Anecdote n° 1
12-01-2022
Saint-Antonin-de-Lacalm
Département: Tarn, Arrondissement: Albi, Canton: Le Tavet - 81Il est fait mention du Travanet, écart de Laroque, et de son église vers 974, dans le testament de la comtesse Garsinde. Par une charte de 1085, Guillaume Agambert donne à l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem l'église de Saint-Antonin avec toutes ses dépendances et par la même charte Gaubert de Laroque fait don au même hôpital du mas de Mont-Bertrand. C'est la première donation faite en France aux frères hospitaliers de Jérusalem. (Page 95)
Il existe peu d'actes de Raimond-Roger concernant l'Albigeois. En 1202, par une charte datée de Burlats, et sans doute sur la requête de l'évêque, il amortit toutes les terres, nobles acquises par l'église d'Albi et autorise cette église à construire tous les bâtiments qu'elle croira nécessaires (2).
En la même année il achète de Guillaume-Pierre de Vintrou, moyennant vingt mille sous Melgoriens, tout ce que ce seigneur possédait à Saint-Amans-Valtoret, dans le château d'Hautpoul, dans l'abbaye de Caunes, dans tout le Cabardès et depuis Saint-Pons jusqu'à Castres. C'est sans doute à cette occasion, ou à l'occasion de son mariage avec Agnès de Montpellier (1203), qu'il se vit obligé de donner en engagement une partie de ses droits sur Béziers à l'évêque de cette ville.
Enfin, il confirma tous les privilèges accordés par Raimond-Trencavel, son aïeul et Roger, son père, aux chevaliers de l'ordre du Temple (1).
1. Vais. Edition Privat. VIII C. 483.
Les Templiers et les chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem étaient depuis longtemps déjà établis dans l'Albigeois La commanderie de Vaour, ordre du Temple, était l'une des plus considérables du Midi. Elle avait été fondée (vers 1140) par les seigneurs de Penne et les vicomtes de Saint Antonin. Raimond-Amiel de Penne, donat de l'ordre, leur avait fait d'importantes donations et, en 1196, il les avait exemptés de tous droits de leude et de péage dans sa châtellenie (2).
2. Archives de la Haute-Garonne cartulaire de Vaour.
Cambon du Temple leur appartenait et ils avaient maison à Albi et à Castres.
On sait que lors de la suppression des Templiers, leurs biens furent donnés aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Les donations faites à ce dernier ordre de chevalerie dans l'Albigeois remontaient à la fin du XIe siècle, et ce sont les premières qui lui aient été faites en Europe.
Dans le siècle suivant, les Hospitaliers s'établirent sur leur fief de Raissac et ils y construisirent leur château seigneurial, résidence du prieur de l'Albigeois et du Rouergue.
Rouairoux et Lacabarède dépendaient de la commanderie de Homps.
Les chevaliers avaient des propriétés, des droits à Saint-Antonin-Lacalm, à Puygouzon (3), à Ambialet, à Puylaurens, à Ambres.
Ils possédaient Lacapelle-Ségalar, entre les châteaux de Saint-Marcel et de Laguépie ; mais le prieur Arnaut de Bossaigues, par une charte datée de la maison de l'ordre à Albi, la donna en fief, avec le château, à Bertrand de Lacapelle en 1195. Ce lieu était ruiné et inhabité (4).
3. L'église Saint-Genest de Puygouzon leur avait été donnée en 1120, par Guillaume Salomon, sa femme et ses enfants, en présence de l'évêque Aldegard.
4. Archives de la Haute-Garonne fonds de Raissac.
Leur commanderie d'Arfons avait aussi été ruinée pendant les guerres entre Roger et le comte de Toulouse et ils l'avaient abandonnée. C'est ce que nous apprend un acte par lequel, lors de l'établissement de L'Inquisition, Raimond de Dourgne, demande à entrer comme donat dans l'Ordre, en restituant tous les biens de la commanderie d'Arfons qu'il avait usurpés pendant l'absence des chevaliers. Raimond de Dourgne était fort âgé lorsqu'il fit cette restitution, et c'était un des plus puissants seigneurs de la contrée.
En 1186 il avait cédé un fief qu'il possédait dans Saint-Germain à deux frères qui se donnaient à lui, eux, leurs corps, leur avoir, leurs femmes et leurs enfants.
En 1199, il avait fait un traité d'amitié, dans le château de Puylaurens, avec Pierre de Trepol et, deux ans plus tard, dans l'église Sainte-Marie de la même ville, où il s'était rendu avec Sicard de Puylaurens, ces deux seigneurs se donnaient réciproquement leurs biens en cas de mort sans héritiers directs. (Page 184)
M. Cabié a remarqué dans les archives de la Haute-Garonne, au fonds de la commanderie de Rayssac, quatre pièces relatives à l'ancienne exploitation des mines de fer dans le Tarn. Elles sont toutes du XIIIe siècle, de 1274 à 1297 et se ressemblent par leur nature et leurs détails. Ce sont des baux à fiefs consentis par le seigneur et dans lesquels ce dernier se réserve la treizième, la dix-huitième ou la vingtième partie du produit. M. Cabié a transcrit pour la Revue un de ces baux, dont il est donné communication ; il est daté de 1274 et relatif à une mine de fer d'Ambialet. (Page 370)
Traduction du texte (page 382)
Sachent tous que nous Ramond de Posquières, chevalier, commandeur de Laselve, de Cambon et des autres maisons du Temple qui sont entre le Tarn et le Dadou, dans l'évêché d'Albi, pour nous et pour nos successeurs, au nom de la maison de Cambon et sur le conseil du frère Guillaume Guitbal, commandeur de la dite maison, donnons et laissons pour toujours, à emphytéose, à vous Ramond Gravier, Bernard de Latet, Bernard Maurel, Pierre de Villeneuve, à vos successeurs et à ceux auxquels vous céderiez le bail, de notre consentement, excepté les chevaliers et les clercs, toutes les mines de fer qui sont au mas de Causac (Ambialet) tenu de nous par Bernard Libuer, avec leurs droits, leurs dépendances, les fosses et contre fosses, les creux, les antuels (clôtures ?), plazas (les plaines ?), les cabanes, les torns (les tours ?), les chemins, les entrées et les sorties, les bois et les eaux à l'usage des dites mines, et tout ce qui leur appartient ou doit leur appartenir d'après l'usage et la coutume des autres mines de fer données à bail au territoire d'Ambialet et ce, moyennant trois sous de Cahors d'acapte, dont nous nous tenons pour payer, et vous devez nous rendre, comme droit de seigneurie, la treizième partie de la mine que vous extrairez au-dessus de l'eau et la vingtième de celle que vous extrairez sous l'eau ; ces redevances seigneuriales nous seront livrées hors des fosses et à vos dépens sans qu'il nous en coûte rien. Et nous vous servirons de garant au besoin, sauf les droits de seigneurie que nous retenons. Et est à savoir que de ce bail, un tiers appartiendra à Ramond Gravier, le second tiers à Bernard de Latet et le troisième par moitié à Bernard Maurel et Pierre de Villeneuve. Etaient présents Bernard Raynal, Guillaume Segond, Sicard Garrigues, Guillaume Cambon et Pierre Ramondi de Janes, notaire public d'AIban qui écrivit et signa. Fait à Cambon le sept des calendes d'avril l'an du seigneur 1274.(Signet du notaire).
Actum fuit apud Cambo, VII kalendas aprilis, anno Domini M° CC° LXX° quarto. (Signet du notre).
(Du parchemin original, en chirographe ; fonds de la commanderie de Rayssac, aux archives de la Haute-Garonne)
Sources : Emile Jolibois. Revue historique, scientifique et littéraire du département du Tarn, cinquième volume. Albi 1885 - BNF
Anecdote n° 2
16-01-2022
Commanderie de Bordères
BordèresPorte des chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem à Bordères.
Bordères est un village à trois kilomètres de Tarbes ; le voyageur qui de Bordeaux arrive en chemin de fer vers les Hautes-Pyrénées le longe, à l'orient, immédiatement avant de s'arrêter au chef-lieu. Commune, Bordères dépend du canton de Tarbes (nord), et desservance, du doyenné de la Sède. Dans le principe, simple ramassis de bordes (borda, æ, moyenne et basse latinité), comme l'atteste son nom Borderiæ, c'est maintenant une sorte de bourg ne renfermant pas moins de 1,800 habitants dans des demeures de bonne mine, et manifestement honteuses de la détresse de celle qui devrait en être la plus belle. Si l'église ne répond point par sa magnificence à la splendeur du lieu ni à l'amour-propre des habitants sur le point d'en bâtir une plus digne, elle offre, en revanche, des souvenirs. A la veille du jour où, avec l'église effacée du sol, ils vont s'effacer de la mémoire, nous essaierons, dans cette Notice, d'en recueillir et conserver quelques débris.
