-Sernin, juridiction de la ville du Saint-Puy (Gers).
9. Juridiction de Jegun (Gers).
10. Juridiction de Jegun (Gers).
11. Juridiction de Lectoure. Paroisse du Saint-Esprit, entre Lectoure et Lagarde.
12. Juridiction de Castelnau-d'Anglès (Gers).
13. Juridiction de Castillon-Debats (Gers).
14. Aujourd'hui commune de Cravencères, canton de Nogaro (Gers).
15. Ce sont divers ornements du blason : Les métaux, couleurs et fourrures.
16. Avant la Révolution, les mesures différaient souvent de localité à localité.
17. Ordre de Malte, Ordre religieux et militaire fondé au XIe siècle à Jérusalem sous le nom d'Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, appelés depuis Chevaliers de Rhodes, et plus tard Chevaliers de Malte.
18. En 1118 sous le magistère du Grand-Maître Raymond Dupuy, l'Ordre s'étant extrêmement multiplié on divisa les pays et Nations de chaque Chevalier en sept langues, savoir : Provence, Auvergne, France, Italie, Aragon, Allemagne et Angleterre.
— C. f. Histoire de l'Ordre de Malte, par l'abbé de Vertot.
19. Assemblée provinciale.
20. Tous les ans, chaque commandant devait envoyer au commun trésor de l'Ordre une certaine somme proportionnée au revenu de la Commanderie. Cette redevance était appelée Responsion.
— C. f. Histoire de l'Ordre de Malte par l'abbé de Vertot, livre XV, Tome V, 5e Edition 1742.
21. Après les cinq ans qu'il a possédé sa première commanderie, tout commandeur doit obtenir de sa Langue des Commissaires qui font un procès-verbal du bon ordre dans lequel ils en ont trouvé les bâtiments et les biens : ce qui s'appelle dans cet Ordre, avoir fait ses Améliorissements.
— C. f. Histoire de l'Ordre de Malte, par l'abbé de Vertot, Livre XV,Tome V, 5e Edition 1742.
Sources : J. Camoreyt. Revue de Gascogne : bulletin mensuel du Comité d'histoire et d'archéologie de la province ecclésiastique d'Auch, tome XXI. Auch 1926 - BNF