Le Grand-Prieuré de Bohême-Autriche, (1183-1886)
Vladislaus II, grand-duc, puis roi de Bohême, résolut, à son retour de la Croisade (1147), pendant laquelle il avait vu, en Terre-Sainte, les Chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, à l'oeuvre, d'introduire l'Ordre dans ses Etats (1).1. — Voyez Appendice, XXVIII et XXIX.
Il lui donna l'emplacement nécessaire à la construction de l'église, de l'hospital et du couvent, sur les domaines de la Couronne de Bohême, à la Kleinseite de Prague, ainsi qu'une possession située le long de la Moldau et limitée par quatre routes, allant de l'île, appelée actuellement Kampa inférieure, au pont, avec droit de pêche dans la partie correspondante de la rivière et autres droits accessoires. Gervasius, chancelier du Royaume, et Martin, son neveu, firent élever à grands frais, en 1156, l'église de l'Ordre dédiée à Notre-Dame et l'hospital à la Kleinseite de Prague ; Daniel Ier, évêque (de Lipa), consacra la nouvelle église. La maison chef-d'ordre (Conventum, Couvent) fut ensuite pourvue de tout le nécessaire et les premiers chevaliers de Saint-Jean vinrent s'y établir, après avoir été solennellement reçus par le roi Vladislaus Ier (grand-duc Vladislaus II), en 1158—1159; ils s'y consacrèrent au soin des malades, à l'hôpital, et se chargèrent du service religieux à Notre-Dame. Le roi Vladislaus Ier fit dresser, en 1159, l'acte de fondation (1) : « Ad aedificandam ecclesiam et hospitale atque instituendam congregationem religiosorum communis vitae virorum terram quondam ad coronam regni mei pertinentem Pragae juxta pontem secus aquam inter quatuor vias dedi ipsamque aquam a superiori parte inferioris insulae usque ad pontem cum piscatione et omnibus aliis commodis, quae in ibi possunt haberi, eidem ecclesiae perpetuo jure possidendam (2). » L'Ordre s'étendit ensuite de Bohême en Moravie, Silésie, Hongrie et Pologne, de sorte qu'à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, le plus grand nombre des commanderies se trouvait aussi bien dans ces pays qu'en Styrie, Carinthie et Carniole, et que ces commanderies furent, ainsi que celles des pays autrichiens, mises dans l'obédience du grand-prieuré de Bohême.
1. — Voyez Appendice, XXVIII, Texte de l'acte. 2. — L'original est aux Archives de l'Ordre, à la Kleinseite de Prague.
La première commanderie, instituée dans le grand-prieuré de Bohême, fut celle de Mailberg (Basse-Autriche) (1). C'était une possession de Chadold de Harras qui, en revenant de la Croisade de Godefroy de Bouillon, la donna à l'Ordre et y fit bâtir, dès 1128, un Couvent avec une Eglise de Saint-Jean-Baptiste. L'empereur Frédéric Ier confirma, en 1156, cette donation à l'Ordre. 1. — Voyez Dr. M. M. Feytar. Aus dem Pantheon der Geschichite des h. s. Johanniter-Ritter- Ordens. 1882.