I
Un ordre religieux et militaire fondé (1128) en Palestine par Hugues des Payens, champenois, associé à huit compagnons, s'appela Frères de la Milice du Temple, Chevaliers du Temple ou Templiers, parce qu'ils occupaient à Jérusalem un quartier du Temple.
Les Templiers avaient pour mission de défendre et de garder contre les infidèles les pèlerins qui allaient visiter les saints lieux.
Bientôt en vogue, cet ordre marche rapidement vers cet excès de renommée et de richesse qui, deux siècles plus tard, amena sa destruction a jamais mémorable. Tous les souverains, empereurs, rois, ducs, comtes, etc., s'empressèrent de lui accorder des privilèges et des biens. C'est ainsi que Pierre de Marsan, comte de Bigorne, avec le consentement de sa femme Béatrix et de son fils Centulle, donna le village de Bordères à cet ordre célèbre, sous le magistère d'Evrard des Barres.
M. Lejosne (1) fixe l'acte de donation en 1145 ; d'après l'instrument copié par Larcher (2), la date exacte serait 7 février 1148.
Quant à M. Davezac-Macaya (3), lui, il se contente de la déterminer par le magistère d'Evrard des Barres (1147-1149), en cela par un bout ou par l'autre serrant de plus près 1148, toutefois peut-être coupable, à l'aide du millésime 1145 placé en manchette quelques lignes plus haut, d'avoir induit l'universitaire en erreur.
Ce village fut érigé (1175) en commanderie, et Bernard de Sauveterre, pourvu le premier, en qualité de commandeur (commendator), de ce bénéfice.
A peine à Bordères, les Templiers y élevèrent, au confluent de l'Echez et d'un canal venant de l'Adour, qui met en jeu le moulin, un château en forme de quadrilatère aux murailles épaisses ; il n'en reste aujourd'hui, dans le jardin qu'a établi là un paysan, que quelques pans renversés au bord de la rivière, contre les envahissements de laquelle ils défendent les légumes du bonhomme, ou bien debout encore sur les plates-bandes, où, non moins indestructibles à la pioche qu'à l'eau, ils les empêchent de pousser, comme pour reprendre d'une main ce qu'ils donnent de l'autre. Ces ruines du château (castellum) se nomment, dans la langue du village, castèt.
Tout près de là, vers l'orient, subsiste encore, à demi-enfoncée dans le sol, la vieille prison, où de pauvres femmes s'estiment néanmoins superbement logées, et n'ont pas même peur des morts, dormant, pour ainsi dire, la tête sur le même oreiller, attendu que la muraille est mitoyenne entre la prison et le cimetière. Nous ne répondrions pas que cette prison, si vieille soit-elle, remontât aussi loin que le château.
De la prison, en côtoyant le canal du moulin, tirez au midi, vous trouvez la grange du commandeur, plus fameuse dans l'esprit des indigènes que le château, que la prison, car c'est là, disent-ils, qu'il fallait porter les dîmes.
Le commandeur était gros décimateur. Au-dessus du toit, une cheminée porte sur fond blanc à la craie rouge le millésime 1811, époque de la prise de possession par un manant ou roturier qui y alluma son feu avec le bois de la commanderie.
Grange, prison, château, de rien de cela, au demeurant, nous n'avons à traiter pour le quart d'heure, mais d'un monument qui a tant vu tomber d'habitations ou de maîtres, tandis que seul il a le droit de demeurer stable et de garder son hôte ; j'ai nommé le temple, certainement contemporain de la fondation du bénéfice, « On donnait le nom de temples, pendant le moyen âge, aux chapelles des commanderies de templiers ; ces chapelles étaient habituellement bâties sur un plan circulaire, en souvenir du saint sépulcre, et assez exiguës (4). » Exiguë, à Bordères, la, chapelle l'était, mais sur un plan circulaire, pas tout à fait.
Figurez-vous une nef de 20 mètres de long sur 10 de large, une abside en cul-de-four avec un æil-de-bæuf au milieu, et deux fenêtres latérales à plein-cintre, une petite sacristie à gauche de l'abside, un bas-côté septentrional à trois arcades, dont la plus orientale à plein-cintre, et les deux autres à ogive obtuse ; la voûte, la porte, le clocher, comment ? Devinez, si vous pouvez. Sur ces données, car tout disparut dans un agrandissement de l'édifice sur lequel nous aurons à revenir en son fieu, vous aurez une idée du temple de Bordères.
« Il ne faut pas oublier que les fondateurs de l'ordre du Temple étaient au nombre de neuf (carré de 3), qu'il ne leur fut permis d'ordonner de nouveaux frères qu'après neuf années, et que les nombres 5 et 9 se retrouvent fréquemment dans les chapelles des commanderies (5). » De là les trois baies de l'abside, les trois arcades.
« Les dispositions de ces chapelles exiguës, avec sanctuaire peu important, indiquent assez que les chevaliers du Christ Christi milites ou du Temple n'admettaient pas le public pendant les cérémonies religieuses. Ces chapelles servaient aussi de lieu de séances pour les délibérations qui, d'ordinaire, se tenaient la nuit. D'ailleurs, d'une extrême sobriété d'ornementation, ces petits monuments du XIIIe siècle se ressentent de l'influence de l'abbé de Cîteaux saint Bernard qui avait rédigé les statuts de l'ordre (6). »
A cela nous ajouterons que notre chapelle n'avait qu'un bas-côté, comme chez d'autres ordres religieux, en signe de pauvreté.
Leurs services, leur opulence avaient excité contre les Templiers la jalousie et la cupidité ; on jura de les perdre ; bien entendu que leurs accusateurs couvrirent leurs hideux mobiles du voile de la justice et de la religion. Tous les hauts officiers et tous les sujets de l'ordre furent représentés au pape Clément V comme des hérétiques, etc. Deux procédures eurent lieu contre les Templiers : la première dirigée par le roi et au nom du roi ; la seconde par le pape, et d'après son autorité. Nommée au concile de Vienne, en Dauphiné, pour examiner les pièces du procès, la commission se partagea dans son appréciation, la majorité soutenant qu'il n'y avait pas lieu à accuser l'ordre d'hérésie, et par conséquent que, si l'on en devait punir plusieurs membres reconnus coupables, on ne pouvait à ce titre condamner et supprimer l'ordre entier ; la minorité opinant, au contraire, que la procédure avait donné assez de lumière pour permettre de porter sur-le-champ un jugement définitif (7). C'est dans un consistoire secret (XI des calendes d'avril ou 22 mars 1312) que Clément V abolit à jamais les Templiers, suppression publiée le 5 avril, mais, d'après la bulle du 2 mai, ordonnée seulement par sentence provisionnelle et non par jugement définitif.
Partout se dressa l'échafaud, et Bernard de Montagut, avec ses frères de Bigorre, y monta à Auch, dernier commandeur du Temple à Bordères.
II
Bien que la bulle du 2 mai (1312) n'ordonnât la suppression des Templiers que par sentence provisionnelle, cependant elle disposait de leurs richesses en faveur des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, autre ordre religieux et militaire, né, comme le précédent, en Palestine.
Environ l'an 1048, des marchands d'Amalfi, ville du royaume de Naples, qui trafiquaient en Syrie, désireux de faciliter leurs pèlerinages à Jérusalem, achetèrent de Romensor de Moustesaph, calife d'Egypte, l'autorisation d'y bâtir, devant le temple de la Résurrection, une église ; de leur rite et dédiée à la Sainte-Vierge, elle s'appela Sainte-Marie de la Latine. Les fondateurs y adjoignirent un monastère de l'ordre de Saint-Benoît à l'effet de recevoir les pèlerins.
Comme le nombre de ces derniers augmentait tous les jours, et que le plus souvent ils arrivaient accablés de misère et de maladies, tant par les fatigues du voyage que par les vexations des infidèles, on édifia encore tout près de l'église un hôpital destiné à recueillir les hommes avec une chapelle en l'honneur de saint Jean-Baptiste. La direction en appartint à un chef à la nomination de l'abbé de Sainte-Marie, et c'est Gérard, de l'île de Martigues (?), En Provence, qui exerça d'abord cette charge.
Après la prise de Jérusalem (15 juillet 1099), telles furent les libéralités qui affluèrent dans ces divers établissements, que Gérard, avec ses frères, résolut de se séparer de l'abbé et des religieux de Sainte-Marie de la Latine et de former une congrégation à part sous la protection de saint Jean-Baptiste ; ces circonstances les firent depuis appeler Hospitaliers ou Frères de l'hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. Gérard obtint la confirmation du pape Paschal II (bulle du 15 février 1113). Ce chef de l'hôpital de Jérusalem le gouverna sous le titre de prévôt (præpositus) ou de gardien (custos). Il eut pour successeur Raymond du Puy.
Ce premier maître (magister), car c'est Raymond du Puy qui prit avant tous cette qualité, voyant que les revenus de l'hôpital de Jérusalem surpassèrent de beaucoup les frais d'entretien des pèlerins, crut ne pas en pouvoir consacrer le surplus à un meilleur usage qu'à la guerre contre les Musulmans. Il s'offrit au roi de Jérusalem pour les combattre. Par ainsi, de religieux qu'il était seulement à son origine, cet ordre devint militaire, modification approuvée (1130) par le pape Innocent II.
Malgré leur érection en ordre de chevalerie, les Hospitaliers néanmoins retinrent toujours leur litre ; on ne leur décerna celui de Chevaliers que lorsqu'ils eurent conquis l'île de Rhodes ; depuis ce moment (1310), on les appela Chevaliers de Rhodes, et plus tard (1550) Chevaliers de Malte, après que cette dernière île leur eut été donnée par l'empereur Charles V. Cependant leur véritable nom est celui de Chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
Il n'y eut d'abord parmi les Hospitaliers que deux classes de membres, les clercs (clerici) et les laïques (laici). Raymond du Puy en établit trois : les nobles, destinés à la profession des armes pour la défense de la foi et la protection des pèlerins ; les prêtres ou chapelains, vaquant au service divin dans la chapelle ; les frères servants, destinés aussi, sans être nobles, à la profession des armes.
Cet ordre se propage rapidement à travers les nations. Ces nations se nomment langues. Chaque langue se divise en grands prieurés. Chaque grand prieuré renferme un certain nombre de commanderies, dont les unes sont dévolues aux chevaliers, et les autres indifféremment aux chapelains et aux servants d'armes.
Anciennement, les biens de l'ordre étaient en commun ; pour les faire valoir, on choisissait des séculiers qui, en tant que fermiers, en devaient rendre compte. Mais ce compte, dont la distance favorisait l'infidélité, laissait souvent à désirer, si bien que, dans le but de parer aux malversations, on confia l'administration de tous ces revenus aux grands prieurs, chacun dans son département. Ces dignitaires ne s'en acquittèrent pas mieux, de sorte que, nonobstant l'importance des revenus, à peine l'ordre trouvait-il de quoi faire face aux dépenses nécessaires. On eut donc recours à un autre système, ce fut de commettre un frère à l'effet de régir les biens d'une circonscription déterminée avec un titre amovible, révocable à volonté, à condition que tous les ans il verserait entre les mains d'un receveur de l'ordre établi ad hoc une certaine somme (responsion) proportionnée au produit de son ressort.
Au reste, ces Hospitaliers n'allaient pas seuls ; on leur donnait pour compagnons quelques autres Hospitaliers ; et tous ensemble, avec un chapelain de l'ordre, formaient une communauté. Le personnage qui était à la tête de la communauté se nomma commandeur, et le logis où habitait la communauté, commanderie, terme qui signifie moins un commandement qu'une administration, une commande ou commende (de commendo).
Tout ce qui, la responsion soldée, restait de revenus à cette espèce d'économe devait être employé à entretenir les membres de la communauté et à soulager les pauvres du lieu.
Malheureusement, dans la suite, la division se glissa parmi les Hospitaliers qui vivaient conjointement dans une commanderie ; on fut obligé de les séparer, et l'on abandonna le bénéfice à un seul en le chargeant de payer une pension à ses frères.
Les commanderies se divisaient en :
1° — Magistrales.
2° — De justice.
3° — De grâce.
1° — Les commanderies magistrales se rattachaient à la dignité de grand maître.
2° — Les commanderies de justice étaient possédées par droit d'ancienneté, outre cinq ans de résidence à Malte et quatre caravanes ou voyages sur mer, ou par améliorissement, lorsque, après avoir fait des réparations dans une commanderie dont on jouit, on en prend une autre d'un revenu plus considérable.
3° — Les commanderies de grâce sont conférées par le grand maître ou par les grands prieurs en vertu d'une prérogative inhérente à leur dignité.
Bernard de Montfaucon et Gêralde, sa femme, fondèrent, vers 1262, la commanderie d'Aureilhan, et Fort-Aner et Auger, leurs enfants, confirmèrent cette donation. Gauceran de la Tors fut pourvu, en qualité de commandeur, de ce nouveau bénéfice.
On se souvient que la bulle du 2 mai 1312 disposait des richesses des Templiers en faveur des Hospitaliers.
Le parlement de Paris n'avait pas attendu jusque-là ; sitôt après la suppression (22 mars 1312), le mercredi qui suivit l'Annonciation, il rendit un arrêt afin de mettre les Hospitaliers en possession des biens des Templiers ; mais sur ces biens, il adjugea au roi deux cent mille livres, somme alors immense, pour frais de procédure. C'est conformément à cet arrêt du parlement et à la décision du pape que, après l'exécution de Bernard de Montagut, commandeur de Bordères, eut lieu la jonction des deux commanderies de Bordères et d'Aureilhan.
La commanderie de Bordères fut-elle unie à la commanderie d'Aureilhan, ou vice versa ? M. Davezac-Macaya adopte le premier mode : « Après ce supplice de Bernard de Montagut, dernier commandeur du Temple de Bordères, ce bénéfice, dont dépendaient l'église de Saint-Biaise d'Ossun, celle de Saint-André de Luz, l'Hôpital de Sainte-Magdeleine de Gavarnie, fut réuni à la commanderie d'Aureillan, en faveur de Bernard d'Orsans (8). »
M. Bascle de Lagrèze se déclare pour le second mode : « Au commencement du XIVe siècle, cette commanderie (d'Aureilhan) fut unie à celle de Bordères (9). »
C'est là, et nous nous y rangeons, l'opinion même de Larcher, dont voici les expressions : « La commanderie d'Aureilhan fut unie à la commanderie de Bordères lors de l'extinction de l'ordre des Templiers comme à un membre plus considérable (10) ; » renseignement d'autant plus précieux que, avec le mode d'union, il en renferme la raison.
Sous quel commandeur s'opéra cette annexion ? Sous Bernard d'Orsans ou de Orsanis, du commun aveu des auteurs, moins unanimes à l'endroit de la date. A s'en rapporter à M. Davezac-Macaya, qui de ce millésime accompagne en marge le passage précédemment cité, l'année serait 1313 ; plus ondoyant et plus insaisissable, à son habitude, M. Bascle de la Grèze se contente de cette vague chronologie : « Au commencement du XIVe siècle. » L'histoire a d'autres exigences, et, pour y satisfaire, que ne nous est-il permis, favorisé comme autrefois, de fouiller dans les trésors de la Bibliothèque nationale, fonds de d'Hozier, chevaliers de Malte, prieuré de Toulouse, ou aux Archives de la Haute-Garonne, salle de Malte !En vain avons-nous interrogé Larcher, il n'a répondu qu'imparfaitement, de façon que tout ce que nous avons pu en tirer de plus clair, en attendant de là ou d'ailleurs un pur rayon de lumière, c'est que l'union se serait accomplie à la date 1313-1327.
Il ne faut pas confondre l'union des commanderies avec l'union des églises d'Aureilhan et de Bordères. « Une bulle du pape, en 1508, unit l'église d'Aureilhan à celle de Bordères, » écrit M. Bascle de Lagrèze, à qui nous aurions été reconnaissants de nous signaler le dépôt de la bulle, s'il le savait, ou son ignorance, s'il ne le savait pas. Nous soupçonnons cet historien d'avoir tout simplement emprunté son assertion au tome XXV du Glanage, sans s'inquiéter autrement de la bulle ni de son contenu. Et nous à qui l'eau venait à la bouche rien qu'à la pensée de savourer la bulle in-extenso aux pièces justificatives !
Pour conclusion, Bordères brilla parmi les trente-cinq commanderies renfermées dans ce grand prieuré de Toulouse ; ce n'était pas une commanderie magistrale, attendu qu'il n'y en avait qu'une de cette classe par grand prieuré, et que, dans celui de Toulouse, Puy-Soubran se glorifiait de cet honneur.
Nous osons avancer, avec l'espoir de le démontrer un jour, que Bordères a toujours été affecté à des chevaliers, jamais à des chapelains ni à des servants ; fut-il une fois ou autre donné par grâce, nous l'ignorons et nous nous taisons.
1. — Revue d'Aquitaine, 6e année, page 228.
2. — Glossaire (mss), lettre b, page 1079.
3. — Essais historiques sur le Bigorre, tome 1, page 223.
4. — Viollet-le-Duc, Dictionnaire de l'architecture française du XIe an XVIe siècle, tome IX, page 12.
5. — Viollet-le-Duc, Dictionnaire de l'architecture française du XIe an XVIe siècle, tome IX, page 12.
6. — Viollet-le-Duc, Dictionnaire de l'architecture française du XIe an XVIe siècle, tome IX, page 18-19.