Les Chevaliers de Saint-Jean se mirent à l'oeuvre pour embellir leur possession de Prague : ils y créèrent de beaux jardins et des bains; ils y bâtirent un moulin et de grandes maisons de revenu. Cette activité fut très-applaudie en Bohême et l'Ordre gagna sans cesse de nouveaux patrons et bienfaiteurs. Vladislaus lui donna, en 1259, le village de Letky, avec les vignes et autres dépendances, sur la possession qui forma plus tard le dominium de Tuchomeritz; à charge de prier pour le salut de son âme et de l'âme de ses aïeux; puis les biens de la succession de Henri Hartmann, qu'il avait adopté: Kozarowitz avec toutes les forêts, ruisseaux et champs, près de Worlék, dans le cercle actuel de Mirowitz; Breznoves prés de Liben. (Lieben), à proximité de Prague, aujourd'hui propriété du Couvent; Neumeritz, avec forêt et vergers, près de Welwarn (ancienne seigneurie de Svolenoves) achetée par le roi lui-même au chevalier Lub et à d'autres encore ; le revenu du passage sur la rivière de Mies, près de Radotin, non loin de Konigsaal. Le chancelier royal Gervasius donna au couvent de Prague, le village de Pacislawitz, en Moravie, que le grand-duc Vladislaus Ier lui avait conféré, en récompense de services rendus à l'Etat ; son neveu Martin lui donna presque tout le domaine de Grussbach (non loin de Nicolsbourg), en Moravie, dont il avait acquis une partie de Conrad, duc de Znaïm, et le reste, des autres co-propriétaires, par voie d'achat et d'échange. Les libéralités du roi Vladislaus Ier allèrent plus loin : il lui donna par Acte, en date de 1169, les possessions suivantes : Hodowitz, Osajné (Meierhof), le village de Planes (paroisse de Girsch, prés de Tepl) et Kahov près de Plass, les terres de Manetin (1), avec Lippen et Viska, ainsi que le droit de pêche et d'usage des eaux, et de nombreuses forêts dont il laissa l'usufruit à ses parents Wratislav et Nicolas, jusqu'à leur mort ; enfin Borislaw, près de Bilin (2), et Herbitz (Hribovie, paroisse de Karbitz), Lewin, près de Auscha, et une forêt à proximité de Oleschnitz et de la rivière de Liboc. Parmi les autres donateurs, il faut compter les frères Hroznata et Mircislaw, seigneurs de Peruc (non loin de Schlan), descendants des anciens Zupans de Melnik, et Frédéric, évêque, qui, avant 1179, pendant le règne du grand-duc Sobeslav II, firent donation au couvent de la Kleinseite de Prague, de Pomrle, près d'Aussig, de Beinlitz, de Rongstock, de Weritz et Ujezd, de Schwaden, près d'Aussig, de Kojeditz, près de Leitmeritz, de Pirken, près de Rothenhaus, de Salesl, près d'Aussig, de Kleinpriesen, de Nestomitz, de Pohor, de Taschor, de la forêt près de Proboscht et de Ploschkowitz, près de Leitmeritz. Ils érigèrent peu de temps après, à Ploschkowitz, une commanderie.
1. — Archives, Acte nº 10.
2. — Item, Acte nº 2.
Lorsque la guerre éclata entre les ducs Sobeslav II et Frédéric, il fut livré, le 27 janvier 1179, entre Prague et Wysehrad, là où se trouve aujourd'hui la Neustadt supérieure (quartier de Prague), à côté de la Porte-du-porc (plus tard : porte-des-aveugles), un sanglant combat; l'épouse de Frédéric, qui y assistait du haut des murailles de l'Altstadt (ville-vieille, autre quartier), fit voeu d'élever sur le champ de bataille une Eglise-de-Saint-Jean-Baptiste et un couvent pour les Chevaliers Hospitaliers, si son époux remportait la victoire. Dieu exauça son voeu et elle donna ordre de commencer sans retard les constructions. Le grand-duc Frédéric donna aussi quelques domaines à l'Ordre (1). Il fut enfin le protecteur de l'Hospital à Jérusalem, auquel il envoyait chaque année une somme importante, pour assister les pèlerins pauvres, malades et blessés, et l'admirateur des faits et gestes héroïques des Chevaliers de Saint-Jean, en Terre-Sainte.
1. — Archives de Malte. Documents originaux, série I, vol. XVII. « Fredericus Boemorum dux, dat Hospitali Jerusalem ecclesiam inter Pragam et Wisegrad et confirmat diversas donationes in regno Boemiae, 1183. » Vide : Ed. Dobner, Mon. IV, 245, et Boczak, Cod. dipl. Moraviae, I, 307; extr. apud. Erben, Regesta dipl. nec non epist. Bohemiae et Moraviae, I, 168, nº 376.