7. — Voir dans ces derniers temps Elizé de Montagnac, Histoire des Chevaliers Templiers ; Léonce de La Rallaye, Etude sur l'abolition de l'ordre des Templiers, dans la Revue du Monde catholique, 25 juin et juillet 1868.
8. — Essais historiques sur le Bigorre, tome II, pages 74-75.
9. — Histoire religieuse de la Bigorre, page 406.
10. — Calendrier du diocèse de Tarbes pour l'année 1761 (manuscrits) page 42.
Sources : L'abbé J. Dulac. Revue de Gascogne : bulletin mensuel du Comité d'histoire et d'archéologie de la province ecclésiastique d'Auch, tome XIII, page 270 et suivantes. Auch 1872. - BNF
Anecdote n° 3
28-01-2022
Boudrac
Département: Haute-Garonne, Arrondissement: Saint-Gaudens, Canton: Montréjeau - 31Dénombrement des dîmes la commanderie de Boudrac
Alors que Swinburne excursionne à Barèges, que dans les profondeurs de la forêt d'Issaux, en vallée d'Aspe, l'ingénieur Leroy ouvre « les chemins de la mâture » et qu'à Brooklyn les troupes anglaises affrontent celles de Georges Washington — en août 1776 donc — on lit dans une lettre datée du 24 de ce même mois, un samedi, et adressée de Masseube (Gers) à un commandeur de l'Ordre de Malte, ces lignes : « Monsieur, il a fait un chaud étonnant icy pendant près d'un mois, nous étouffions dans nos maisons. J'ay profité du premier jour sombre et je suis parti pour Moncassin (Gers, entre Masseube et Mirande). Il est tombé une pluie si abondante, que je n'ay pas pu aller voir le même jour le bois dont (il) s'agit.
J'ai couché au château de Lapalû. J'en suis parti ce matin et le cheval que j'ai monté avait dans les chemins en plusieurs endroits de l'eau jusqu'au ventre. J'étais allé en habit d'été et j'étais mouillé jusqu'à la ceinture. Comme j'arrive tard, je ne puis pas travailler aujourd'hui pour vous. J'y travaillerai lundi après-midi.
Signée Courtade, magistrat, à la fois homme de loi et d'affaires, cette lettre est destinée à Joseph-Paul de Gautier-Valabre, commandeur de Boudrac. Ce dernier, chevalier de l'Ordre de Malte, appartenait à la famille des seigneurs de Gardanne-Valabre (branche d'Artigues). Son père, Antoine de Gautier, fut conseillé au Parlement d'Aix-en-Provence (1). Cadet de la famille, Jean-Paul, baptisé en l'église aixoise du Saint-Esprit le 9. XII. 1706, rejoignit en 1718, à l'âge de douze ans, les rangs de l'Ordre de Malte (où son frère, plus jeune, Ignace, le suivit en 1720 — capitaine, plus tard, sur les vaisseaux de son Ordre). Commandeur de Cavalès (près de Saint-Gilles dans le Gard), en 1737, Joseph-Paul de Gautier-Valabre fut choisi en 1751 comme lieutenant général, par son oncle, le grand-prieur de Piolenc.
Amateur éclairé, il sut pratiquer un large mécénat à l'égard des artistes provençaux. Chargé vers 1768 de la commanderie de Boudrac, c'est à ce titre que nous le rencontrons.
1. Les armes de cette famille se lisent ainsi : « D'azur à deux éperons d'or Posés en pal, les mollettes en haut au chef d'argent, chargé de trois étoiles de gueules : écartelé d'or au griffon de gueules, au chef d'azur chargé d'une fleur de lys d'or » Leur devise : Dedit emula virtus.
(*) Le texte ici publié a d'abord été proposé en communication, ce dernier été, à Luchon, aux membres de l'Académie Julien-Sacaze.
« Sur les chemins pyrénéens du Comminges, conduisant vers l'Aragon, les hôpitaux Saint-Jean-de-Jérusalem et les commanderies du Temple se multiplièrent au XIIe et au XIIIe siècles. Dès les vingt premières années du XIIe siècle, l'hôpital de Jérusalem avait reçu des biens dans le diocèse de Comminges (Boussan, Lussan, Alan).
En 1145, Raimond de Benque fit don au commandeur de Gavarnie de la moitié de la colline de Saint-Marcet où ses successeurs établirent leur résidence ; un hôpital de Saint-Jean existait à Saint-Gaudens en 1160 ; au pied des « ports » de la haute-chaîne furent enfin créés à la fin du siècle des hôpitaux : Frontès-Juzet, dans la vallée de Luchon ; Aragnouet, dans la vallée d'Aure.
Au XIIIe siècle, les possessions acquises par les Hospitaliers en Bas-Comminges furent unies à la commanderie de Poucharramet (diocèse de Toulouse, puis Lombez) ; Saint-Marcet resta dépendance de la commanderie de Gavarnie qui, au XVe siècle, passa elle-même dans la juridiction de Boudrac » (2).
2. Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastique, au mot Comminges (de Chales Higounet) col. 398.
Cette dernière commanderie, sise sur le limes du diocèse de Comminges, à proximité des diocèses de Tarbes et d'Auch, regroupait donc au XVIIIe siècle les possessions acquises au fil des temps par l'Ordre de Malte dans les zones du Bas-Comminges et des vallées pyrénéennes (3).
3. Boudrac qui, sous l'Ancien Régime, appartenait au diocèse de Comminges, est situé dans le département de la Haute-Garonne, canton de Montréjeau, tout près de Saint-Plancard (31580).
Un dossier concernant cette commanderie, au temps où Joseph-Paul de Gautier-Valabre en assura la responsabilité (1768-1778), figure dans le fonds prestigieux de l'Ordre de Malte aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône (cote : 56 H 686). Dans la liasse de papiers — 160 folios environ — qui constituent ce dossier, on trouve pêle-mêle réunis, avec quelques croquis concernant des domaines (moulins, forêts, champs) des relevés de comptes, des relations de procès, surtout des correspondances de secrétaires, fermiers et autres personnages.
Parmi ces derniers, se détache la figure passablement pittoresque de celui qui, durant ces années, fut curé de Luz, Jean Cantonnet (4).
4. Ce curé Cantonnet est le même que celui dont le géologue Palassou dans ses « Nouveaux Mémoires » rapporte une lettre du 2. XI. 1777, où son correspondant improvisé lui parle des fameux géants de la vallée de Barèges (lettre citée par Bernard Duhourcau dans son Guide des Pyrénées mystérieuses, Tchou 1973, page 237). En parcourant les Annales du Labéda, on apprend par ailleurs que, vers 1758, un jeune Barégeois qui s'était arrêté au passage de l'Echelle d'Arriou-Maou pour resserrer la sangle de son cheval, perdit l'équilibre et tomba jusque sur les roches du Gave, à une immense profondeur. L'abbé Cantonnet, curé de Luz, arrivé en toute hâte, se prosterna au bord de l'abîme en invoquant le secours de Dieu, puis, attaché à une corde, il se laissa descendre jusqu'au malheureux jeune-homme qui expira dans ses bras après avoir reçu les secours de la Religion. La mort de ce jeune-homme, survenue après tant d'autres au même lieu, décida les montagnards à construire, dans le roc même, une longue corniche telle que l'on pût y passer en sécurité, même à cheval. Ce travail remarquable fut exécuté en 1762 (Jean Bourdette, Annales du Labéda, tome IV, Toulouse 1899, pages 154-155).
Le dossier a retenu de lui huit lettres s'échelonnant de 1768 à 1774.
La première en date présente, seule, un intérêt anecdotique assez savoureux. Elle est du 12 juillet 1768.
Après avoir recopié les clauses d'un acte daté de 1425, le curé de Luz poursuit : « Il y a à Barèges très bonne compagnie, un ambassadeur de Danemark. Mylord xxx (5) doit y venir. C'est le favori du roi d'Angleterre qui aurait dit-on été son premier ministre si la voix du peuple anglais avait été pour lui. On croit que nous lui avons l'obligation de la dernière paix. Il est annoncé et recommandé par le ministre et par Mgr le Maréchal duc de Richelieu.
5. Visiblement le scripteur n'a pas su orthographier le nom de ce personnage entendu sans doute au vol et mal saisi. On lit un « B », puis en surcharge quelque chose comme « ou » : s'agit-il de lord Bute ?
Monsieur Du Gravier commandant y a mis le sieur De Bordeau (6), médecin de l'Hospital en prison, vingt-quatre heures, on ne sait pourquoi. Les amis de Mr. le Commandant ont exigé qu'il ne s'en plaindrait point. Ce qu'il a promis. Il avait empêché le fils de ce médecin qui est son survivancier dans cette place de s'y rendre pour y faire son service sous le prétexte qu'il était député au Corps par le Parlement de Navarre pour l'affaire qui s'était passée dans un bal à Pau (pour) le carnaval. Mais il vient de s'y rendre par ordre formel du ministre.
6. Théophile de Bordeu, le grand nom du thermalisme pyrénéen au XVIIIe siècle, né à Izeste près d'Arudy (64260), en 1722, et mort à Paris en 1776.
Mgr de Seignelai colonel du régiment ayant voulu donner les violons aux dames Mr le Commandant s'y est fort opposé par rapport au deuil de la Reine. Ils ont cependant joué. On tache de raccommoder ces messieurs.
J'aurai l'honneur de vous entretenir plus amplement des anecdotes que cet endroit pourra fournir pendant la saison puisque vous le souhaitez.
Malheureusement, le curé de Luz semble n'avoir pas donné suite à sa chronique des bains de Barèges ; du moins les lettres conservées par son correspondant, le commandeur, ventilent d'autres sujets, plus austères. Ainsi, la dernière en date des lettres du curé Cantonnet est bien représentative de l'ensemble des questions abordées dans cette correspondance d'affaires.
(Du 8 août 1774) : « Monsieur, il est très vrai que j'ai eu l'honneur de venir plusieurs fois à votre auberge. La première fois je ne crûs point devoir interrompre votre conversation particulière avec le sieur Noguès et les deux autres fois j'ai eu le malheur de ne pas vous y trouver ce qui m'obligea de vous faire remettre la liste que vous m'aviez demandé devant aller diner et me baigner à Saint-Sauveur.
J'ai été très mortifié que vous n'ayez pas voulu accepter ma maison pour votre logement et que vous m'ayez refusé de me faire l'honneur de manger chez moi.
A l'égard des comptes de l'Eglise j'ai des pièces en main qui prouveront toujours ardemment qu'il n'a pas été en mon pouvoir de les faire rendre et que les obstacles sont venus de la part de votre fermier et de la négligence des consuls. Encore une fois je n'ai point la force coercitive. Je n'ai pu qu'exhorter, prier et solliciter cette reddition des comptes et je l'ai toujours fait, la preuve en est aisée.
Je n'ai jamais eu en mon pouvoir la transaction de 1750 ni ne l'ai vue depuis que je la signai.
Pour ce qui concerne la muraille si ceux qui vous en ont parlé avaient été de bonne foi et bien intentionnés, ils vous auraient montré la police que je passai avec les ouvriers et vous auriez vu alors que la muraille qu'on a fait n'est nullement celle qu'on devait faire puisqu'ils devaient faire le mur de séparation en long et non en travers. Ce qui nous fait perdre un espace considérable pour y mettre les fruits décimaux. Je le dis aux ouvriers lorsqu'ils y travaillaient. Ils me dirent que Fabas alors consul, leur avait dit de le faire comme cela. Je fus forcé de me retirer. Lorsque les ouvriers ont demandé leur payement je leur ai répondu qu'ils n'avaient qu'à lire la police et l'exécuter et quant à l'ouvrage fait ils n'avaient qu'à s'adresser à celui qui le leur avait fait faire. Je ne crois pas qu'en cela on puisse agir avec plus d'exactitude ni de justice, puisque si j'ai tort c'est de ne pas céder à la communauté un espace qui appartient aux décimateurs et dont ils ne peuvent point se passer qu'en mettant les fruits décimaux pêle-mêle comme l'on dit, et l'un sur l'autre comme l'on fait.
Vous me rendez justice. J'aurais eu tort en effet de me mêler de faire placer le second confessionnal après les désagréments essuyés à l'égard du premier. Si j'avais été appelé lorsque vous avait fait bruler certains meubles de la sacristie je vous aurais fait observer que le tour de dais que nous avons je l'avais fait donner par feu Souberbie pour la Fête-Dieu et pour les processions du Saint-Sacrement et qu'en faisant brûler celui dont nous nous servions pour porter le Bon Dieu aux malades c'était nous mettre dans le cas d'en faire un autre ou de nous servir toujours du plus beau contre l'intention du donateur. Quoique Dieu soit toujours le même, l'église admet cependant différents ornements suivant les différentes solennités.
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. CANTONET (sic) curé de Luz. »
Autant l'écriture et le style du curé de Luz reflètent une relative indigence, autant l'écriture et le style d'un autre prêtre de Luz, tertionnaire celui-là, du nom de Lacaz, témoignent d'un niveau culturel plus relevé. Dans une lettre du 23 avril 1773, écrite à Tarbes, il s'adresse en ces termes au Commandeur: « Monsieur, j'ai reçu la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire et voici la réponse aux demandes que vous m'y faites. — Le sac de seigle de Luz pèse exactement cent quatorze livres et demi, poids de table ; et se vend, à peu près, 12 livres le sac cette année ; le sac de froment pèse aussi, poids de table, cent soissante et une livres, et se vend 15 à 16 livres le sac ; je ne puis vous procurer encore d'autres lumières relativement à l'état inséré dans la lettre.
... Tout ce que je sais très positivement, c'est qu'on s'occupe sérieusement de la reddition des comptes ; mais comme il y en à faire depuis 1750 inclusivement, l'opération mettra un peu votre patience à l'épreuve ; grâces au Seigneur, vous n'êtes pas dans la détresse.
Fasse le ciel que le pauvre tertionnaire ne s'y trouve jamais par l'exploitation de son petit revenu, pour l'en garantir, Monsieur, vous me permettrez de recourir à votre protection etc. »
Au cours d'un assez long post-scriptum, il explique qu'il se trouve à Tarbes pour recueillir les matériaux juridiques qui appuieront les prétentions du commandeur et se permet de lui suggérer quelques conseils sur la conduite à tenir dans la perception des dîmes. Car c'est là, bien sûr, le souci essentiel qui habite le commandeur vis-à-vis de ses lointaines possessions pyrénéennes, difficilement contrôlables : percevoir régulièrement les dîmes. Dans le but d'assurer une meilleure gestion, il a fait recopier la transaction de 1750 à laquelle le curé de Luz a fait allusion et que le tertionnaire signale comme n'ayant pas été suivie d'effet. Cette copie existe dans notre liasse, très explicite en ce qui concerne la vallée de Luz-Gavarnie : nous la proposons ici-même en annexe.
Les correspondants du commandeur ne sont pas seulement des ecclésiastiques. On y rencontre aussi des laïcs, en particulier ceux que le curé Cantonnet déclare être « ses ennemis jurés », les sieurs Noguès et Fabas, fermier. Ce dernier expédie, de Luz, le 20 mai 1773, une lettre qui, on s'y attendrait, ne peut être que de récrimination.
« Sans connaître le revenu que produisent les fruits décimaux que perçoit Mr le Commandeur de Valabre, je me suis engagé dans le Bail d'afferme que j'ai consenti en votre présence, dans lequel je vois clair plus de cent écus de perte. Si j'avais prévu que le domaine que possède Mr le Commandeur à Gavarnie était tel que je l'ai trouvé lorsque j'ai engagé Mr Noguès à s'y transporter pour vérifier et me mettre en possession sur l'état actuel de ce domaine, je me serais bien gardé de faire les offres ni consentir aucun acte d'afferme.
Je ne sais si M. Noguès vous a rendu compte de son opération.
Dans le cas qu'il ne vous ait pas avisé, je vous préviens que dans le champ, que l'ancien fermier devait semer selon son obligation, il ne parait pas un seul germe de bled : le reste est entièrement détérioré, jusqu'à la grange, maison et murs de fermure. On prit des experts sur les lieux qui, quoique très portés à favoriser l'ancien fermier, ne purent s'empêcher de donner leur relation conforme à ce que je vous marque. Cette relation fut retenue par main de notaire. Si M. Noguès vous l'envoie vous serez surpris du peu d'administration qu'il y a eu dans ce bien, ce qui me cause un préjudice considérable.
J'étais parti de Lus dans le dessein d'affermer ce bien à des particuliers en des conditions justes ; personne n'en a voulu. Enfin, les pressant sur cette afferme il s'en trouve un qui en offrit 180 livres sans autre augmentation. Ce qui m'oblige de le garder.
Je vous avoue qu'il est très embarrassant pour moi, n'y étant pas à portée, je serai à même de le voir manger par les bestiaux, faute d'être bien fermé. »
La conclusion est nette, sans ambages : si je n'obtiens pas de vous, Commandeur, des dédommagements, il me sera impossible de remplir les obligations contractées.