Des maisons d'Hospitalières furent aussi fondées : la première fut créée pour les plus nobles demoiselles du pays, à Manetin, dans l'ancien cercle de Pilsen, confirmée par Bulle du pape Luce III, en date de Velletri, 23 octobre 1181. Les Hospitalières y avaient une belle Eglise-de-Saint-Jean-Baptiste et un Hospital. Il fut presque en même temps construit à Gross-Bor et à Prague, un couvent pour les Hospitalières; mais, faute d'actes, il est impossible d'indiquer plus exactement le lieu de leur résidence à Prague.
Comme la Congrégation des Chevaliers de Saint-Jean croissait de jour en jour, en Bohême et dans les pays voisins, et qu'elle acquérait de jour en jour plus de richesses, les Chevaliers élurent, en 1183, leur premier chef et le nommèrent praeceptor, c'est-à-dire Représentant du Maître de l'Ordre. Les grands-prieurs actuels se nommèrent donc d'abord praeceptores (précepteurs ou vice-maîtres), plus tard aussi, magistri (maîtres). Au XIIIe siècle, ils portent déjà le titre de Magnus ou Summus praeceptor (grand ou souverain-précepteur), et ils sont identiques avec les grands-commandeurs des provinces, qui cessèrent d'exister vers la moitié du XIVe siècle et cédèrent la place aux grands-prieurs autonomes. On les appelait : Sacrae domus hospitalis Jérusalem magister, ou, Summus (magnus) praeceptor per Alemanniam, Bohemiam, Moraviam, Poloniam, Austriam, Styriam, Hungariam; on trouve aussi le : humilis praeceptor; mais, lorsque le titre de prior se trouve dans les titres les plus anciens, il faut entendre par là le prior ou magister clericorum, c'est-à-dire le prieur-de-l'Eglise ou maître-des-clercs. On ne rencontre pas, avant 1325, la dénomination de prior, pour désigner les chefs du grand-prieuré; plus tard, on lit souvent : prior generalis, prior humilis, et, dans les actes en allemand, Hochmeister (haut maître) et Oberster prior (prieur suprême). Les grands-prieurs sont aussi désignés dans les Actes, sous le titre de Supremi Magistri, de Maîtres-suprêmes de l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem en Bohême, à Strakonitz, et en tchèque : de « Mistri krizovnikuv zakona rytirujiciho sv. Jana krtitele prevorstvi ceskeho. » De 1661 à 1754, presque tous les grands-prieurs furent en même temps Lieutenants du Royaume de Bohême et possesseurs de la judicature provinciale supérieure; enfin d'après l'Ordonnance organique renouvelée par l'empereur Ferdinand II, ils sont premiers prélats de la province.
Nous avons pris pour guide, outre les chroniques anciennes et les documents existants, l'ouvrage très-savant, quoique çà et là un peu confus, de M. le Dr Feyfar (1882), et c'est d'après lui que nous avons établi la chronologie des précepteurs, précepteurs-généraux, prieurs-généraux, grands-prieurs. Quoiqu'on prétende que les dates et les noms ne seraient pas exacts, dans les premiers siècles, nous n'en avons pas moins conservé cet ordre chronologique, en ayant soin de présenter dans l'Appendice, les listes divergentes, de manière à permettre au lecteur de choisir : On a ainsi Feyfar (1882), Schaller (1786) et Beckmann (1726) comparés. Voulant donner place aussi à l'opinion, d'après laquelle Strakonitz aurait été le siège originaire du grand-prieuré de Bohême-Autriche, nous avons traduit de même, dans l'Appendice, les pages de Schaller et de Beckmann relatives à Strakonitz. En simple annaliste qui ne prétend pas trouver mieux que ses devanciers — car souvent le mieux est l'ennemi du bien — nous ne pouvions faire autre chose. Cela dit, nous allons d'après la méthode suivie pour l'Ordre tout entier dans notre première partie, esquisser les Annales de ce grand-prieuré (1).
Annales de l'Ordre de Malte ou des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem - Chevaliers de Rhodes et de Malte. Depuis son origine jusqu'à nos jours et du Grand-Prieuré de Bohème-Autriche et du service de Santé volontaire. Par Félix de Salles. Vienne 1889.