Cinq ans plus tard (le 29 mars 1778) un écho de la détérioration économique rurale de cette région se retrouve, aggravé, dans une lettre, écrite en son château d'Haget, par un jeune chevalier grâce à qui nous apprenons que Joseph-Paul de Gautier-Valabre vient d'abandonner sa commanderie : « Tout le monde a appris dans ce pays-ci que vous aviez quitté la commanderie de Boudrac avec bien de la peine, surtout votre serviteur qui espère, quand il sera libre, vous aller voir. »
D'une graphie élégante, étonnamment moderne, cette lettre, écrite pour exposer des difficultés personnelles, se termine cependant sur un paragraphe en forme de supplique où le chevalier présente « la misère extrême de ce pays-ci qui se fait particulièrement sentir dans le village (Vieuzos, Hautes-Pyrénées). Les pauvres gens n'ont d'autre ressource que piller un curé qui est à la congrue et moi cadet de Gascogne à qui on chicane sa légitime. Ainsi si vous leur faites quelques charités elles seront bien placées. On priera Dieu pour vous et on bénira votre mémoire comme elle est chérie par les gens qui ont eu l'avantage de vous connaître. Ce curé d'ici m'a dit vous avoir écrit pour le même sujet si vous pouviez faire quelque chose pour les misérables, car je ne doute pas de votre bonne volonté. »
Comment, à la lecture de ces lignes, ne pas penser irrésistiblement aux événements qui, dix ans plus tard, devaient se déchaîner en tempête ?
Sources : Amargier Paul. Société des études du Comminges (Saint-Gaudens, Haute-Garonne). Page 213 à 221. - BNF
Anecdote n° 4
28-01-2022
Boudrac
Département: Haute-Garonne, Arrondissement: Saint-Gaudens, Canton: Montréjeau - 31Pièces justificatives - Etat de 1752
Dénombrement fait le 20 août 1752 par nous frère René de Leaumont, commandeur de Lugan et frère Jean Cantonnet, prêtre et curé de Luz en Barèges, commissaires et visiteurs généraux, avons requis le sieur Bernard Cantonnet, fermier général de la Commanderie de Boudrac, de nous déclarer et dénombrer tous les biens, droits, rentes et revenus que le seigneur commandeur de Mareillac possède au membre de Luz et ses dépendances.
Lus en Barèges
Le dit sieur Cantonnet nous a dit que le dit sieur commandeur perçoit la dîme dans toute la paroisse de Lus et ses annexes de Gèdre et Gavarnie, de toute sorte de grains, gros et menus, lin, foin, légumes, agneaux, laine, beurre et fromage de dix un, portés par les habitants et paroissiens dans la tour de l'église du dit Luz où les dîmes se partagent de la manière suivante.
Premièrement la fabrique de l'église du dit Luz prend sur le total du grain dix-sept sacs et demi de seigle, dont le demi, est pour les hosties.
L'archiprêtre de Sere prend de suite sur le même total des grains treize sacs et demi — mesure de millet et s'il ne se trouve point assez de millet, il prend en orge ce qui manque.
Le même archiprêtre prend pareillement une semblable pension plus ou moins forte dans chaque paroisse de la vallée.
Sur le même total de grains est encore prélevé la prémisse qui est un droit toujours fixe, soit que la dîme augmente ou diminué.
Il consiste en neuf mesures et trois-quarts de mesure de seigle pour le sieur curé, quatre mesures pour le tersionnaire et trois mesures et trois-quarts de mesure pour le Collège.
Plus en six mesures trois-quarts de mesure d'orge pour Mr le Curé, trois mesures un quart pour le tercionnaire et trois mesures un quart pour le Collège.
Tout ce dessus distrait, le partage du surplus est fait comme s'ensuit.
On en fait une pile de vingt-huit sacs et demi, de laquelle Mr le Commandeur en prend quatorze sacs et demi de laquelle M. le Grand-prieur en prend quatorze sacs. Le curé de Luz sept sacs et demi.
Le tertionnaire trois sacs. Le prébendé de la Tour un sac et demi.
Le Collège idem.
S'il reste encore du grain on le partage comme suit : dessus par proportion de ce qui reste dont on fait toujours vingt-huit portions ou mesures partageables.
Comme les vingt et huit et demi sur les agneaux se partagent comme il suit: on les divise en quatre portions égales. Mr le Curé en prend une sous le nom et titre de prémisse.
(Ici, en marge, on a inséré cette note : Le tertionnaire prend le tiers de cette première ; Mr le Curé a prétendu que cette prétention était injuste. La première devant être intacte pour le curé, d'autant mieux que le tertionnaire n'a produit pour appuyer sa demande ni titre ni preuve. Procès entre le curé et le tertionnaire prédécesseur de celui d'aujourd'hui. La question est encore indécise.)
De trois portions restantes des agneaux, Mr le Commandeur en prend la moitié. Le sieur curé le quart. Le prébendé et le tertionaire partagent le quart restant.
La laine et le lin se partagent de la même manière que les agneaux.
A l'égard du beurre et du fromage le dit sieur Commandeur en prend la moitié ; le dit sieur curé le quart et le prébendé et le tertionaire partagent le reste entre eux.
La dîme du foin ne souffre point le partage parce que chacun des décimateurs a son quartier marqué et l'usage est que cette dîme est abonnée à un faix de foin par journal de pré.
Plus le dit sieur Commandeur prend en seul l'entière dîme des terres qui lui sont renté dans les paroisses de Lus, Esquise, Sasos, Sassiz et Gèdre, ensemble la prémisse, le tout portable au grenier que le dit sieur indique aux lieux de Lus et de Gèdre.
Plus le sieur Commandeur prend en seul l'entière dîme et prémisse de quelques maisons de Gavarnie qu'on appelle Salles, Poquos, Fourcade, Soutanetz, Courtade et autres qui sont tenus de l'apporter dans le grenier du seigneur Commandeur.
Plus le sieur Cantonnet nous a fait observer qu'il y a pareillement des quartiers surtout du côté de Gèdre où les fonds entremêlés payent la dîme à différents curés de la vallée sous prétexte que les Géans qui les ont extirpés sont originaires de leurs paroisses et que ses terres ont été vendues par la vallée qui les jouiraient en commun, de manière que le curé de Lus quoi que chargé en seul du service de son annexe et d'administrer les sacrements à tous ses nouveaux habitants ne prend néanmoins la dîme à titre de Novalle que des défrichements faits par les anciens originaires de sa paroisse, ce qui a donné lieu aux ordonnances rendues par les seigneurs évêques de Tarbes qui déclarent que les familles des paroisses Sassin, Esquière et des êtres qui ont fixé leurs habitations dans celle de Gèdre, seront et demeureront pour toujours paroissiens du sieur curé ou vicaire de Gèdre avec défense d'en reconnaître d'autres et ont en même temps adjugé la quatrième partie des terres appartenant aux dites familles. Ensemble le carnelage du dit sieur curé de Luz sans qu'ils aient rien prononcé pour les trois-quarts des autres.
Dans ses mêmes quartiers le prieur de Sainte Marie, bénéfice possédé par un religieux de l'Ordre de Saint Benoît, perçoit la prémisse c.à.d. la quatrième partie de la dîme que, les particuliers retiennent devers eux pour les remettre à son fermier et portent les trois-quarts restants au prébendier de Luz.
Plus le sieur Commandeur prend encore diverses rentes en grain et en argent dans la ville de Luz, Gèdre, Gavarnie, Esquère, Vie et autres places de la vallée de Barèges suivant les reconnaissances anciennes et modernes, outre lesquelles la ville de Luz, Vic-du-plan et Esterre, consistant en six communautés, lui payent annuellement deux cents petits de rente pour le clos de Resquieu.
Plus la vallée de Broton, Brotou en Espagne, lui paye annuellement trente-six réaux faisant dix-huit livres de noble monnaye et ce pour le clos du Holle et du Porejarper situés dans la montagne de Gavarnie.
Les religieuses carmélites de Huesca font encore la rente annuelle de quinze livres jacqueses et ce pour le fief appelé le mont de Gavarnie Entomaril.
Le castelan d'Empose doit encore annuellement dix coffins moitié seigle et moitié orge qu'on appelle cebade ; chaque coffin (contenat) contenant neuf centerées, les quatre faisant le sac mesure de Mousson et ce pour le fief qui fut baillé par les hospitaliers de Gavarnie aux templiers du dit Mousson en Espagne.
Finalement le sieur commandeur possède près l'église de Gavarnie un hôpital, une grange, un moulin et un domaine, le tout contigu, noble et exempt de taille et de dîme.
Collationné etc.
(In fine, de la main de Joseph-Paul de Gautier-Valabre) : Je certifie que cet état est conforme à l'original que j'ai signé de l'archivaire et du sceau de l'Ordre.
Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, 56 H 686
Sources : Amargier Paul. Société des études du Comminges (Saint-Gaudens, Haute-Garonne). Page 213 à 221. - BNF
Anecdote n° 5
12-02-2022
Palhers
Département: Lozère, Arrondissement: Mende, Canton: Marvejols - 48La visite d'une commanderie de Malte en Gévaudan en 1749 et le voyage des commissaires enquêteurs
Tout le monde en Provence connaît la famille de Villages dont plusieurs membres se distinguèrent au service du roi et de la chrétienté, sur terre et sur mer. Les Villages, seigneurs de Fontarèche (Gard), étaient originaires du centre de la France (Berry) ; ils vinrent se fixer à Marseille au cours du XVe siècle et formèrent, en Provence, la branche des Villages-La-Salle.
Jean, le premier qui s'établit sur les bords de la Méditerranée, fut un des principaux collaborateurs de Jacques Cœur, célèbre armateur-négociant et grand argentier de Charles VII. Par la suite il épousa la jeune Pérette, nièce de son maître, et prouva, peu de temps après, tout l'attachement qu'il avait pour son oncle par alliance. Il n'hésita pas en effet à se compromettre et à exposer ses jours pour délivrer Jacques Cœur alors qu'il était retenu prisonnier au Couvent des Cordeliers de Beaucaire. Par la suite il devint Conseiller-Maître-d 'Hôtel du roi René et chambellan du duc de Calabre.
A Marseille, les fils de Jean de Villages, continuateurs des traditions et de l'activité paternelle, succédèrent, par héritage, à leurs parents, les châtelains de La Salle, seigneurie située dans la banlieue marseillaise (Saint-Marcel, les Caillols, Saint-Julien). Les Uns parvinrent à occuper les plus hautes charges municipales de Marseille, tandis que d'autres se distinguèrent dans les nombreux combats navals que soutinrent les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem contre les pirates musulmans qui donnaient la chasse aux navires chrétiens.
Parmi les 19 chevaliers que cette grande famille donna à l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem deux devinrent Commandeurs de Palhers (Lozère) (1).
1. Palhers, Palliers, Palhiers ou Palhières.
L'Ordre religieux et militaire de Saint-Jean de Jérusalem, comme on le sait, possédait de nombreuses terres et exerçait son influence sur presque tous les pays d'Europe. Pour son administration intérieure, l'Ordre était divisé en « Langues » et l'une d'elles, la langue de Provence, étendait son territoire sur la Provence proprement dite et sur toute la France du midi. Deux Grands-Prieurés établis l'un à Saint-Gilles, l'autre à Toulouse, se partageaient ce vaste domaine et étaient le siège d'organisations administratives qui veillaient à la bonne gestion des biens de l'Ordre dans leurs circonscriptions respectives. Les Grands-Prieurés étaient superposés aux Commanderies dont quelques-unes avaient le titre de Bailliage (2).
2. Le Grand Prieuré de Saint-Gilles comprenait un bailliage (Manosque) et 53 Commanderies.
Un Chapitre Provincial siégeait auprès des Grands Prieurs et contrôlait l'administration des bailliages et commanderies, en déléguant, quand il le jugeait opportun, des Commissaires pris dans son sein, à l'effet de vérifier sur place l'état des possessions de l'Ordre, les améliorations qui avaient été réalisées et celles qu'il y avait lieu de prescrire.
La Commanderie de Palhers dépendant du Grand Prieuré de Saint-Gilles, fut administrée successivement, au XVIIIe siècle, par les frères Gaspard et Nicolas-Roch de Villages-La-Salle. Elle comprenait, outre Palhers qui en était le « Chef » les membres de Recoules d'Aubrac, Marchastel et La Villatte (3).
3. Nicolas-Roch, de Villages-La Salle, ancien capitaine des vaisseaux, fut nommé Commandeur de Palhers (avec dispense d'y résider) le 24 mai 1745 et entra en fonctions le 1er mai 1746. Le délai écoulé entre la nomination et la prise de possession est normal. En effet lorsqu'une Commanderie venait à vaquer, l'Ordre percevait Outre la dépouille, C'est-à-dire les fruits recueillis au moment du décès du Commandeur, le mortuaire, c'est-à-dire le montant des revenus échus depuis le décès du dernier titulaire jusqu'au 1er mai suivant, et ensuite le vacant, c'est-à-dire une année entière de revenus, comptée du premier mai au premier mai, après l'expiration du mortuaire. En 1749 le Commandeur de Palhers (ou Palliers) étant entré dans la quatrième année de son administration sollicita, suivant l'usage, renvoi de Commissaires afin de constater les « Améliorissements » apportés aux biens de son bénéfice.
Par commission du Chapitre du 7 mai 1749, Joseph-Claude de Gautier de Valabre, commandeur de Cavales, et Claude-Joseph de Catelan, tous deux chevaliers de l'Ordre de Malte, furent désignés pour aller visiter le Chef et les dépendances de cette Commanderie.
A ce sujet, un document assez concis, mais très intéressant est tombé sous nos yeux et nous a suggéré l'idée d'étudier et de reconstituer dans ses phases l'une de ces visites. Ce document est le mémoire justificatif des dépenses faites à l'occasion du voyage de visite et présenté, le 7 décembre 1749, à Nicolas-Roch de Villages par le secrétaire Bourrelly (4). En possession de ce mémoire nous avons examiné le fonds de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem conservé aux Archives des Bouches-du-Rhône. Nous y avons trouvé d'autres documents, notamment le procès-verbal officiel de la visite, qui nous on permis de compléter notre étude (5).
4. Fonds Coriolis, cote provisoire 5 069. (Archives des Bouches-du-Rhône)
5. Archives des Bouches-du-Rhône. — (O. M.) III, 259, 2706.
Cependant il faut dire tout de suite que les textes dont nous avons disposé ne concordent pas toujours entre eux sur tous les points. Il n'y a pas lien de s'en étonner ; il apparaît en effet qu'à seule fin de rendre le procès-verbal officiel de visite plus administratif et conforme aux règles de l'Ordre les Commissaires ne craignirent pas de modifier quelque peu, dans leur relation, l'itinéraire réellement suivi. Au contraire. M. Bourrelly, leur secrétaire, chargé de pourvoir aux frais de déplacement et tenu de rendre un compte exact au Commandeur de Villages de ses débours dut noter au jour le jour ses dépenses et les circonstances qui les justifiaient. Et c'est pourquoi nous avons suivi dans notre exposé le mémoire de Bourrelly.
Nicolas-Roch de Villages-La-Salle qui avait succédé en 1745, comme Commandeur, à son frère Gaspard, n'assista pas à la visite à laquelle il aurait dû prendre part. Il se fit représenter par Maître Condomi, notaire à Laveyssière, tandis que les Commissaires s'adjoignaient Antoine Michel Bourrelly pour leur servir de greffier.
Ce dernier fut chargé de s'entendre avec le Commandeur de Palhers pour l'organisation du voyage, car ces sortes d'opérations étaient faites aux frais des Commanderies visitées.
A cet effet M. Bourrelly se rendit à Marseille et fut reçu par Nicolas-Roch de Villages-La-Salle qui lui remit 1200 livres à titre de provision.
C'est grâce au document justificatif de l'emploi de cet argent que nous pouvons suivre pas à pas ces divers personnages dans leur randonnée. De plus ce document nous permet de connaître quelques-uns des principaux chemins que fréquentaient les voyageurs à cette époque ; il nous renseigne également sur les moyens de transport, sur les prix demandés par les voituriers et les hôteliers.
Ce n'était pas, en effet, une mince affaire, an XVIIIe siècle, que de parcourir plus d'un millier de kilomètres. Les moyens de locomotion n'étaient pas rapides ; les routes à peu près carrossables en Provence, l'étaient beaucoup moins en Gévaudan. Aussi n'était-il pas superflu de préparer minutieusement le voyage et d'en prévoir les étapes comme le fit maître Bourrelly.
Celui-ci s'entendit avec le patron Sauvet, voiturier à Marseille, pour la location d'un véhicule (phaéton *) qui devait le transporter, en compagnie du chevalier de Catelan, de Marseille à Palhers et retour. Cette voiture traînée par deux chevaux, sous la conduite d'un cocher fourni par la maison Sauvel, fut louée à raison de 8 livres par jour de déplacement (ce prix excluait la nourriture et le logement du cocher et des chevaux).
*. Le phaéton est apparu au XVIIe siècle et a beaucoup évolué au cours des siècles suivants. Il possède deux banquettes parallèles aux essieux, seule celle du conducteur, à l'avant, confortable, souvent en rotonde, à une capote. Le siège arrière est réservé à un ou deux domestiques. Wikipedia
Le secrétaire Bourrelly quitta Marseille en cet équipage le 11 août 1749. A son passage à Notre-Dame (près Septèmes) il fut invité par les agents du Bureau des fermes à payer quelque 30 livres pour droits sur les ornements qu'il portait (objets divers confiés, sans doute par le Commandeur de Villages, pour être remis aux curés des paroisses à visiter).
Le chemin fut poursuivi, sans autre incident, jusqu'à Saint-Pons, où l'on déjeuna. On s'aperçoit tout de suite que la route choisie par Bourrelly, qui devait être l'une des meilleures et des plus sûres de l'époque est aujourd'hui beaucoup moins fréquentée que jadis.
Saint-Pons, où maints voyageurs se restaurèrent autrefois, est situé à un croisement de routes, entre les Milles et Roquefavour (6).
6. Saint-Pons, commune d'Aix (B.-du-R.), (note à la fin de l'article)
De nos jours on peut constater que toutes traces du passé n'y ont pas disparu et qu'il existe encore à cet endroit un groupe de constructions qui laisse deviner l'importance de l'ancien relais. Actuellement les automobilistes passent de préférence soit à l'est et an nord, soit à l'ouest en empruntant les routes de Marseille, Aix et Avignon ou celle de Marseille et Salon par les Pennes-Mirabeau.
Aussitôt après le repas l'on se remit en route pour aller dîner et coucher à Salon-de-Provence. Le lendemain, 12 août, Bourrelly, toujours seul, quitta Salon et affronta les routes de la Crau. Il déjeuna à Saint-Martin-de-Crau (7) et arriva à Arles le même soir. Dans cette ville, siège effectif du Grand-Prieuré de Saint-Gilles le secrétaire Bourrelly se rendit auprès de l'Archivaire de l'Ordre (8) pour retirer les registres terriers de la Commanderie et la commission qui ordonnait la visite. Pour en disposer, il acquitta divers droits (au nom du Commandeur de Villages) se montant à 7 livres 4 sous. L'un des Commissaires, le Commandeur de Valabre, devant se joindre à lui à Arles, Bourrelly traita avec le voiturier Bourges pour la location d'une chaise de poste. L'affaire fut conclue au prix de 7 livres 10 sous par jour de déplacement et M. de Valabre prit possession du véhicule. Avant de quitter Arles le secrétaire prit la précaution de se munir de quelques provisions de bouche pour lesquelles il dépensa 6 livres 14 sous et emporta un saucisson, un pain de sucre, une bouteille d'eau-de-vie et une bouteille de limon.
7. Saint-Martin de Crau, arrondissement d'Arles (B.-du-R)
8. Raybaud (Jean-Antoine) était secrétaire du Grand Prieuré de Saint-Gilles en 1749.
Ainsi équipés les deux personnages, suivis du laquais du Commandeur, partirent le 13 août pour Saint-Gilles. Pour s'y rendre ils traversèrent, sur des barques, le Rhône à Fourques où M. Bourrelly dût payer divers droits de douane s'élevant à 2 livres 8 sous. A Fourques, où ils restèrent peu de temps M. Bourrelly loua, à l'intention du valet du chevalier de Catelan, une monture, à raison de 20 sous par journée de déplacement. Dans la matinée ils arrivèrent à Saint-Gilles où ils devaient rencontrer le chevalier de Catelan. Bourrelly commença par déjeuner, puis prit contact dans le courant de l'après-midi avec le deuxième Commissaire. Le soir il offrit un repas à ces messieurs, auxquels s'était joint le frère de M. de Catelan.
Le lendemain (14 août), tous ensembles, ils se mirent en route pour Nîmes. Le Commandeur de Valabre était en chaise de poste tandis que le chevalier de Catelan partageait le phaéton avec le secrétaire Bourrelly. Ils arrivèrent à Nîmes pour déjeuner.
Ils repartirent dans l'après-midi et s'engagèrent dans la vallée du Gardon d'Anduze. Ce soir-là ils couchèrent à Lédignan (Gard).
A leur arrivée, M. Bourrelly eut l'occasion de se procurer, pour le prix de 1 livre 10 sous, une paire de perdreaux dont il pensait régaler Messieurs les Commissaires à l'occasion de la fête de l'Assomption. Son attention n'eut pas tout le succès qu'il espérait, car le lendemain 15 août, le Commandeur de Valabre se plaignit, en cours de route, de se sentir incommodé et l'on dut même faire une halte non prévue à Anduze. Cependant le malaise du voyageur ne dut pas être très grave puisque l'on put repartir aussitôt après la messe. L'indisposition alléguée servit, je crois, de prétexte au Commandeur de Valable pour fuir une compagnie qui l'importunait, car à partir de ce moment-là, et pendant tout le reste du trajet, il chevaucha seul, escorté de son valet, ce qui ne l'empêcha pas d'être toujours exact aux rendez-vous.
A Anduze le Commandeur de Valabre ayant manifesté l'intention d'abandonner la chaise de poste, M. Bourrelly en avait profité, avant de la renvoyer à Arles, pour remplacer les deux chevaux de son phaéton, qui ne lui donnaient pas entière satisfaction, par les mulets de la chaise.
L'étape ainsi interrompue amena MM. de Catelan et Bourrelly à Saint-Jean du Gard où ils déjeunèrent. Ils atteignirent le même jour Castanier (9) où ils passèrent la nuit.
9. Castanier, village situé sur la route de Saint-Jean du Gard à Le Pompidou.
Le lendemain 16 août, ils traversèrent Florac (déjeuner) et couchèrent à Langlade (10) pour arriver le 17 à Marvejols en passant par Mende (déjeuner).
10. Langlade, commune de Brenoux (Lozère)
C'est à Marvejols que le Commandeur de Valabre les rejoignit. Tous ensemble ils descendirent à l'hôtel Rouanet et reçurent dès le lendemain la visite de Maitre Condomi, procureur de Nicolas-Roch de Villages, Commandeur de Palhers.
Au cours de cette présentation Maitre Condomi remit aux Commissaires, au nom de Nicolas-Roch de Villages, les lettres de commission qui avaient été confiées au secrétaire Bourrelly lors de son passage à Arles. L'on ne se dispensait pas, comme il apparaît, d'un formalisme assez minutieux.
Messieurs les Commissaires après avoir pris officiellement connaissance de leur mission qui devait se dérouler en quatre phases (contrôle sur pièces, visite des lieux, énumération des revenus et rédaction du procès-verbal) se retirèrent un instant pour faire prêter serment sur les Saints-Evangiles, à leur secrétaire. Sitôt après, ils prièrent Maitre Condomi de bien vouloir faire l'énumération des biens meubles et immeubles dépendant de la Commanderie de Palhers. Ce dernier se rendit à leurs désirs et rappela que la Commanderie, devenue vacante par le décès de Gaspard de Villages-La-Salle avait été confiée à Nicolas-Roch de Villages, frère du défunt, par bulle du 24 mai 1745. Située partie dans le Gévaudan et partie dans le Velay, elle comprenait d'abord son chef, Palhers (Lozère, 685 m, d'altitude) à trois quarts de lieue de Marvejols, relevant pour le culte du diocèse de Mende et pour la juridiction de la Sénéchaussée de Nîmes. L'Ordre de Malte possédait dans cette localité (11) :
L'église paroissiale (Saints Gervais et Protais) desservie par messire L. Castanier, vicaire perpétuel, et son cimetière.
Le château avec une aire à fouler.
Un jardin avec des terres (56 dextres).
Un bois appelé La Bartlie ou la Garenne de 7S0 dextres.
Deux prés appelés Le Pichot et le Grand Pré (1075 dextres).
L'église paroissiale du hameau de Brugers, desservie par le vicaire de Palhers (12).
11. Au membre de Palhers étaient rattachées les censes perçues a Marvejols, Chirac, Montrodat, Champilaux, Sinières-Planes, Félines, Gimels, Gibert, Ras, Berlières, Goudar, les Hermets, Chausserans, Froissant, Muret, Alteyraç, Mouriés, Valcrose et Uzanges.
12. Le vicaire perpétuel de Palhers était tenu de célébrer la messe alternativement un dimanche à Palhers, un dimanche à Brugers.
Le Commandeur, en qualité de seigneur temporel de Palhers, exerçait en outre la justice sur les villages de Sécheiroux et de Félines, A Sinieres-Planes il partageait ce droit avec le comte de Peyre (13).
13. Secheiroux, commune de Palhers (Lozère).
Félines, commune de Saint-Bonnet de Chirac (Lozère).
Sinières-Planes, commune de Saint-Laurens de Muret (Lozère).
Tous ces domaines relevaient directement de la Commanderie et étaient francs de tailles et autres droits.
Le Commandeur de Villages en tant que seigneur spirituel et temporel de Palhers faisait exercer ses droits et remplir ses obligations d'une part par le vicaire perpétuel qu'il entretenait, d'autre part par les juges qu'il désignait.
En 1749 les Officiers de la justice seigneuriale étaient :
Maitre Charles Guiot, avocat de Marvejols, juge général de la Commanderie.
Louis-Joseph Bruguière, viguier.
Maitre Guiral, greffier.
Maitre Condomi, procureur fiscal.
Sources : Paul Giraud. Mémoires de l'Institut historique de Provence, tome XI, pages 226 à 243, année 1934. Marseille 1934 - BNF